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3ème dimanche de l’Avent – 13 décembre 2020

Entre le violet de la conversion et le blanc de la Nativité qui se prépare, ce dimanche est un intermède dans le temps de l’Avent. La couleur des vêtements liturgiques est le rose. Les chrétiens sont invités à la joie de l’attente, comme en témoigne Paul dans sa Lettre aux Thessaloniciens.

Soyez toujours dans la joie, priez sans relâche, rendez grâce en toute circonstance : c’est la volonté de Dieu à votre égard dans le Christ Jésus.
N’éteignez pas l’Esprit, ne méprisez pas les prophéties,
mais discernez la valeur de toute chose : ce qui est bien, gardez-le ;
éloignez-vous de toute espèce de mal.
Que le Dieu de la paix lui-même vous sanctifie tout entiers ;
que votre esprit, votre âme et votre corps, soient tout entiers gardés sans reproche pour la venue de notre Seigneur Jésus Christ.
Il est fidèle, Celui qui vous appelle : tout cela, il le fera.

Quelque vingt ans après la mort de Jésus, Paul écrit à une communauté peu nombreuse qui vit au milieu de païens et de juifs souvent hostiles. Les chrétiens de Thessalonique avaient sûrement autant de raisons que nous aujourd’hui d’être inquiets, ainsi que Paul d’ailleurs. Ce texte trouve en nous une résonance très forte. Nous avons grand besoin de nous convertir à la joie, car les temps sont durs et prêtent à la morosité plus qu’à une vision rose de la vie ! « Soyez toujours dans la joie », écrit Paul. Ce mot « toujours » caractérise pour lui la joie chrétienne. La joie est un sentiment lié au bien-être, à la confiance, et même aux pleurs d’émotions. Mais comprise seulement dans ce sens, elle est rarement constante. Tant de choses viennent la contrarier lorsque surviennent la tristesse et l’inquiétude : ce qui la rend fragile et éphémère mais aussi, précieuse. Paul nous invite à la considérer comme une vertu, une attitude spirituelle. Aux grandes vertus de la foi, de l’espérance et de la charité, il ajoute la joie. Une attitude à garder en nous de manière ferme et constante quoi qu’il arrive.

Elle se fonde sur la joie de Dieu. La joie d’un Dieu joyeux de sa création qu’il trouve bonne, d’un Dieu joyeux de faire alliance avec les fils des hommes « trouvant ses délices jour après jour, jouant devant eux à tout instant, jouant sur toute la terre ». (Sg 8, 31) La joie de Dieu trouvant en son peuple sa joie et son allégresse, le renouvelant par son amour, dansant pour lui avec des cris de joie, comme au jour de fête (Soph 3, 18). La joie de Dieu dont le premier mot est toujours souhait de bonheur et bénédiction. La joie de Jésus alors même qu’approchent sa Passion et sa mort : « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite » (Jn 15, 11). Une joie communicative qui est source de joie pour ses amis. Une joie qu’aucune épreuve ne saurait altérer.

Une joie prête à toutes les surprises, parfois mauvaises comme celle du prophète Isaïe après le retour d’exil, en voyant les dérives sociales et politiques en Israël. Mais il garde confiance en la fidélité du Dieu de l’Alliance qui ne faiblira pas et qui prépare à son peuple des merveilles à venir. Nous pouvons lire avec joie un extrait du chapitre 61 de son Livre, et savourer sa force poétique.

L’esprit du Seigneur Dieu est sur moi
parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction.
Il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux humbles,
guérir ceux qui ont le cœur brisé,
proclamer aux captifs leur délivrance, aux prisonniers leur libération,
proclamer une année de bienfaits accordée par le Seigneur,
et un jour de vengeance pour notre Dieu,
consoler tous ceux qui sont en deuil, ceux qui sont en deuil dans Sion,
mettre le diadème sur leur tête au lieu de la cendre,
l’huile de joie au lieu du deuil, un habit de fête au lieu d’un esprit abattu.
Je tressaille de joie dans le Seigneur, mon âme exulte en mon Dieu.
Car il m’a vêtue des vêtements du salut,
il m’a couverte du manteau de la justice,
comme le jeune marié orné du diadème, la jeune mariée que parent ses joyaux.
Comme la terre fait éclore son germe,
et le jardin, germer ses semences,
le Seigneur Dieu fera germer la justice et la louange devant toutes les nations.

Après son baptême Jésus s’inspirera de ce texte dans la synagogue de Nazareth pour qualifier sa mission (Lc 4). Chaque ligne du texte est porteuse de joie, de bonté et déploie une jubilation dans un abondant vocabulaire. Marie, elle aussi, s’est réjouie en réalisant que l’enfant qu’elle portait en ses entrailles serait grand et appelé Fils du Très-Haut et qu’elle devrait l’appeler « Jésus » (Dieu sauve). Son « Magnificat » est le « psaume » proposé pour ce dimanche. Il s’inspire presque mot pour mot de la jubilation du prophète Isaïe. Lui, se réjouit d’être porteur de la Parole de Dieu, et elle, d’être porteuse du Verbe de Dieu prenant chair de sa chair.

Jean le Baptiste manifeste lui aussi sa joie d’être le précurseur du Messie attendu et d’annoncer la bonne nouvelle de sa venue, comme l’écrit Jean l’évangéliste. Il nous apprend que nous avons à fonder notre joie sur un autre que nous-mêmes, et non seulement sur des sentiments d’autosatisfaction que nous pouvons éprouver. Notre joie sera constante si nous témoignons, non pas de nous-mêmes mais de celui devant qui nous préparons le chemin, l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. C’est dans cette perspective que notre joie pourra demeurer « discrète, humble et fidèle ».

Il y eut un homme envoyé par Dieu ; son nom était Jean.
Il est venu comme témoin, pour rendre témoignage à la Lumière,
afin que tous croient par lui.
Cet homme n’était pas la Lumière,
mais il était là pour rendre témoignage à la Lumière.
Voici le témoignage de Jean,
quand les Juifs lui envoyèrent de Jérusalem des prêtres et des lévites
pour lui demander : « Qui es-tu ? »
Il ne refusa pas de répondre, il déclara ouvertement : « Je ne suis pas le Christ. »
Ils lui demandèrent : « Alors qu’en est-il ? Es-tu le prophète Élie ? »
Il répondit : « Je ne le suis pas. – Es-tu le Prophète annoncé ? »
Il répondit : « Non. »
Alors ils lui dirent : « Qui es-tu ?
Il faut que nous donnions une réponse à ceux qui nous ont envoyés.
Que dis-tu sur toi-même ? »
Il répondit : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert :
Redressez le chemin du Seigneur, comme a dit le prophète Isaïe. »
Or, ils avaient été envoyés de la part des pharisiens.
Ils lui posèrent encore cette question :
« Pourquoi donc baptises-tu, si tu n’es ni le Christ, ni Élie, ni le Prophète ? »
Jean leur répondit : « Moi, je baptise dans l’eau. Mais au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas ; c’est lui qui vient derrière moi,
et je ne suis pas digne de délier la courroie de sa sandale. »
Cela s’est passé à Béthanie, de l’autre côté du Jourdain,
à l’endroit où Jean baptisait.

Jean se présente comme un témoin qui se tourne vers celui qui vient derrière lui. Dans le récit il ne le nomme pas mais il est déjà présent et se fait baptiser par lui : sa joie est que cet Autre soit accueilli. Le Baptiste se reconnaît dans le rôle du Précurseur à la lumière des paroles du prophète Isaïe qu’il reprend à son propre compte. C’est une des grandes leçons spirituelles à retenir de ce temps de l’Avent, pour l’Église, pour nos communautés, pour chacune et chacun. D’une part, nous ne sommes pas le Christ, mais de simples témoins dont la mission est de lui préparer le chemin, dont la joie la plus grande est qu’il soit accueilli, et aussi reconnu.

La joie chrétienne se fonde sur la présence de Dieu au milieu de nous, entre nous, dans la personne de Jésus, son Fils et notre frère. Joie douce en nous, quand nous entrons dans le silence de la prière ou de la contemplation pour l’écouter, lui parler, lui confier notre vie, nos joies et nos soucis, reconnaître sa grâce et notre petitesse. Joie simple et sereine lorsque nous vivons entourés de présence : celle des membres de nos familles, de nos amis, de nos collaborateurs, de nos associations. En ce temps de l’Avent soyons porteurs de joie pour les personnes en détresse, par des visites, des messages de toutes sortes. Nos expériences de confinement nous ont permis de réaliser combien nous avons besoin de communication, d’échanges et de rencontres dans nos sociétés modernes de plus en plus marquées par la technique et le numérique dont l’emploi peut nous isoler et non nous relier.

« Au milieu de nous se tient celui que nous ne connaissons pas » dit le Baptiste, celui que nous connaissons mal aussi. Élargissons les horizons de notre attente et de notre espérance. Cherchons le Christ là où se trouve. N’imitons pas les pratiquants du soupçon. D’abord « ces prêtres et ces lévites » qui veillent sur la résidence de Dieu dans le Temple de Jérusalem. Jean leur paraît dangereux. Ils se déplacent pour lui faire subir un interrogatoire agressif. N’imitons pas non plus les pharisiens repliés dans leurs confréries de purs. Quel Messie pourrait venir hors de leur monde ? Ils attendaient un Messie conforme à leurs attentes, à leurs intérêts et à leurs dogmes. Contrairement à Jean, ils ne reconnaîtront pas Jésus comme le Christ (le Messie) attendu.

Il nous est bon de relire ce qu’a écrit le pape François au sujet de la « Joie d’annoncer l’Évangile » (n°5-6) :

« Le grand risque du monde d’aujourd’hui, avec son offre de consommation multiple et écrasante, est une tristesse individualiste qui vient du cœur bien installé et avare, de la recherche malade de plaisirs superficiels, de la conscience isolée. Quand la vie intérieure se ferme sur ses propres intérêts, il n’y a plus de place pour les autres, les pauvres n’entrent plus, on n’écoute plus la voix de Dieu, on ne jouit plus de la douce joie de son amour, l’enthousiasme de faire le bien ne palpite plus. Même les croyants courent ce risque, certain et permanent. Beaucoup y succombent et se transforment en personnes vexées, mécontentes, sans vie. Ce n’est pas le choix d’une vie digne et pleine, ce n’est pas le désir de Dieu pour nous, ce n’est pas la vie dans l’Esprit qui jaillit du cœur du Christ ressuscité.

Il y a des chrétiens qui semblent avoir un air de Carême sans Pâques. Cependant, je reconnais que la joie ne se vit pas de la même façon à toutes les étapes et dans toutes les circonstances de la vie, parfois très dure. Elle s’adapte et se transforme, et elle demeure toujours au moins comme un rayon de lumière qui naît de la certitude personnelle d’être infiniment aimé, au-delà de tout. Je comprends les personnes qui deviennent tristes à cause des graves difficultés qu’elles doivent supporter, cependant peu à peu, il faut permettre à la joie de la foi de commencer à s’éveiller, comme une confiance secrète mais ferme, même au milieu des pires soucis : « Mon âme est exclue de la paix, j’ai oublié le bonheur ! […] Voici ce qu’à mon cœur je rappellerai pour reprendre espoir : les faveurs du Seigneur ne sont pas finies, ni ses compassions épuisées ; elles se renouvellent chaque matin, grande est sa fidélité ! […] Il est bon d’attendre en silence le salut du Seigneur » (Lm 3, 17.21-23.26). »

Évangile : selon saint Jean – Jn 1, 6-8.19-28