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12e dimanche du temps ordinaire – 20 juin 2021

Trois expériences de tempête sont évoquées dans les textes de ce dimanche. Elles sont vécues par le saint homme Job, le prophète Jonas et les disciples de Jésus. Leur portée spirituelle est plus intéressante que leur présentation psychologique ou météorologique.

Tout allait bien pour Job. Il était un homme riche mais juste, et voilà que tombe sur lui une cascade de malheurs qui le font sombrer dans la pauvreté, la misère, la souffrance. De plus, lui, le croyant, le voilà assailli par le doute et la révolte, et il en vient à accuser Dieu d’injustice. Le Livre de Job est d’une grande force poétique. L’âme humaine y donne libre cours à toutes ses tempêtes, face aux multiples questions sans réponses que déverse sur elle la litanie sans fin des épreuves. Des gens pieux et bien-pensants de l’entourage de Job s’acharnent à le convaincre que si les malheurs pleuvent sur lui, c’est qu’il a péché. À leurs yeux, malheurs, infirmités, maladies sont des punitions de Dieu et des occasions d’accuser les victimes qui sont des pécheurs. Leurs paroles attisent la révolte de Job le juste, plutôt qu’elles ne l’apaisent. Il s’acharne à proclamer son innocence. Peine perdue, Dieu se tait. Tout à la fin du livre, Dieu enfin sort de son silence. Non pas dans le souffle d’une brise légère, comme cela s’était passé pour le prophète Élie, mais en plein ouragan (ch 38).

Le Seigneur s’adressa à Job du milieu de la tempête et dit :
Ceins donc tes reins comme un homme.
Je vais t’interroger, et tu m’instruiras.
Où étais-tu quand j’ai fondé la terre ?
Indique-le, si tu possèdes la science !
Qui en a fixé les mesures ?
Le sais-tu ? Qui sur elle a tendu le cordeau ?
Sur quoi ses bases furent-elles appuyées, et qui posa sa pierre angulaire
tandis que chantaient ensemble les étoiles du matin
et que tous les fils de Dieu criaient d’allégresse ?
Qui donc a retenu la mer avec des portes,
quand elle jaillit du sein primordial ;
quand je lui mis pour vêtement la nuée,
en guise de langes le nuage sombre ;
quand je lui imposai ma limite,
et que je disposai verrou et portes ?
Et je dis : “Tu viendras jusqu’ici !
tu n’iras pas plus loin, ici s’arrêtera l’orgueil de tes flots !”

Dieu ne reproche pas à Job d’exprimer sa révolte et ses récriminations, mais il donne tort plutôt à ceux qui pensaient avoir réponse à ses questions et connaître le pourquoi de ses malheurs. Dieu l’invite cependant ainsi que ses accusateurs, à changer de point de vue. À ne pas rester centré sur lui-même, sur ses préjugés, sur ce qu’il pense dans l’immédiat comme s’il était à la place de son créateur. Le jugement de Dieu n’est pas conforme à celui des hommes. Il leur parle tout autant en plein ouragan que lorsque le temps est au beau fixe, tout autant lorsque déferlent les vagues furieuses que lorsque la mer est au calme plat. Il n’est pas présent seulement quand tout va bien, et quand les choses vont mal cela ne veut pas dire qu’il s’éloigne. La foi est tout autant tourment et déchirement que sérénité constante. La vision du Dieu de l’univers, du Dieu éternel, est bien plus large que celle des humains.

Dieu rappelle à Job le moment de la création, alors qu’il n’existait pas encore. Ce moment où il avait maîtrisé le chaos des origines, et trouvé bon ce qu’il avait fait. Il rappelle à Job que le projet de son cœur restera toujours, envers et contre tout un projet constant de bonheur, de salut pour l’humanité en son histoire, et non de malheur et de malédiction, quelles que soient les tempêtes qu’elle aura à traverser.

Le long psaume 106, dont nous chantons un passage ce dimanche, emprunte des images au livre du prophète Jonas, lui aussi en pleine tempête. Il avait pris la mer pour fuir la mission du Seigneur qui l’envoyait à Ninive la païenne pour qu’elle se convertisse. Pris en pleine tempête il s’en était allé se réfugier et dormir dans la cale du vaisseau, alors que les marins étaient sur le pont, morts de peur et saisis du mal de mer.

Le capitaine alla le trouver et lui dit :
« Qu’est-ce que tu fais ? Tu dors ? Lève-toi ! Invoque ton dieu.
Peut-être que ce dieu s’occupera de nous pour nous empêcher de périr. » (Jo 1 5-6)

Voilà donc encore quelqu’un qui se révoltait contre Dieu : centré sur lui-même, Jonas ne comprenait pas que le Dieu d’Israël puisse se soucier d’un peuple païen qui avait déporté Israël. Il allait vers sa mission avec dans la tête des vents contraires et cherchait des chemins de fuite.

Dieu parle, et provoque la tempête, un vent qui soulève les vagues:
portés jusqu’au ciel, retombant aux abîmes, ils étaient malades à rendre l’âme.
Dans leur angoisse, ils ont crié vers le Seigneur, et lui les a tirés de la détresse,
réduisant la tempête au silence, faisant taire les vagues.
Ils se réjouissent de les voir s’apaiser, d’être conduits au port qu’ils désiraient.
Qu’ils rendent grâce au Seigneur de son amour.

Dans l’évangile de Marc dont nous reprenons la lecture au chapitre 4, 35-41, les disciples de Jésus sont en pleine tempête eux aussi. Bien des rapprochements sont possibles entre le récit de Marc et celui du Livre de Jonas.

Toute la journée, Jésus avait parlé en paraboles.
Le soir venu, il dit à ses disciples : « Passons sur l’autre rive. »
Quittant la foule, ils emmènent Jésus dans la barque, comme il était,
et d’autres barques le suivaient. Survient une violente tempête.
Les vagues se jetaient sur la barque,
si bien que déjà elle se remplissait d’eau.
Lui dormait sur le coussin à l’arrière.
Ses compagnons le réveillent et lui crient :
« Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? »
Réveillé, il interpelle le vent avec vivacité et dit à la mer :
« Silence, tais-toi ! » Le vent tomba, et il se fit un grand calme.
Jésus leur dit : « Pourquoi avoir peur ?
Comment se fait-il que vous n’ayez pas la foi ? »
Saisis d’une grande crainte, ils se disaient entre eux :
« Qui est-il donc, pour que même le vent et la mer lui obéissent ? »

La tempête cette fois se passe au moment de la traversée du lac de Galilée, cette petite mer aux humeurs capricieuses et aux tempêtes furieuses. « Passons sur l’autre rive ». Marc fera souvent mention de cette autre rive, la rive-est où habitent les non-israélites, les non-croyants. Une rive pareille à celle de la lointaine Ninive, qui n’attire guère les disciples, en bons juifs qu’ils sont. L’étranger fait toujours peur. Pourtant Jésus venait de parler du Règne de Dieu semblable à l’arbre aux longues branches, destiné à rassembler tous les oiseaux du ciel. Les peuples païens aussi bien que le peuple juif.

Sans doute, les disciples sont-ils pris de peur, quand ils entendent tous ces propos de Jésus et son invitation à passer sur des rives dangereuses. Cela soulève en eux des tempêtes intérieures. Et puis, ils le suivent depuis si peu de temps. Qui donc est-il, cet homme dont le langage et le comportement leur apparaissent étranges, non-conformistes ? Ils attendent le Messie d’Israël et le voilà qui les désinstalle en les envoyant en terre païenne, et de surcroît en pleine nuit. Plus étrange et choquant encore, voici que Jésus, en pleine tempête qui survient pendant la traversée, non seulement n’a pas le mal de mer, mais dort sur un coussin à l’arrière. Son sommeil n’est pas une bouderie comme celui de Jonas au fond du vaisseau. Il évoque plutôt le silence de Dieu devant les plaintes de Job.

Cette tempête sur le lac et dans le cœur des disciples est une étape importante dans leur cheminement. Centrés sur eux-mêmes, ils passent de la peur qui les paralyse en pleine tempête, à la crainte respectueuse devant la personne de Jésus. Ses pensées à lui sont plus larges que les leurs ; elles sont celles de Dieu qui n’exclut personne ni aucune nation de sa bienveillance et de son amour. Au sommeil de Jésus succède son réveil, comme à sa mort succédera sa résurrection, sa victoire sur le mal et la mort. Et comme Dieu qui parle à Job, le voici qui commande à la mer du sein de la tempête, qui l’exorcise de ses démons, car il maîtrise lui aussi le chaos. Alors qu’un geste aurait pu suffire, il parle au vent et la mer, comme il parle au long de l’évangile, aux esprits mauvais pour les chasser : « Il interpelle le vent avec vivacité et dit à la mer : ‘Silence, tais-toi ». Il ne dit pas : « Arrête de souffler, arrête de remuer ». Il dit : « Arrête de trop parler, et de parler trop fort, de faire trop de bruit ».

Devant les questions sans réponses, devant les épreuves et les menaces qui parfois nous assaillent et nous paralysent, gardons confiance et ne laissons pas la peur en faire de trop. Sachons lui fixer des limites et la ramener au silence, sachons accepter de ne pas tout comprendre. Prenons conscience de l’étroitesse de nos regards, de la rigidité de nos principes. Évitons de nous laisser submerger par nos peurs, et avec le Christ ne réduisons pas les immenses projets de Dieu à nos vues humaines rétrécies, comme nous y invite saint Paul.

Frères, l’amour du Christ nous saisit
quand nous pensons qu’un seul est mort pour tous,
et qu’ainsi tous ont passé par la mort.
Car le Christ est mort pour tous,
afin que les vivants n’aient plus leur vie centrée sur eux-mêmes,
mais sur lui, qui est mort et ressuscité pour eux.
Désormais nous ne connaissons plus personne à la manière humaine :
si nous avons compris le Christ à la manière humaine,
maintenant nous ne le comprenons plus ainsi.
Si donc quelqu’un est en Jésus Christ, il est une créature nouvelle.
Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né.

Evangile selon saint Marc – Mc 30, 35-41