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L’Euthanasie… Le barrage va-t’il céder ?

Tribune du Père Jean-Michel Moysan, formateur en bioéthique

Curé de la paroisse Saint-Yves en pays de Morlaix

Le mardi 20 septembre 2022, le Président de la République Emmanuel Macron a lancé une ‘convention citoyenne’ en vue d’un « nouveau cadre légal » pour mars 2023 concernant la fin de vie. Nul n’est dupe ! il s’agit bien de dépénaliser l’euthanasie et le suicide assisté, en le proposant comme un droit de la personne ! 

Nous avions en France la loi Leonetti 2008 sur la fin de vie définissant bien les limites de l’acharnement thérapeutique et les devoirs des médecins sur ce point en gardant l’interdit : « Rien ne pourra jamais justifier le droit de donner la mort à un homme ». Puis re- débat sur la fin de vie avec des poussées pro-euthanasiques fortes pour arriver à de ‘nouveaux droits’ en février 2016 avec la loi Claeys-Leonetti concernant les conditions de sédation permettant de mourir sans souffrir, conditions estimées par le médecin. Même si cette loi recelait quelques ambiguïtés, elle avait trouvé un juste équilibre entre les demandes d’en finir et les possibilités de la sédation dans les pratiques médicales. Mais dans les deux lois, la demande expresse de la personne qu’un médecin lui donne la mort à sa demande (moyennant des conditions ‘strictes’) n’était pas octroyée. Subsistait là dans le droit (et donc dans la conscience sociétale) un interdit, celui du ‘tu ne tueras pas la personne souffrante’ même si elle le demande. 

Le débat est relancé. Comment le situer dans la France d’aujourd’hui ? Il est bien formulé dans l’Avis récent publié par le Comité d’éthique (n° 139 du 13 septembre 2022) : « Le CCNE ( Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé) réaffirme néanmoins que le dilemme éthique qui caractérise la complexité des situations de fin de vie ne porte pas sur la question de la dignité. Il considère que la tension éthique en jeu mobilise, d’une part, la question de la liberté à déterminer soi-même son degré de tolérance à la souffrance et les contours de son destin personnel et, d’autre part, celle de notre devoir de solidarité à l’égard des personnes en fin de vie. » (p. 11) et il continue : « Deux expressions de la fraternité sont ici mises en tension : une fraternité qui s’exprime dans l’aide active à mourir, une autre dans l’aide à vivre jusqu’à la mort dans des conditions permettant le soulagement des souffrances et le respect de l’autonomie des personnes. » (p. 11)

Le président Emmanuel Macron dans son programme avait promis de lancer une convention citoyenne pour aboutir ‘sereinement’ à une solution. C’est celle-là qui est en train d’apparaître. Mais le débat entre citoyens sera-t-il équitable quand les chiffres donnent 96 % des Français, en faveur de la proposition suivante : que l’on donne aux médecins la possibilité d’abréger la souffrance en donnant la mort à la demande du malade… Déjà en 2021, la proposition était venue à l’Assemblée, sous l’impulsion du député Jean-Louis Touraine disant : « Cela ne veut pas dire qu’ils veulent eux-mêmes bénéficier de l’administration d’un produit létal, mais qu’ils souhaitent que cela soit possible légalement, quand on en a besoin et que c’est validé par les médecins. Les décideurs sont toujours plus lents à se laisser convaincre que la société. Quand on est à un niveau 96 % de volonté dans la population, je crois qu’il est important de le faire vite. » (interview dans l’Écho républicain 10 décembre 2020)

La société serait donc prête à la légalisation de l’euthanasie… et ceux qui s’y opposent seraient-ils du côté des réactionnaires qui privent les gens de leur « ultime liberté » ? Réfléchissons !

Mettons-nous d’abord dans le réel des situations difficiles en fin de vie : malades voyant se dégrader vite leur corps (maladie de Charcot par exemple), personnes atteintes d’un cancer les condamnant à ‘moyen terme’, personnes âgées fortement dépressives, malades vivant des dégénérescences mentales. Qui n’a pas été confronté à un vieux parent dont les souffrances sont insupportables et où la famille demande qu’on en finisse ? Il faut être très fort humainement pour ne pas vaciller dans ses convictions anti-euthanasiques quand on voit cela : on a envie que ça finisse ! Ayant été aumônier catholique d’hôpital, je pourrais témoigner de cette ‘tentation’. 

Et pourtant je suis contre une loi permettant au médecin d’accéder au désir de mort du patient ou de la famille. Pourquoi ? Fondamentalement, nous touchons à un interdit qui structure toute société : ‘tu ne tueras pas’ ! Il est rappelé dans l’avis 139 du CCNE du 13 septembre 2022 : « l’interdit de donner la mort est un principe fondateur pour la société tout entière » (p. 25)

  1. La loi est faite pour protéger les personnes. « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. » (Henri Lacordaire) Sans loi, on est soumis aux pressions individuelles qui font loi et au marché économique qui dicte sa loi. Quand l’esprit est fort, il veut être autonome et défie la société de lui donner des droits, y compris le droit de demander sa mort. Mais quand l’esprit est faible, malade, âgé, qui nous dit que des pressions sournoises ne se feront pas en famille pour qu’une personne demande l’euthanasie, car elle sent qu’étant encore en vie, elle gêne. Qui nous dit que des pressions économiques ne viendront pas doucement forcer la liberté. Les polémiques des propos de M. Thierry Baudet, président de la Mutualité française plaidant pour l’aide active à mourir en disent long (La Croix, 21/1/2020) !
  2. Une société ne permet pas la mort et fait tout pour en protéger ses sujets surtout les plus fragiles. Quel contraste entre les tentatives de repêcher les gens d’actes suicidaires et cette permission légale du suicide ? Quel message va être donné aux gens fragiles que nous pouvons être tous un jour ou l’autre.
  3. Cet interdit ‘tu ne donneras pas la mort’ est ébranlé par des situations de souffrance mal traitées. « On meurt mal en France », disent certains. Il faudrait évaluer ce diagnostic : où en est l’abstention thérapeutique ? Où en est le traitement de la douleur ? Où en est la proposition de sédation, quand tout traitement est impossible ? Où en est le lien continu avec l’humain médical ou familial, bref un maintien confiant de « l’alliance thérapeutique » médecin-malade ?
  4. Cet interdit pourrait-il être enfreint en « l’encadrant sous des contraintes strictes », comme le souhaite l’avis du CCNE ? La Belgique a légalisé l’euthanasie sous des contraintes strictes. Or, une étude sur les suites de la loi belge dit ceci : « Les chiffres ont été multipliés par 10 en 15 ans et continuent à progresser. En 2003, on recensait 235 euthanasies déclarées. Déjà en 2008, on en dénombrait 2359. En 2021, 2699 euthanasies ont été déclarées. Il s’agit bien ici d’euthanasies qui ont été déclarées par les médecins à la Commission fédérale de contrôle. Mais, d’après diverses études, on estime à 25 à 35 % le nombre d’euthanasies pratiquées en Belgique qui n’ont pas été déclarées, et qui sont a fortiori illégales » (Léopold Van Bellinguen, site Généthique). De plus, ce même spécialiste dit : « Dans les faits, cela mène certains médecins à pratiquer des euthanasies en interprétant de manière extrêmement extensive les conditions fixées par la loi. » Rajoutons qu’au fil du temps, des demandes d’extensions des critères de la loi sont venues : après 2002, le Sénat en 2013 demande que l’euthanasie soit possible pour les mineurs sans limite d’âge. Diverses propositions de loi visent à octroyer l’euthanasie à des personnes en démence. Où est la promesse des ‘consignes strictes ‘? Un gouvernement passe, un autre arrive avec une nouvelle interprétation des ‘consignes strictes’.
  5. Qui fera l’acte euthanasique ? Sommes clair, ce n’est pas la famille qui ‘poussera la seringue’, ce n’est pas la famille qui fournira les substances pour le suicide assisté, c’est le médecin requis pour cela et qui par ‘compassion’ le fera, si la loi le lui autorise. C’est lui qui en portera la responsabilité morale dans sa conscience et la famille n’aura fait souvent à contrecœur qu’obéir aux ‘dernières volontés’ de leur proche dictées dans les directives anticipées. Il y a une différence énorme moralement parlant entre laisser la mort venir en apaisant la douleur et donner la mort directement. Or, aujourd’hui, la loi est maintenant pour lui un rempart. Il n’aura que sa conscience pour décider. Pourra-t-il refuser ? Oui si la loi lui accorde l’objection. Mais il lui faudra beaucoup de courage face à ce qui s’impose socialement comme un droit.

C’est la radicalité de l’interdit ‘Tu ne tueras pas’ qu’il nous faut garder, pour ne pas dégringoler dans les pratiques sordides et tristes du suicide assisté ou de secrets de famille qui vont remplir les mémoires familiales pendant des décennies. Certes, beaucoup de personnes aujourd’hui meurent dans la solitude. Dans leurs directives anticipées, elles demanderont l’euthanasie pour ne gêner personne, qui ne le ferait pas ! Chez beaucoup, le non-sens, la dépression, la vue de la fin pourra faire demander l’euthanasie, car ‘c’est trop long d’attendre’ et la famille pourra même le suggérer au médecin. Mais celui-ci n’aura plus la loi pour le protéger… Cédera-t-on au don de la mort ? 

Donner la mort c’est glauque, triste, glaçant, c’est désespérant. Cela pétrifie tout le monde. Le cas des meurtres gratuits, des guerres actuelles, des victimes du terrorisme devrait nous éloigner de la tentation de plaider pour l’acte active à mourir. Pourquoi donner la mort par euthanasie serait une victoire, un progrès civilisationnel ? Je ne comprends plus ! Cet interdit est fondateur pour le texte de Sagesse qu’est la bible. Quand Dieu le commande, c’est pour protéger ! Ne l’oublions pas ! En tout cas, il faut se rappeler ce que le prophète Jérémie dit à ceux qui veulent le tuer : « Mais sachez-le bien : si vous me faites mourir, vous allez vous charger d’un sang innocent, vous-mêmes et cette ville et tous ses habitants. Car c’est vraiment le Seigneur qui m’a envoyé vers vous proclamer toutes ces paroles pour que vous les entendiez. »(Jérémie 26, 15)

Gardons l’interdit. Et ayant maintenu l’interdit, il nous faut nous relever les manches pour développer l’aide médicale des derniers moments (décision de non-acharnement, lutte contre les douleurs) et surtout la relation aimante pour ‘partir en paix’. Que les chrétiens se rappellent la parole de saint Paul : « En effet, les commandements : Tu ne commettras point d’adultère, tu ne tueras point, tu ne déroberas point, tu ne convoiteras point, et ceux qu’il peut encore y avoir, se résument dans cette parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (Romains 13, 9)