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22ème dimanche du temps ordinaire – 30 août 2020

Dans l’Évangile selon saint Matthieu, après la confession de foi de Pierre qui ressemblait à la conclusion d’une étape, une nouvelle page s’ouvre ce dimanche. Jusque-là Jésus a sillonné la Galilée et séjourné dans les pays voisins d’Israël. Auprès des juifs, des païens, de ses disciples, il s’est révélé comme le Messie à travers des signes, des paraboles, des controverses, souvent mal compris et reçus. A partir du chapitre 16, Matthieu le présente en train de changer de cap. Jésus prend le chemin de Jérusalem, et annonce à ses disciples qu’il va se révéler comme Messie de manière inattendue : il va faire offrande de sa personne et de sa vie en subissant la souffrance et la mort, puis en ressuscitant. Et il l’affirme à ses disciples de manière choquante et déterminée.

Pierre avait dit à Jésus : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant. »
A partir de ce moment, Jésus le Christ commença à montrer à ses disciples
qu’il lui fallait partir pour Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens,
des chefs des prêtres et des scribes, être tué, et le troisième jour ressusciter.
Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches :
« Dieu t’en garde, Seigneur ! Cela ne t’arrivera pas. »
Mais lui, se retournant, dit à Pierre : « Passe derrière moi, Satan,
tu es un obstacle sur ma route ; tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. »

Ce choix personnel de Jésus va à l’encontre de ce qu’attendent du Messie ceux qui pensent en Israël selon le modèle du monde présent, du temps de l’époque. La réaction de Pierre en témoigne. Tous, le peuple, les dirigeants, et aussi les disciples qui suivent Jésus, attendent un Messie libérateur de la nation, exerçant une royauté temporelle semblable à celle de David, chassant l’occupant romain, inaugurant une ère de justice et de paix. Un messie agissant en faveur du peuple d’Israël et non pas des peuples païens, comme Jésus l’a déjà fait. Son annonce va totalement à l’encontre des espérances que tous placent en lui. Il a promis à Pierre les clés du Royaume des cieux, mais ce Royaume tel que Jésus le conçoit, ne correspond en rien à la manière dont Pierre et ses amis l’envisagent.

Pierre, qui vient de reconnaître Jésus comme « le Messie, le Fils du Dieu vivant », proteste quand celui-ci annonce sa décision. Sa réaction est vive : il manifeste son désaccord avec violence et menace Jésus : il emploie le verbe grec epitiman, le même que Jésus emploie quand il « menace » le vent et la mer (Mt 8, 26) ou quand il chasse les démons (Mc 1, 25 ; 9, 25 ; Luc 4, 39). La réaction de Jésus est plus vive encore. Il dénonce ce qui en Pierre vient s’opposer au dessein de Dieu : il le traite de Satan, car ses pensées ressemblent à celles de Satan qui l’avait tenté dans le désert.

Jésus le remet à sa place de disciple. Il l’invite à passer derrière lui. Cependant il ne lui retirera pas sa confiance, et ne renoncera pas à son projet de lui confier les clés de son Église. Malgré sa vanité, sa conception de l’exercice du pouvoir, son reniement, Pierre gardera la charge de la foi et de la communion, et le service du pardon et de la réconciliation. Il apprendra à faire bon usage des clés à mesure qu’il fera l’expérience du pardon de ses propres péchés par le Seigneur, et transformera sa manière de penser.

Jésus conduira Pierre à se comporter comme le serviteur de ses frères, à travers l’expérience de sa faiblesse, de sa lâcheté, de sa lenteur à comprendre la Croix. Il conduira de même Paul, plus tard, à renoncer à la persécution de ses disciples et à emprunter le même chemin que lui, celui de la Croix. Paul dira à Timothée avoir appris la grâce infinie de Dieu à travers la Croix du Christ et la bonté dont il a fait preuve à son égard. Dans tous ses écrits, il invitera les chrétiens et les communautés à renouveler leurs façons de penser ; à ne pas suivre les logiques du monde, celles de la domination, de la richesse, du paraître, du mensonge, mais les logiques de Dieu, celles du service, de la justice et de la vérité.

La suite de l’histoire de Pierre et de Paul montrera comment et jusqu’où ils sont allés en se laissant transformer et renouveler par l’exemple du Christ. Comment expliquer cette transformation en eux et tout au long de l’histoire par tant d’autres personnes ? Pour répondre à cette question, écoutons ce qu’avait dit le prophète Jérémie, qualifié parfois de « prophète de malheur ».

Seigneur, tu as voulu me séduire, et je me suis laissé séduire ;
tu m’as fait subir ta puissance, et tu l’as emporté.
A longueur de journée je suis en butte à la raillerie, tout le monde se moque de moi.
Chaque fois que j’ai à dire la Parole, je dois crier, je dois proclamer : « Violence et pillage ! »
A longueur de journée, la parole du Seigneur attire sur moi l’injure et la moquerie.
Je me disais : « Je ne penserai plus à lui, je ne parlerai plus en son nom. »
Mais il y avait en moi comme un feu dévorant, au plus profond de mon être.
Je m’épuisais à le maîtriser, sans y réussir.

C’est l’amour brûlant et total de Dieu qui a donné à Jérémie puis à Jésus et à tant d’autres disciples au long des siècles, le courage personnel d’orienter leur vie en se modelant sur les pensées et les choix de Jésus, et non pas sur les valeurs qui, dans le monde, sont contraires à l’Évangile. Après avoir parlé à Pierre, Jésus s’adresse ensuite à tous les disciples :

Si quelqu’un veut marcher derrière moi,
qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive.
Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la gardera.
Quel avantage en effet un homme aura-t-il à gagner le monde entier,
s’il le paye de sa vie ? Et quelle somme pourra-t-il verser en échange de sa vie ?
Car le Fils de l’homme va venir avec ses anges dans la gloire de son Père ;
alors il rendra à chacun selon sa conduite.

Jésus invite tous ses disciples à marcher derrière lui, à le suivre et à prendre comme lui chemin de l’offrande de leur personne et du service des autres. Nul ne peut le dissuader de prendre le chemin d’un Messie serviteur, qui donne sa vie pour la multitude, celui de la croix qui mène à la vie et la connaissance de Dieu. Saint Paul dans le chapitre 12 de sa Lettre aux Romains résume et concrétise ce qu’est ce chemin.

Je vous exhorte, mes frères, par la tendresse de Dieu,
à lui offrir votre personne et votre vie en sacrifice saint, capable de plaire à Dieu :
c’est là pour vous l’adoration véritable.
Ne prenez pas pour modèle le monde présent,
mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser
pour savoir reconnaître quelle est la volonté de Dieu :
ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait.

Ces deux exhortations de Paul résument sa foi et associent deux aspects essentiels de la vie chrétienne. La première déplace le sens du sacrifice, du culte à rendre à Dieu. Dans certaines religions, les sacrifices sont des rites d’offrande de sang ou d’autres choses à une divinité, pour obtenir ses faveurs. Aujourd’hui dans notre culture, le mot lui-même est réduit à n’être que synonyme de privation. Quant aux adorations, elles ont lieu devant des images ou des statues, dans des espaces sacrés, avec leurs sanctuaires réservés à des ministres sacrés. Saint Paul déplace fondamentalement la conception des sacrifices et des adorations. Elles n’ont de sens, écrit-il, que si elles privilégient et suscitent l’offrande d’une personne, du don d’elle-même et de sa manière de vivre, et cela non plus d’abord dans des sanctuaires mais dans la vie concrète à l’exemple du Christ. Le lieu premier du sacrifice et de l’adoration véritable est désormais l’offrande de soi et le service des autres dans le quotidien le plus modeste ou le plus banal.

La seconde exhortation de Paul, liée à la première est un appel à une conversion permanente : celle de transformer, de renouveler notre manière de penser et de comprendre quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon et lui plaît, et là encore d’accomplir cette volonté telle que le Christ nous l’a fait connaître. Transformation et renouveau personnels qui ne vont pas de soi, car nous sommes enclins à faire et penser comme « le monde présent » et comme tout le monde. Il est bien plus facile de dire « on » que « je », de suivre les modes et les « tendances », les goûts du jour et les pensées uniques. De plus les institutions elles-mêmes, politiques, religieuses ou autres aiment que leurs règles et leurs consignes, leurs programmes et leurs catéchismes, dictent à chacun ce qu’il doit dire, penser ou faire et cultivent souvent la soumission.

La suite du texte du chapitre 12 de l’épître aux Romains n’est jamais proposée le dimanche dans le cycle des trois années liturgiques et reste donc méconnu. Ce texte de Paul déploie de manières très concrètes, comment l’offrande personnelle de soi se concrétise dans le quotidien d’une vie fraternelle. Il mérite d’être médité en fin d’homélie ou à un autre moment de la célébration ou donné à tous en cadeau. Un beau programme de vie chrétienne qui déploie ce que veut dire « suivre le Christ ». Une des plus belles pages du Nouveau Testament.

Évangile : selon saint Matthieu – Mt 16, 21-27