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23ème dimanche du temps ordinaire – 6 septembre 2020

« Notre Père, remets-nous nos dettes, comme nous-mêmes nous remettons leurs dettes à nos débiteurs » (Mt 6, 12). À la fin de ses conseils aux chrétiens de Rome, saint Paul reprend le vocabulaire de Jésus en saint Matthieu quand il enseigne la prière à ses disciples.

Frères, n’ayez de dette envers personne, sauf celle de l’amour mutuel,
car celui qui aime les autres a pleinement accompli la Loi. […]
Ses commandements se résument dans cette parole :
Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
L’amour ne fait rien de mal au prochain.
Donc, le plein accomplissement de la Loi, c’est l’amour.

Tous nous sommes des endettés. Notre dette première est celle d’exister. Notre vie est le fruit d’une initiative d’autres personnes que de nous-mêmes. Nous devons avant tout la donner et la semer à notre tour car nous l’avons gratuitement reçue. Les parents doivent se garder de faire sentir à leur enfant le poids de la dette qui est la sienne, faire de lui leur obligé, la lui faire payer. Ils doivent la lui présenter comme n’étant pas à rembourser.

Notre deuxième dette est celle de subsister. Nous ne subsistons qu’en dépendance les uns des autres pour la nourriture, la santé, les biens et tant d’autres choses. Nous vivons de commerce et d’échange sur tous les plans. Tour à tour donateurs et récepteurs, donateurs gracieux ou prêteurs à intérêt. Cette dette peut nous conduire à une possession égoïste, alors qu’elle doit nous engager à la solidarité, au partage, à la réciprocité.

Vient ensuite la dette de l’amour mutuel dont parlent Jésus et Paul. Il appartient à notre humanité de nous tromper, de blesser les autres, parfois même de les trahir. Offenseurs ou offensés, comment gérer nos violences, nos amertumes, nos déceptions ? Comment réparer nos dettes ou exiger réparation ? Notre existence peut-elle être vraiment humaine si elle ignore le pardon, si elle refuse de le donner ou de le recevoir ?

L’amour mutuel est une dette, dit saint Paul. Il s’enracine dans la reconnaissance d’autrui comme donateur, de qui on se tient prêt à recevoir et à qui on est prêt à donner par pure grâce. L’amour mutuel est une œuvre commune, la plus belle, la plus parfaite, la plus révélatrice de celles de Dieu. Il a révélé en son Fils ce qu’est « aimer en vérité », ce que doit être l’amour mutuel entre ses disciples, entre humains. L’amour mutuel est le premier devoir et la plus belle œuvre dont doivent témoigner les communautés humaines – familiales, religieuses, ou autres –, pour que le monde croie que Dieu est amour. L’expression « correction fraternelle » qui rappelait naguère ce devoir. Mais « corriger » était souvent synonyme de « punir ». La correction n’était pas reliée à d’autres attitudes comme la stimulation, l’accompagnement, l’empathie, le pardon. Les textes de ce dimanche nous ouvrent des pistes concrètes pour aimer en vérité, et des attitudes à prendre. Aux temps de l’exil, Dieu donne mission au prophète Ézéchiel de corriger son peuple Israël.

La parole du Seigneur me fut adressée : « Fils d’homme, je fais de toi un guetteur
pour la maison d’Israël.
Lorsque tu entendras une parole de ma bouche, tu les avertiras de ma part.
Si je dis au méchant : ‘Tu vas mourir’, et que tu ne l’avertisses pas,
si tu ne lui dis pas d’abandonner sa conduite mauvaise,
lui, le méchant, mourra de son péché,
mais à toi, je demanderai compte de son sang.
Au contraire, si tu avertis le méchant d’abandonner sa conduite,
et qu’il ne s’en détourne pas, lui mourra de son péché, mais toi, tu auras sauvé ta vie. »

Retenons deux expressions éclairantes : « Je fais de toi un guetteur ». Je t’invite à garder ouverts pour les autres les yeux et les oreilles de ton cœur, au lieu de les boucher et de te replier sur toi-même et te complaire dans une indifférence individualiste en disant : « c’est ton (ou leur) problème » ! C’est un devoir pour toi d’être attentif, attentionné. Ne dis pas à Dieu « c’est ton fils » mais écoute-le te dire « c’est ton frère » ! Car tu es le gardien de ton frère » (Gn 3,9)

« Tu les avertiras de ma part ». Ce n’est pas sur tes principes à toi que tu dois t’appuyer pour les désapprouver, mais sur l’amour que je leur porte. Ne leur dis pas « je ne suis pas d’accord avec vous », mais « vous ne respectez pas la Loi, la volonté de Dieu ». Ne te tais pas ou ne leur dis pas sans cesse « ce n’est pas grave ». Cela serait lâche et destructeur pour toi. Ne crains pas de qualifier de grave aux yeux de Dieu ce qui l’est.

L’Église n’est pas un groupe idéal de gens purs et parfaits, chaque communauté fait l’expérience de dérives dans son attitude, et de la faiblesse de ses membres. Dans le passage d’Évangile de ce dimanche il s’agit des péchés publics de membres de la communauté, qui peuvent perturber sa vie, jeter sur elle le discrédit, et être cause de scandale pour les non-chrétiens. Comme le texte est très dense, lisons-le en trois temps.

Si ton frère a commis un péché, dit Jésus aux disciples,
va lui parler seul à seul et montre-lui sa faute.
S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère.
S’il ne t’écoute pas, prends encore avec toi une ou deux personnes
afin que toute l’affaire soit réglée sur la parole de deux ou trois témoins.
S’il refuse de les écouter, dis-le à la communauté de l’Église ;
s’il refuse encore d’écouter l’Église, considère-le comme un païen et un publicain.

Lorsque qu’un frère commet un péché qui concerne toute la communauté, Jésus recommande une première rencontre personnelle et fraternelle avec le frère (ou la sœur) qui a péché, pour l’aider à prendre conscience de sa faute et éventuellement à se convertir et changer de conduite. S’il se convertit, on s’en tient là. Sinon, deuxième démarche : essayer de régler l’affaire en présence de deux ou trois témoins. Peut-être cette démarche sera-t-elle plus persuasive ? Sinon, reste une troisième possibilité, plus solennelle celle-là. Les choses demandent à être traitées en présence de toute la communauté qui est concernée, et bien entendu de celui qui la préside. Le refus d’écouter l’Église peut entraîner une exclusion temporaire pour vivre une démarche de conversion aboutissant éventuellement à une réintégration.

Ces recommandations de Jésus sont suivies d’une affirmation solennelle, adressée précédemment à Pierre au chapitre 16, et ici à tous les membres de la communauté :

Amen, je vous le dis : tout ce que vous aurez lié sur la terre
sera lié dans le ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel.

Jésus indique le bon usage à faire de cette affirmation. Une désapprobation d’abord. Pas de réconciliation possible pour le pécheur sans reconnaissance de son péché. Aider quelqu’un à rompre les liens qui le tiennent esclave nécessite de sa part d’assumer ses actes, de se reconnaître lié. Mais un soutien est nécessaire aussi pour l’aider à retrouver une liberté spirituelle, à se relever et retrouver confiance, à le délier sur la terre et dans le même mouvement à le délier dans le ciel, puisque désormais toute œuvre de réconciliation en Jésus Christ se passe sur la terre comme au ciel et au ciel comme sur la terre.

Reste la question importante de la manière de s’y prendre, de l’attitude à adopter vis-à-vis du pécheur. Celui qui veut relever quelqu’un, peut l’enfoncer par son comportement en se montrant juge implacable. Cela peut encore s’aggraver si le réconciliateur s’estime lui-même sans péché face à celui qui est tombé. Ou bien, s’il est revêtu des habits du pouvoir et du savoir face à quelqu’un de faible, de « petit », il peut le prendre de haut. Jésus rappelle qu’il y a des priorités dans une communauté chrétienne. La première c’est le pardon mutuel, la bienveillance, le souci des plus petits. Plutôt que juger, condamner, exclure, il faut tout entreprendre pour réconcilier. Et si un moyen ne marche pas, en essayer un autre. Mais la réconciliation n’est pas toujours possible. En ce cas Jésus préconise deux attitudes.

La première est de considérer le pécheur comme un païen ou un publicain. Ce qui peut vouloir dire que si le pécheur refuse de se convertir, il s’exclut lui-même de la communauté. On peut donc respecter son choix. Mais cela peut vouloir dire aussi que la communauté ne doit pas le laisser tomber, mais prendre encore plus grand soin de lui, comme le berger dont la priorité est de rechercher la brebis égarée, comme le Père du ciel veut avant tout qu’aucun des petits ne se perde. Matthieu, qui écrit ce texte, n’est-il pas lui-même un ex-publicain pécheur public ? La seconde attitude c’est la prière pour confier au Père qui est aux cieux, son fils égaré. Lui seul est son juge. Et c’est la dernière parole de Jésus qu’il exprime avec insistance, encore et encore, et qui est au cœur de sa vie et de son message.

Encore une fois, je vous le dis : si deux d’entre vous sur la terre
se mettent d’accord pour demander quelque chose,
ils l’obtiendront de mon Père qui est aux cieux.
Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux.

Évangile : selon saint Matthieu – Mt 18, 15-20