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18ème dimanche du temps ordinaire – 2 août 2020

Le passage de l’évangile selon saint Matthieu que nous lisons en ce premier dimanche du mois d’août commence comme un récit de départ en vacances : “Jésus partit en barque pour un endroit désert, à l’écart”. N’est-ce pas ce que vont vivre ces jours-ci bon nombre de vacanciers ? Quel que soit le moyen de transport, partir, se retirer, changer d’air. Pour les uns, se mettre à l’écart, prendre de la distance par rapport aux encombrements de la vie quotidienne. Pour d’autres, quitter des foules et des encombrements pour en trouver d’autres ailleurs peut-être, car ce ne sont pas toujours les endroits déserts qu’ils vont chercher.

Jésus aime les foules, leur parle, soigne les infirmes. Mais il aime aussi la solitude pour prier, et les endroits déserts pour se reposer avec ses disciples. Cette fois, la foule part à sa recherche et s’en va le rejoindre. “Les foules l’apprirent et, quittant leurs villes, elles suivirent à pied », écrit saint Matthieu. Pas de barque, tant pis, on fait le tour du lac à pied. Qu’est-ce donc qui les pousse à entreprendre cet exode, à quitter leurs villes à la recherche de cet homme jusqu’à le suivre au désert ?

Chaque année nous relisons l’un des évangiles synoptiques. Malheureusement, les textes étant trop longs, on saute des passages, et il y a d’un dimanche à l’autre des chaînons manquants. De ce fait, on perd un peu le fil du texte et l’ensemble du récit évangélique. Aujourd’hui, un petit retour en arrière nous est utile. A la fin du chapitre 13, après les paraboles du Royaume, et au début du chapitre 14, Matthieu nous rapporte deux petits récits qui ont leur importance. D’abord celui qui concerne le retour de Jésus chez lui du côté de Nazareth, où il a été très mal reçu. L’enseignement et les miracles de Jésus choquent et scandalisent les gens de son village.

“D’où lui viennent cette sagesse et ces miracles ?
N’est-il pas le fils du charpentier ?
Sa mère ne s’appelle-t-elle pas Marie et ses frères :
et ses frères Jacques, Joseph, Simon et Jude ?
Et ses sœurs ne sont-elles pas toutes chez nous ?
Alors, d’où lui vient tout cela ?
Et ils étaient profondément choqués à cause de lui.” Jésus leur dit :
« Un prophète n’est méprisé que dans sa patrie et dans sa maison. »

Après cet événement très éprouvant pour Jésus, Matthieu en rapporte encore un autre. Le roi Hérode a fait enchaîner, emprisonner, puis décapiter Jean le Baptiste qui a dénoncé ses extravagances, et voilà qu’il apprend que grandit la renommée de Jésus. Il est alors saisi de frayeurs royales. N’est-ce pas Jean qui revit, qui ressuscite, se demande-t-il ? J’ai liquidé un prophète gêneur, en voilà un autre qui se lève ! Les disciples de Jean viennent prendre son corps, l’ensevelissent et en informent Jésus. Et c’est à la suite de cette information que Jésus se réfugie au désert. Peut-être est-ce là une raison de son exode. Rejeté par les siens, menacé de mort comme Jean Baptiste, peut-être découragé comme autrefois le prophète Èlie, il se retire au désert. Il ne s’agit donc pour lui ni de repos ni de vacances ! Mais ce qui va changer le cours des choses c’est l’attitude des foules à son égard.

Quand Jésus apprit ce qui était arrivé à Jean, (phrase omise dans le missel)
il partit en barque pour un endroit désert, à l’écart.
Les foules l’apprirent et, quittant leurs villes, elles suivirent à pied.
En débarquant, il vit une grande foule de gens ;
il fut saisi de pitié envers eux et guérit les infirmes.
Le soir venu, les disciples s’approchèrent et lui dirent :
« L’endroit est désert et il se fait tard. Renvoie donc la foule :
qu’ils aillent dans les villages s’acheter à manger ! »
Mais Jésus leur dit : « Ils n’ont pas besoin de s’en aller.
Donnez-leur vous-mêmes à manger. »
Alors ils lui disent : « Nous n’avons là que cinq pains et deux poissons. »
Jésus dit : « Apportez-les-moi ici. »
Puis, ordonnant à la foule de s’asseoir sur l’herbe,
il prit les cinq pains et les deux poissons,
et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction ;
il rompit les pains, il les donna aux disciples,
et les disciples les donnèrent à la foule.
Tous mangèrent à leur faim et, des morceaux qui restaient,
on ramassa douze paniers pleins.
Ceux qui avaient mangé étaient environ cinq mille,
sans compter les femmes et les enfants.

Face à cette foule, Jésus est bouleversé. Il était irrité plus que touché par la frilosité des villageois de Nazareth encroûtés dans leurs coutumes archaïques et repliés sur leur petit monde où chacun doit rester conforme à son rôle et son rang. Mais qu’est-ce que ce rejet dont il a été l’objet, face à la marche au désert de ces foules, dont le cœur a été touché par sa parole de vie et de tendresse, par ses signes d’espérance et de guérison ? Qu’est-ce que le pouvoir arbitraire d’Hérode, ce tyran ridicule, face au courage de Jean Baptiste, le prophète aux mains nues qui a baptisé le peuple dans les eaux de la justice, de l’amour, de la liberté du Dieu vivant ?

Jésus prend le relais de Jean dont il admire le courage. Son cœur se réveille et “il est saisi de pitié envers cette foule”. Ses mains reprennent force et se remettent à guérir les infirmes, puis à nourrir la foule de sa parole. Il s’inspire de ce que proclamait le prophète Isaïe. C’est la première lecture de ce dimanche :

Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau !
Même si vous n’avez pas d’argent, venez acheter et consommer,
venez acheter du vin et du lait sans argent et sans rien payer.
Pourquoi dépenser votre argent pour ce qui ne nourrit pas,
vous fatiguer pour ce qui ne rassasie pas ?
Écoutez-moi donc : mangez de bonnes choses,
régalez-vous de viandes savoureuses !
Prêtez l’oreille ! Venez à moi ! Écoutez, et vous vivrez.
Je ferai avec vous une Alliance éternelle,
qui confirmera ma bienveillance envers David.

Jésus inverse la perspective des disciples. Il pense en termes de don, de grâce et non d’achat et d’argent. Il leur dit : « Donnez-leur vous-mêmes à manger », et non « allez acheter ». Ce qui peut signifier : Donnez-leur ce qui vous reste. Mais on peut aussi rapprocher cette invitation du Christ de ce qu’il a fait et dit lors de la Cène : Ceci est mon corps, prenez et mangez. Il invite les disciples à donner de leur propre personne : soyez pour cette foule une nourriture, comme je le suis et je le serai pour vous et pour la multitude, quand sera venue pour moi l’heure du don total de moi-même.

C’est sur le peu de pain et de poissons qu’il reste aux disciples, que Jésus prononce la bénédiction. Ce sont eux qu’il invite ensuite à partager la nourriture et à la donner à la foule. De même qu’il nourrit et enrichit ses frères humains de sa pauvreté, il révèle à ses disciples que telle est aussi leur mission. Il les invite d’abord à entendre les clameurs de toutes les misères du monde, puis à continuer de faire retentir le cri d’Isaïe : « L’eau, le lait et le vin que nous avons à vous offrir de la part de Dieu sont gratuits ! »

Ce cri prend à rebours les habitudes de nos sociétés d’aujourd’hui où toute gratuité affichée est souvent soupçonnée d’intérêts commerciaux, où l’on désapprend la pratique du partage, du don gratuit de soi-même, où tout est soumis à la loi du marché, où l’on pousse à la consommation de biens matériels parfois inutiles, ceux qui sont sans argent, où l’on déshabitue les gens de puiser dans leurs ressources pour prendre en main leur propre destin, où on les abreuve de discours vides et on les prive de la parole. Heureusement, le bénévolat et les actes de partage d’un grand nombre gardent vive l’espérance.

Évangile : selon saint Matthieu Mt 14, 13-21