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1er dimanche de Carême – 21 février 2021

Voici venu le temps de la « quarantaine » spirituelle des chrétiens et du retour aux sources de leur foi. Tous les trois ans les lectures des dimanches sont changées. Celles d’aujourd’hui nous rejoignent fortement dans notre actualité. Elles parlent de déluge et d’inondations, d’isolement dans le désert. Elles parlent surtout d’alliance. Un mot-clé dans toute la Bible, et notamment en ce carême. L’alliance est une expérience humaine commune et vitale. Habitant la même terre, sous le même soleil, nous sommes tous des êtres de relation, et d’alliance. Dépendants et solidaires les uns des autres, nous vivons d’échanges et de partages. Plus que jamais, en ce temps de crise nous prenons conscience de la nécessité de nous interroger sur la qualité de nos alliances humaines, et la qualité de nos liens sociaux, souvent menacée par la recherche de profit, l’importance donnée aux prouesses techniques et numériques, les replis individualistes ou communautaristes, et aussi les évolutions climatiques.

Chaque temps de Carême est un temps de réengagement des baptisés à leur Baptême. Il est le sacrement d’une Alliance entre Dieu et chaque baptisé dans laquelle tous deux ne sont pas à égalité de niveau. Les alliances humaines sont souvent bilatérales, comme des contrats comportant promesses et engagements réciproques. L’Alliance de Dieu avec les hommes se révèle d’abord comme unilatérale, semblable à celle des parents par rapport à leur enfants à naître, puis à élever et accompagner. C’est lui qui en prend l’initiative, par pure gratuité et bienveillance, sans condition. Il promet une fidélité indéfectible à ses alliés humains. Soumis à certains aléas, ceux-ci peineront et peinent encore à vivre à son image et à sa ressemblance. Ils refuseront ou trahiront son Alliance. L’Alliance éternelle de Dieu va se manifester sous le mode d’une pédagogie tout au long de l’histoire humaine dont chaque dimanche du Carême évoque une péripétie. Comme un Père, il accompagne ses enfants, marche avec eux, les prend par la main, les éduque, les aide à discerner ce qu’il y a de positif dans leur vie. Il ne leur ferme jamais ni la porte ni les bras. Pour les rassembler, les enseigner, il leur envoie des guides et des prophètes, des sages et des rois.

Deux aspects du baptême sont mis en relief ce premier dimanche, à travers deux grands symboles : celui de l’eau, et celui du désert. Les eaux de la vie d’abord qui se transforment en eaux de la mort lorsque le déluge engloutit l’humanité envahie par le mal. Un cataclysme climatique, rapporté et présenté par l’auteur biblique dans un récit dont la portée est plus spirituelle qu’historique. Les choses avaient déjà mal tourné avec Adam et Ève, puis avec Caïn et bien d’autres. Mais voici qu’au temps de Noé elles ont empiré, et Dieu en est profondément déçu.

Dieu vit que la méchanceté de l’homme était grande sur la terre
et que son cœur ne formait que de mauvais desseins à longueur de journée.
Il se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre et il s’affligea dans son cœur.
Et il dit : Je vais effacer de la surface du sol
les hommes que j’ai créés – et avec les hommes,
les bestiaux, les bestioles et les oiseaux du ciel -,
car je me repens de les avoir faits. »

La Bible ne se prive pas de prêter à Dieu des émotions et des sentiments humains, notamment dans les premiers récits de la Genèse. Son Alliance avec les hommes est amoureuse. Elle n’est ni un marché, ni un contrat, ni une obligation formelle et légaliste, mais une profonde bienveillance et amitié. Dieu semble « tenté » par le découragement, face à tous les malheurs que suscite la méchanceté humaine, face aux horreurs dont elle a été et est toujours capable. Il avait créé l’homme à sa ressemblance pour qu’il vive dans la liberté et la bonté, mais l’homme a trahi son projet, est devenu l’esclave du mal et a fait ainsi son propre malheur. D’où sa déception. Mais Dieu a le cœur solide et il résiste au découragement. La première création ayant échoué, il en entreprend une nouvelle que raconte l’histoire du déluge dans le livre de la Genèse. Celle de l’arche de Noé et du sauvetage de quelques humains ainsi que de représentants d’espèces animales. Vient à la fin du récit ne déclaration solennelle de Dieu.

Après le déluge, Dieu dit à Noé et à ses fils :
« Voici que moi, j’établis mon Alliance avec vous, avec tous vos descendants,
et avec tous les êtres vivants qui sont autour de vous […]
Oui, j’établis mon Alliance avec vous: aucun être vivant
ne sera plus détruit par les eaux du déluge,
il n’y aura plus de déluge pour ravager la terre. »
Dieu dit encore: « Voici le signe de l’Alliance que j’établis entre moi et vous,
et avec tous les êtres vivants qui sont autour de vous,
pour toutes les générations à venir:
Je mets mon arc au milieu des nuages,
pour qu’il soit le signe de l’Alliance entre moi et la terre.
Lorsque je rassemblerai les nuages au-dessus de la terre,
et que l’arc-en-ciel paraîtra au milieu des nuages,
je me souviendrai de mon Alliance avec vous
et avec tous les êtres vivants, et les eaux ne produiront plus le déluge,
qui détruit tout être vivant. »

C’est à ce moment, après la déception de Dieu face à la méchanceté des hommes et après la réussite du sauvetage grâce à Noé, qu’arrive pour la première fois dans le récit de la Genèse (ch 6) le mot « Alliance ». Une Alliance universelle, établie solennellement non seulement avec toutes les générations de l’humanité pécheresse, mais aussi avec la terre et tous les êtres vivants. Une vision déjà écologique de la création nouvelle. Une Alliance dont le signe est un arc – symbole de la force dans la Bible – que Dieu fait paraître au milieu des nuages. Forte et sans faille sera désormais sa fidélité, envers et contre tout. Elle a résisté déjà au péché des premiers humains puis à leur méchanceté. Elle résistera encore à celui des générations à venir. Au fil de la « série » des dimanches du Carême, nous découvrirons comment s’est manifestée la fidélité de Dieu à son Alliance.

Les eaux du déluge ont été reliées par les Pères de l’Église aux eaux du baptême. Ces eaux accomplissent en la personne du baptisé une œuvre de salut et de recréation. Le péché est comme noyé et le baptisé vit une renaissance : il reçoit en lui-même l’Esprit Saint pour combattre le mal, et Dieu établit avec lui son Alliance indélébile, de manière personnelle. Dieu s’engage à lui être fidèle, et l’appelle lui aussi à s’engager dans le combat contre le mal. Comme l’écrit saint Pierre dans sa première lettre, ce dimanche.

Le déluge était une figure du baptême qui vous sauve maintenant :
le baptême ne purifie pas de souillures extérieures,
mais il est l’engagement envers Dieu d’une conscience droite
et il sauve par la résurrection de Jésus Christ. […]

Après le récit des quarante jours du déluge, voici la brève évocation des quarante jours de Jésus au désert de la soif et de la faim, dans l’Évangile selon saint Marc.

Jésus venait d´être baptisé.
Aussitôt l’Esprit le pousse au désert et, dans le désert,
il resta quarante jours, tenté par Satan.
Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient.
Après l’arrestation de Jean,
Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu ;
il disait : « Les temps sont accomplis :
le règne de Dieu est tout proche.
Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. »

Comme Pierre, Marc évoque le baptême de Jésus, immédiatement suivi pour lui d’un temps d’épreuve et de tentation au désert par Satan. Ce n’est pas à construire une arche, que l’Esprit le pousse. Il le laisse s’en aller au désert, pour expérimenter les tentations vécues par ses ancêtres humains et se préparer aux combats qui l’attendent au cœur du monde. Il lui faudra débusquer et chasser les esprits mauvais qui nourrissent la méchanceté, les mauvais desseins et les crimes, en lui et dans le cœur et l’esprit de ses frères et sœurs en humanité. L’Esprit lui donnera la force de les démasquer chez ceux qui font le mal mais aussi chez les gens qui souffrent et se culpabilisent ou se découragent. Il les démasquera même dans le cœur et les pensées de ses propres disciples ainsi que des responsables politiques et religieux de son temps. En lui, s’accomplit la dernière et nouvelle étape de l’Alliance de Dieu. Une Alliance qui se réalise en son propre Fils. Tenté comme tout être humain par Satan, par les esprits du mal, Jésus vient le vaincre au cœur même de la famille humaine, de l’histoire humaine.

Au jour de son baptême le baptisé renonce à Satan, à tout ce qui en lui le tente, le pousse à la méchanceté et aux mauvais desseins. Son combat contre le mal est à vivre chaque jour, car les esprits mauvais – ou les mauvais esprits, comme on voudra – ont plus d’un tour dans leur sac. Ce sont des esprits caméléons qui changent de visage à chaque moment critique de la vie. Des esprits acariens qui empoisonnent l’atmosphère à l’insu de chacun. Et il n’est pas trop d’un temps de carême par an, pour faire un nettoyage de printemps dans sa propre maison intérieure. Ce travail est bien plus efficace s’il est accompli en commun.

Il sera plus fructueux dans la mesure où il sera un temps de partage. Partage de la parole de Dieu, des expériences, des questions. Partage de la prière pour raviver l’Alliance avec Dieu. Partage du temps pour une attention renouvelée à nos alliances, nos relations. Partage de l’avoir avec les plus démunis. Partage d’une espérance active dans les épreuves. Mais pour qu’il y ait partage, il est nécessaire qu’il y ait rencontre, rassemblement. Cela pourrait être une excellente résolution de Carême, pour tous ceux qui sont enclins à déserter leurs assemblées, et bien peu à se réunir pour un soutien spirituel. Pour rejoindre les sources de leur foi et pour lui donner un « coup de jeune » (avec ou sans accent circonflexe !)

Evangile selon saint Marc – Mc 1, 12-15