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5ème dimanche de Carême – 21 mars 2021

L’Alliance entre Dieu et son peuple évolue tout au long de son histoire. L’engagement de Dieu et sa fidélité ne changent pas, mais ils se renouvellent sans cesse. Le signe de l’Alliance avec Noé et l’humanité avait été l’arc-en-ciel d’une réconciliation. Pour Abraham, le don d’un fils pour une descendance plus nombreuse que les étoiles du ciel. Avec Moïse, des commandements écrits par Dieu sur des tables de pierre pour que son peuple sorti de l’esclavage vive dans la justice et le droit. À un moment de l’histoire cette Alliance conclue au Sinaï sera mise à mal du fait des infidélités d’Israël. Tout se pervertit et ses péchés le conduisent à l’exil. Cependant Dieu reste fidèle. Alors que tout semble perdu avec la chute de Jérusalem et la déportation d’Israël, s’élève la voix de Jérémie, annonçant une Alliance nouvelle de Dieu, après l’épreuve de l’exil qui s’achèvera quelque cinquante ans plus tard.

Voici venir des jours, déclare le Seigneur, où je conclurai
avec la maison d’Israël et avec la maison de Juda une Alliance nouvelle.
Ce ne sera pas comme l’Alliance que j’ai conclue avec leurs pères,
le jour où je les ai pris par la main pour les faire sortir d’Égypte :
mon Alliance, c’est eux qui l’ont rompue, alors que moi, j’avais des droits sur eux.
Mais voici quelle sera l’Alliance que je conclurai avec la maison d’Israël
quand ces jours-là seront passés, déclare le Seigneur.
Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ;
je l’inscrirai dans leur cœur. Je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple.
Ils n’auront plus besoin d’instruire chacun son compagnon,
ni chacun son frère en disant : « Apprends à connaître le Seigneur ! »
Car tous me connaîtront, des plus petits jusqu’aux plus grands, déclare le Seigneur.
Je pardonnerai leurs fautes, je ne me rappellerai plus leurs péchés.

Cette prophétie de Jérémie marque un tournant décisif dans l’histoire de l’Alliance. Jusque là, elle est présentée comme établie par Dieu avec son peuple, de l’extérieur, en surplomb. Sa volonté s’exprimait d’en haut, par la médiation d’un envoyé, d’un prophète, d’un guide. De surcroît au Sinaï, elle avait été inscrite sur des tables de pierre, par Dieu lui-même, puis par Moïse quand il revint de sa colère (cf Ex 31,18 ; 32 19 ; 34,1). Pas étonnant peut-être que le peuple l’ait mal comprise et accueillie. Était-il préparé à cela ?

On pourrait penser en parcourant l’évolution de l’Alliance, que Dieu lui-même tire des leçons de l’histoire, comme s’il reconnaissait qu’il s’y était mal pris. On peut penser plutôt qu’il se montre patient et pédagogue dans son cheminement avec les hommes et qu’il tient compte des aléas de leur histoire. Ce qu’annonce Jérémie, c’est une Alliance nouvelle sur la base d’une double intériorisation personnelle. Comme si Dieu choisissait de ne plus parler, ne plus intervenir d’en haut et du dehors, mais décidait de venir lui-même sauver l’humanité à partir de l’intérieur de cette humanité. Et plus surprenant encore, d’inscrire son alliance sur le cœur de chaque personne, de se faire connaître à chacun dans un cœur-à-cœur avec lui, au plus intime de lui-même. Exilé lui aussi, le prophète Ézéchiel proclamera comme Jérémie : « Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. J’enlèverai votre cœur de pierre, et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon Esprit : alors vous suivrez mes lois, vous observerez mes commandements et vous y serez fidèles. » (Ez 36, 26-27) À chacun de vivre cette Alliance nouvelle dans son propre cœur – comme le fera Marie -, au plus secret de sa conscience et au détour des méandres de son histoire personnelle. Ce qu’écrit Jérémie annonce l’incarnation et la réalisation plénière de cette Alliance nouvelle et éternelle en la personne du Christ, le Fils de l’homme.

Aux Grecs qui désirent le voir, Jésus, dans l’Évangile selon saint Jean, fait une déclaration importante au moment où s’approchent son procès et sa mort.

…] « L’heure est venue pour le Fils de l’homme d’être glorifié.
Amen, amen, je vous le dis :
si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ;
mais s’il meurt, il donne beaucoup de fruit. Celui qui aime sa vie la perd ;
celui qui s’en détache en ce monde la garde pour la vie éternelle.
Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ;
et là où je suis, là aussi sera mon serviteur.
Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera.
Maintenant je suis bouleversé. Que puis-je dire ?
Dirai-je : ‘Père, délivre-moi de cette heure ?’
– Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci !
Père, glorifie ton nom ! »
Alors, du ciel vint une voix qui disait :
« Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. »
En l’entendant, la foule qui se tenait là
disait que c’était un coup de tonnerre ;
d’autres disaient : « C’est un ange qui lui a parlé. »
Mais Jésus leur répondit :
« Ce n’est pas pour moi que cette voix s’est fait entendre,
c’est pour vous. Voici maintenant que ce monde est jugé ;
voici maintenant que le prince de ce monde va être jeté dehors ;
et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. »
Il signifiait par là de quel genre de mort il allait mourir.

L’heure est venue de la pleine réalisation de l’Alliance annoncée par les prophètes, l’Alliance « nouvelle et éternelle » que Dieu établit de manière définitive en son Fils. Les signes de cette Alliance viennent à la fois du ciel et de la terre dans le récit de Jean. Du ciel c’est une voix qui se fait entendre. Elle glorifie Jésus, le « Verbe fait chair », en qui Dieu s’est fait homme. Elle confirme aussi sa parole : c’est de la terre, du terreau de l’humanité que se manifeste un signe nouveau, comme d’une semence qui meurt et porte du fruit, « non pas d’une semence périssable, mais d’une semence impérissable : sa Parole vivante qui demeure pour toujours », écrira saint Pierre (1 P 1, 23-25).

Le signe d’une croix plantée en terre, élevant au ciel le Fils de Dieu et avec lui toute l’humanité. « Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes, annonce Jésus. » Désormais, la parole de Dieu ne sera plus adressée à l’homme ni d’en haut ni de l’extérieur, mais de l’intérieur de son humanité : l’Alliance nouvelle s’accomplit pleinement dans le Christ que son Père aime et glorifie, qu’il approuve et soutient au moment où il s’apprête à faire don de sa vie par amour.

La loi était inscrite sur des tables de pierre. Désormais la connaissance de Dieu et son Esprit s’inscrivent sur des cœurs de chair, et d’abord pleinement sur le cœur du Christ. Prémisse de la révélation de l’unique commandement de l’amour de Dieu, du prochain et de soi-même. Inauguration d’une relation nouvelle entre Dieu et l’humanité. Le signe de l’Alliance nouvelle n’est plus un arc dans le ciel, c’est le coup de tonnerre révélateur de l’accomplissement de toutes les Alliances et l’inauguration de l’Alliance définitive, le passage du régime de la Loi à celui de la grâce en Jésus Christ Fils de l’homme et Fils de Dieu. Un signe que l’on pourrait qualifier de « coup de foudre », entre le Père et le Fils, entre Dieu et l’humanité. Le don de Dieu en son Fils de l’unique commandement de la Loi nouvelle : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés ; demeurez dans mon amour. […] Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés ». (Jn 15, 9-12) C’est dans l’immanence du Dieu de l’Alliance au cœur des hommes et de leur histoire que s’inscrivent les traces de sa transcendance.

Dès l’origine, Dieu a été amoureux de l’homme, mais ses déclarations n’ont pas été bien interprétées ni bien reçues, car elles venaient de l’extérieur. Il faudra du temps pour que les hommes comprennent les projets de son cœur (ps 32) et tombent amoureux de lui et entrent en dialogue avec lui. Désormais il promet de s’adresser à eux au plus intime d’eux-mêmes, du dedans et d’en bas, car c’est parce que son Fils s’est abaissé que son Père l’a élevé et glorifié comme l’a écrit l’auteur de la Lettre aux Hébreux. (Hé 5, 4-9)

Dieu lui a dit : Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré.
Pendant les jours de sa vie dans la chair,
il offrit, avec un grand cri et dans les larmes,
des prières et des supplications à Dieu qui pouvait le sauver de la mort,
et il fut exaucé en raison de son grand respect.
Bien qu’il soit le Fils, il apprit par ses souffrances l’obéissance
et, conduit à sa perfection, il est devenu
pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel.

L’Alliance n’est pas une affaire de contrats, de commandements dictés du dehors par Dieu mais de connaissance amoureuse qui peut naître d’un cœur aimant. « Tous me connaîtront », recevront ma parole non pas comme une loi extérieure mais comme une volonté d’aimer comme je les aime. On peut penser à ce que chacun peut vivre au fil de son existence. Enfant, c’est d’abord de l’extérieur de lui que lui viennent les conseils, les interdits, les décisions, et progressivement c’est de l’intérieur de sa conscience et son expérience humaine personnelle, sociale, amoureuse qu’il aura lui-même à tracer son chemin, à vivre la fidélité, à se déterminer et prendre ses décisions. Face à ses péchés contre son Père du ciel, comme l’exprime le psaume 50 de ce dimanche, qu’il ne s’enferme pas dans la culpabilisation ou l’humiliation, mais dans la confiance en la fidélité de Dieu et dans la joie d’un cœur et d’un esprit nouveau.

Ouvrons nos cœurs au souffle de Dieu,
car il respire en notre bouche plus que nous-mêmes !
Tournons les yeux vers l’hôte intérieur,
car il habite nos silences et nos prières.

Didier Rimaud (K 79)

Evangile selon saint Jean – Jn12, 20-33