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11e dimanche du temps ordinaire – 13 juin 2021

Les textes de ce 11e dimanche sont tout à fait de saison. Le printemps s’achève et l’été est tout proche. La nature a revêtu ses habits de fête et de fleurs. Les arbres secs et dénudés ont reverdi. Les graines ont germé et ont donné naissance à des plantes de toutes sortes. Par la bouche d’Ézéchiel Dieu annonce à son peuple que s’achèvent pour lui les hivers de l’exil.

Ainsi parle le Seigneur Dieu : À la cime dugrand cèdre, à son sommet,
je cueillerai un jeune rameau, et je le planterai moi-même
sur une montagne très élevée.
Sur la haute montagne d’Israël je le planterai.
Il produira des branches,vil portera du
fruit, il deviendra un cèdre magnifique.
Tous les passereaux y feront leur nid,
toutes sortes d’oiseaux habiteront à l’ombre de ses branches.
Et tous les arbres des champs sauront que c’est moi, le Seigneur :
je renverse l’arbre élevé et relève l’arbre renversé,
je fais sécher l’arbre vert et reverdir l’arbre sec.
Moi, le Seigneur, je l’ai dit, et je le ferai.

Nous retrouvons ce dimanche la lecture continue de l’Évangile selon saint Marc, au chapitre 4. Jésus s’est beaucoup inspiré de l’image des arbres dans son enseignement. Quand il s’adresse à la foule et lui parle du Règne de Dieu qui germe et grandit, il emploie souvent des paraboles printanières et estivales.

Jésus disait : « II en est du règne de Dieu
comme d’un homme qui jette le grain dans son champ :
nuit et jour, qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit,
il ne sait comment.
D’elle-même, la terre produit d’abord l’herbe, puis l’épi, enfin du blé plein l’épi.
Et dès que le grain le permet, on y met la faucille
car c’est le temps de la moisson. »Jésus disait encore :
« À quoi pouvons-nous comparer le règne de Dieu ?
Par quelle parabole allons-nous le représenter ?
Il est comme une graine de moutarde : quand on la sème en terre,
elle est la plus petite de toutes les semences du monde.
Mais quand on l’a semée, elle grandit
et dépasse toutes les plantes potagères ;
et elle étend de longues branches,
si bien que les oiseaux du ciel peuvent faire leur nid à son ombre. »
Par de nombreuses paraboles semblables,
Jésus leur annonçait la Parole, dans la mesure
où ils étaient capables de la comprendre.
Il ne leur disait rien sans employer de paraboles,
mais en particulier, il expliquait tout à ses disciples.

Au premier degré, le langage des paraboles est simple : Jésus emploie des mots et des images concrètes et familières à la portée de tous. Tous sont invités à s’étonner devant les mystères de la vie et de ses origines. Devant le dynamisme incessant qui fait que les semences germent et poussent, que nous dormions ou que soyons levés. Devant ce miracle que d’une semence toute petite puisse croître et mûrir une plante sans commune mesure avec elle.

Les paraboles de ce dimanche sont porteuses d’une théologie de la création. La nature est une école de vie et de sagesse, pour peu qu’on entretienne avec elle une relation constante, aimante et attentive. L’homme moderne, technicien et productiviste, risque d’oublier que tout ce qui vit et respire vient de plus loin et de plus grand que lui. Il risque d’oublier qu’il fait partie du monde des vivants et qu’il est soumis aux mêmes lois que celles des végétaux, des animaux. Il peut en arriver à percevoir la nature et à la traiter comme un objet ou un décor extérieur à lui, qu’il a le pouvoir d’exploiter, de transformer et d’instrumentaliser à sa guise. Au risque d’oublier qu’elle est un trésor à lui confié par son créateur. L’homme en est un élément et de plus un gérant éphémère. Si elle périt, il périt avec elle. Les mirages de toute-puissance, de productivité sans limite peuvent lui appauvrir l’esprit, le conduire à désapprendre la plus élémentaire sagesse et à faire ainsi son propre malheur. Et de plus détruire des éléments indispensables à la vie d’autres espèces que la sienne.

Mais les paraboles de Jésus sont surtout à interpréter à un second degré, sur le plan de la foi. Les disciples de Jésus doivent les accueillir, comme s’il s’agissait en chacune d’un secret que seuls les intimes peuvent comprendre, d’un appel à la conversion du regard et du cœur. Mais Jésus dévoile à ses disciples et leur explique en particulier des choses essentielles qui concernent la connaissance et l’amour de Dieu. Elles ne se transmettent pas forcément en public à force de démonstrations ou d’explications abstraites mais sous le mode de la confidence, du murmure et de la contemplation. Et sans quitter le plus concret des réalités terrestres communes. Chacun se doit de les interpréter et d’en saisir librement le message. Quand un enfant pose à sa mère ou son père certaines questions difficiles concernant les mystères de la vie et de la foi, il leur est bon d’emprunter la logique des paraboles et de commencer ses réponses en disant « c’est comme ». Parler de Dieu et de son Royaume en paraboles, c’est consentir à la germination et la croissance de son règne dans le secret des cœurs et des consciences, à l’insu des bruits et des fureurs du monde.

C’est là une leçon à retenir aussi pour l’Église du Christ, parfois trop empressée d’utiliser les moyens modernes tapageurs de la communication pour convaincre, expliquer, prouver et transmettre. Son langage est parfois perçu comme dogmatique, ésotérique et moralisateur. Elle est peu encline à cultiver l’art de la parabole, à trouver les mots simples et concrets qui peuvent toucher le cœur de chacun et le rejoindre dans sa vie. Les paraboles de ce dimanche trouvent une forte résonance dans notre actualité. Les chrétiens dans le monde se culpabilisent parfois et se désolent de n’être qu’un petit nombre, un petit reste, une minuscule semence. Ils s’attachent davantage à pleurer leur mort qu’à croire que la plus petite de toutes les semences d’Évangile puisse un jour grandir et étendre ses longues branches pour qu’à l’exemple de l’effet papillon se répandent sur terre la justice et la paix.

Quand Jésus parle de graine et de semence, on peut comprendre avant tout qu’il est lui-même le semeur des graines du Royaume de Dieu, et en même temps la graine semée par le Père dans le monde des hommes. Les longues branches de l’arbre de sa Croix ouvrent les portes du Royaume à tous les peuples de la terre. La mission de l’Église est de faire signe de lui au milieu de tous les peuples de la terre. Sa mission n’est pas de faire signe d’elle-même, de se préoccuper uniquement de ses problèmes internes, mais d’accorder toute sa confiance à celui qui lui a donné naissance et dont l’Esprit est à l’œuvre en elle de nuit comme de jour. Enfouie en terre, enracinée en plein cœur du monde et de la vie des hommes, l’Église fait signe du Royaume de Dieu qu’elle n’est pas mais pour lequel elle prépare la terre qui recevra ses semences. C’est un monde nouveau qui germe et grandit en elle et par elle. Un Royaume sans commune mesure avec ce qu’elle est. Un arbre aux longues branches verdoyantes, destiné un jour à rassembler et abriter tous les oiseaux du ciel, et donc aussi tous les peuples de la terre.

Saint Paul, lui aussi, parle aux Corinthiens d’un arbre. Le corps humain n’est-il pas semblable à un « arbre qui marche » (Lc 8, 24) entouré de ses frères plantés en terre, immobiles et fidèles ? N’est-il pas aussi, situé dans un arbre généalogique ? Mais son histoire est différente et qu’adviendra-t-il de lui après son exil sur la terre ?

Frères, nous avons pleine confiance, tout en sachant
que nous sommes en exil loin du Seigneur
tant que nous habitons dans ce corps ;
en effet, nous cheminons dans la foi, nous cheminons sans voir.
Oui, nous avons confiance,
et nous aimerions mieux être en exil loin de ce corps
pour habiter chez le Seigneur.
Que nous soyons chez nous ou en exil,
notre ambition, c’est de plaire au Seigneur.
Car il nous faudra tous apparaître à découvert devant le tribunal du Christ,
pour que chacun reçoive ce qu’il a mérité, soit en bien soit en mal,
pendant qu’il était dans son corps.

L’homme sait qu’il est mortel et s’interroge sur son avenir. Quelles saisons de vie nouvelle l’attendent après celles de la terre ? Après les saisons d’exil qu’il traverse, où va-t-il s’implanter ? Il n’en a pas une vision claire et doit se contenter d’en parler en paraboles, en empruntant des images humaines et terrestres. Son corps n’est-il pas semblable à la semence qui doit mourir en terre pour porter du fruit en abondance chez les générations à venir ?

Evangile selon saint Marc – Mc4, 26-34