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33ème dimanche du temps ordinaire – 15 novembre 2020

Le règne de Dieu n’est pas celui d’un « capitaliste ». Il n’est pas le règne de l’avoir mais du don ; il n’est pas le règne de la cupidité mais celui de la grâce. C’est le message de l’Évangile de ce dimanche. C’est aussi celui du livre des Proverbes, qui dresse un portrait de l’épouse idéale qui rayonne et sème le bonheur autour d’elle. Ce portrait, que l’on peut qualifier de féministe dans la culture de l’époque où il a été écrit, est une belle manière de clore l’année liturgique. Nous fêtons la femme-reine avant de fêter le Christ-Roi !

La femme vaillante, qui donc peut la trouver ?
Elle est infiniment plus précieuse que les perles.
Son mari peut avoir confiance en elle : au lieu de lui coûter, elle l’enrichira.
Tous les jours de sa vie, elle lui épargne le malheur et lui donne le bonheur.
Elle a fait provision de laine et de lin, et ses mains travaillent avec entrain.
Sa main saisit la quenouille, ses doigts dirigent le fuseau.
Ses doigts s’ouvrent en faveur du pauvre, elle tend la main au malheureux.
Décevante est la grâce, et vaine la beauté ;
la femme qui craint le Seigneur est seule digne de louange.
Reconnaissez les fruits de son travail :
sur la place publique, on fera l’éloge de son activité.

Le langage décalé de ce texte pourrait énerver quelques esprits féministes dans notre culture occidentale d’aujourd’hui. Gardons-nous de l’interpréter à partir de nos modes actuels de penser, et retenons le caractère positif de son message. La traduction liturgique littérale a retenu l’expression « femme vaillante » et non « femme parfaite », ou « maîtresse femme », « parfaite maîtresse de maison ». Peut-être peut-on s’écarter d’une traduction littérale pour saisir un meilleur sens. L’expression la plus juste serait sans doute la « femme selon le cœur de Dieu ». Cette femme est vantée surtout pour ce qu’elle fait pour son mari et pour sa maison. Mais il faut se souvenir que la femme était tellement mise à l’écart à cette époque, qu’un texte qui met à l’honneur la « femme selon le cœur de Dieu » pouvait paraître novateur. De ce fait, malgré les décalages, son message nous touche encore aujourd’hui : il est en parfaite consonance avec le texte de l’Évangile, et même notre actualité.

Grand décalage aussi entre la description de la venue du Christ au dernier jour par saint Paul et nos représentations d’aujourd’hui.

Frères, au sujet de la venue du Seigneur,
il n’est pas nécessaire qu’on vous parle de délais ou de dates.
Vous savez très bien que le jour du Seigneur viendra comme un voleur dans la nuit.
Quand les gens diront : « Quelle paix ! Quelle tranquillité ! »
c’est alors que, tout à coup, la catastrophe s’abattra sur eux,
comme les douleurs sur la femme enceinte : ils ne pourront pas y échapper.
Mais vous, frères, comme vous n’êtes pas dans les ténèbres,
ce jour ne vous surprendra pas comme un voleur.
En effet, vous êtes tous des fils de la lumière, des fils du jour ;
nous n’appartenons pas à la nuit et aux ténèbres.
Alors, ne restons pas endormis comme les autres,
mais soyons vigilants et restons sobres.

Les chrétiens de Thessalonique, quelque 20 ans après la mort de Jésus, pensent que le retour du Christ pour le jugement est imminent. Nous savons aujourd’hui combien d’annonceurs d’une fin du monde imminente se sont trompés. Paul se méfie de ceux qui parlent de délais et de dates. Il invite les chrétiens à donner priorité au présent, à vivre en fils de lumière, clairvoyants et non endormis par toutes sortes de drogues ou révélations imaginaires, et à ne pas pactiser avec les ténèbres du mal et de l’injustice. Voilà qui nous invite encore aujourd’hui à n’être pas crédules dans un monde où foisonnent et prospèrent les croyances véhiculées par les voyants et devins de toutes sortes.

L’Évangile selon saint Matthieu a été écrit bien plus tard que la lettre de Paul. La conviction de l’imminence de la venue du Christ s’estompe. Le temps de l’attente se prolonge et la vivre activement devient prioritaire. Dans la parabole du chapitre 25, Jésus annonce son départ prochain pour un long, et même, très long voyage.

C’est comme un homme qui partait en voyage :
il appela ses serviteurs et leur confia ses biens.
À l’un il remit une somme de cinq talents, à un autre deux talents,
au troisième un seul talent, à chacun selon ses capacités.
Puis il partit. Aussitôt, celui qui avait reçu les cinq talents s’en alla
pour les faire valoir et en gagna cinq autres.
De même, celui qui avait reçu deux talents en gagna deux autres.
Mais celui qui n’en avait reçu qu’un alla creuser la terre
et cacha l’argent de son maître.
Longtemps après, le maître de ces serviteurs revint
et il leur demanda des comptes.
Celui qui avait reçu cinq talents s’approcha,
présenta cinq autres talents et dit : “Seigneur, tu m’as confié cinq talents ;
voilà, j’en ai gagné cinq autres.” Son maître lui déclara :
“Très bien, serviteur bon et fidèle,
tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ;
entre dans la joie de ton seigneur.”
Celui qui avait reçu deux talents s’approcha aussi et dit :
“Seigneur, tu m’as confié deux talents ; voilà, j’en ai gagné deux autres.”
Son maître lui déclara : “Très bien, serviteur bon et fidèle,
tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ;
entre dans la joie de ton seigneur.”

Ainsi, le Christ confie ses biens surabondants à ses disciples et c’est « longtemps après » qu’il vient leur demander des comptes. Ont-ils fait porter du fruit à tout ce qu’il leur a confié ? Quel usage ont-ils fait de sa confiance ? Pour en parler il choisit la métaphore de l’argent. Le mot talent en grec a désigné tour à tour le plateau de balance pour peser les choses, puis le poids de vingt à vingt-cinq kilos que l’on mettait dans le plateau, et enfin une monnaie de compte en or ou en argent. À l’époque, un talent équivalait environ à mille euros or et correspondait au salaire de six mille journées de travail. Le maître ne réclame pas à ces deux serviteurs l’argent qu’ils avaient reçu ni ce qu’ils ont gagné. Leur récompense semble n’être plus une réception d’argent. Elle est d’un autre ordre. Elle réside dans le fait qu’ils ont accepté de recevoir le don de leur maître et sa confiance en eux. Celle-ci se trouve confirmée et de surcroît, ils « entrent dans la joie de leur maître » et participent ainsi à sa joie de donateur gracieux. En revanche dans la suite du récit, le maître fait preuve d’une sévérité extrême vis-à vis de celui qui a refusé d’entrer dans l’esprit du maître donateur, celui de la grâce.

Celui qui avait reçu un seul talent s’approcha aussi et dit :
“Seigneur, je savais que tu es un homme dur :
tu moissonnes là où tu n’as pas semé,
tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain.
J’ai eu peur, et je suis allé cacher ton talent dans la terre.
Le voici. Tu as ce qui t’appartient.” Son maître lui répliqua :
“Serviteur mauvais et paresseux,
tu savais que je moissonne là où je n’ai pas semé,
que je ramasse le grain là où je ne l’ai pas répandu.
Alors, il fallait placer mon argent à la banque ;
et, à mon retour, je l’aurais retrouvé avec les intérêts.
Enlevez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui en a dix.
À celui qui a, on donnera encore, et il sera dans l’abondance ;
mais celui qui n’a rien se verra enlever même ce qu’il a.
Quant à ce serviteur bon à rien, jetez-le dans les ténèbres extérieures ;
là, il y aura des pleurs et des grincements de dents !”

Dans le contexte évangélique, les talents signifient les qualités et les biens spirituels que les disciples ont reçus du Christ : ses capacités d’aimer, de créer, de guérir, de libérer. On peut se rappeler une de ses paroles : « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement ». Autant de charismes c’est-à dire des dons gratuits qui ne sont pas des vertus acquises, des réalités mortes, statiques mais dynamiques, qui meurent stériles s’ils ne portent pas de fruits. Des dons confiés à chacun selon ses capacités. Des dons reçus et à donner, à faire fructifier. Comme le disait sœur Emmanuelle : « Je reçois ce que Dieu me donne d’une main et je donne de l’autre ».

Celui qui « creuse un trou, y cache l’argent de son maître », refuse sa condition de récepteur et doute de la confiance son donateur. Comme Adam son ancêtre, il soupçonne son maître d’arrière-pensées dures et perverses. Méfiant, il prétend se suffire à lui-même. Son refus le condamne car il s’exclut de la circulation de la grâce, de la chaîne du don et de la solidarité spirituelle et pèche ainsi contre l’Esprit de Dieu. Creusant son trou il creuse en quelque sorte sa tombe ! Le jugement est terrible pour lui : A tout homme qui a, on donnera et il sera dans l’abondance, à celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera retiré. Si l’on entend bien la parabole, avoir est quasiment synonyme de donner : plus je donne et plus je possède car plus je reçois du bonheur en voyant le bonheur que je sème. Plus je suis riche du fruit que je porte. Celui qui donne à profusion, sans compter, sera dans la surabondance. Celui qui ne donne pas perd tout et surtout sa dignité d’être humain.

La femme vaillante, la « femme selon le cœur de Dieu », est comparable à Marie la mère de Jésus et à tant d’autres femmes au cœur toujours en éveil ; des femmes courageuses, éveilleuses de bonté chez ceux qui les ont côtoyées. Des femmes dont la joie était de donner le meilleur d’elles-mêmes. « Sur la place publique, tous font encore l’éloge de leur activité. »

Évangile : selon saint Matthieu – Mt 25, 14-30