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Fête de la Nativité – 25 décembre 2020

Dans la liturgie du jour de Noël, contrairement à celle de la nuit, ce ne sont plus la naissance de Jésus et ses circonstances qui sont au premier plan. C’est l’aspect fondamental de la foi chrétienne qui est mis en relief et le sens profond de l’incarnation qui est célébré. Dieu se fait homme pour que l’homme soit sauvé et divinisé. Les textes proposent une mise en perspective de toute l’histoire du salut. Isaïe ne nous présente pas les anges qui du haut du ciel proclament la Bonne Nouvelle de la paix, mais un messager qui court sur les montagnes.

Comme ils sont beaux sur les montagnes, les pas du messager,
celui qui annonce la paix, qui porte la bonne nouvelle,
qui annonce le salut, et vient dire à Sion : « Il règne, ton Dieu ! »
Écoutez la voix des guetteurs : ils élèvent la voix,
tous ensemble ils crient de joie car, de leurs propres yeux,
ils voient le Seigneur qui revient à Sion.
Éclatez en cris de joie, vous, ruines de Jérusalem,
car le Seigneur console son peuple, il rachète Jérusalem !
Le Seigneur a montré la sainteté de son bras aux yeux de toutes les nations.
Tous les lointains de la terre ont vu le salut de notre Dieu.

Ce messager voyageur qui annonce la paix et le salut précède les exilés qui vont annoncer à Jérusalem la Bonne Nouvelle du salut et le retour de son peuple libéré. Il montre la sainteté de son bras non seulement à Israël mais à toutes les nations, aux lointains de la terre.

Viennent ensuite deux textes importants du second Testament. L’auteur de l’Épître aux Hébreux présente la venue du Christ comme l’inscription de sa présence dans l’histoire humaine.

À bien des reprises et de bien des manières,
Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes ;
mais à la fin, en ces jours où nous sommes,
il nous a parlé par son Fils qu’il a établi héritier de toutes choses
et par qui il a créé les mondes.
Rayonnement de la gloire de Dieu, expression parfaite de son être,
le Fils, qui porte l’univers par sa parole puissante,
après avoir accompli la purification des péchés,
s’est assis à la droite de la Majesté divine dans les hauteurs des cieux ;
et il est devenu bien supérieur aux anges,
dans la mesure même où il a reçu en héritage un nom si différent du leur.
En effet, Dieu déclara-t-il jamais à un ange :
Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré ?
Ou bien encore : Moi, je serai pour lui un père, et lui sera pour moi un fils ?
À l’inverse, au moment d’introduire le Premier-né dans le monde à venir,
il dit : Que se prosternent devant lui tous les anges de Dieu.

L’œuvre de Dieu avait été annoncée dans une suite de paroles adressées à l’humanité par bien des prophètes. Mais cette fois elle se réalise en la venue de son propre Fils « qu’il a établi héritier de toutes choses et par qui il a créé les mondes. Reflet resplendissant de la gloire du Père, expression parfaite de son être, il inaugure des temps qui sont derniers. » Saint Jean lui aussi dans un autre langage témoigne du même mystère dans le prologue de son Évangile.

Au commencement était le Verbe,
et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu.
Il était au commencement auprès de Dieu.
C’est par lui que tout est venu à l’existence,
et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui.
En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes ;
la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée. […]
Le Verbe était la vraie Lumière, qui éclaire tout homme en venant dans le monde.
Il était dans le monde, et le monde était venu par lui à l’existence,
mais le monde ne l’a pas reconnu.
Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu.
Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu,
eux qui croient en son nom.
Ils ne sont pas nés du sang, ni d’une volonté charnelle,
ni d’une volonté d’homme : ils sont nés de Dieu.
Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire,
la gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité.
Jean le Baptiste lui rend témoignage en proclamant : « C’est de lui que j’ai dit :
Celui qui vient derrière moi est passé devant moi, car avant moi il était. »
Tous nous avons eu part à sa plénitude, nous avons reçu grâce après grâce ;
car la Loi fut donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ.
Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, lui qui est Dieu,
lui qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître.

Jean l’évangéliste nous présente le Christ comme le Verbe de Dieu et il insiste sur le réalisme de l’incarnation : « Le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité. » Ainsi la fête de Noël n’est pas d’abord la fête de l’enfance et de la naissance du « petit Jésus ». Elle est la fête de la Parole que Dieu adresse aux hommes en prenant chair de leur chair et sang de leur sang, en venant en personne habiter au milieu d’eux, avec eux, en eux.

La parole est par excellence ce qui fait de nous des humains à l’image de Dieu, car il est lui-même Parole agissante, créatrice, Verbe actif créateur de vie, et pas seulement être ou idée. « Dieu dit et cela fut ainsi » affirme le récit de la création. « Par le Verbe, par la parole agissante de Dieu, tout s’est fait, et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui », confirme Jean. Parole créatrice d’Alliance quand il l’accomplit et entre en conversation avec Abraham, lui promettant fidélité et fécondité. Créatrice de vie éternelle pour les hommes quand son Fils, vivant près de lui, Dieu comme lui, naît de notre humanité, de notre chair et de notre sang pour que nous naissions de sa divinité. Le tout puissant se fait tout petit et revêt la fragilité de notre condition humaine charnelle, fragile.

Noël est la fête du Verbe de Dieu. Dans le langage courant le verbe est différent des autres mots. Contrairement aux mots concrets ou abstraits, il indique une action, une mise en mouvement et en relation, il fait exister la parole de relation, de communication, d’amour. Et la foi chrétienne est d’abord écoute, accueil de cette Parole faite chair que les oreilles entendent, que les yeux peuvent voir, que les mains peuvent toucher (1 Jn 1 1-2). Le Verbe murmure et prend naissance au fond du cœur du croyant pour qu’à son tour il prenne la parole et la fasse retentir, comme dit saint Paul : « J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé » (2 Co, 4, 13). En cette fête de Noël, laissons retentir et méditons ce que dit la Constitution de Vatican II sur la Parole de Dieu. « Le Dieu invisible s’adresse aux hommes en son immense amour ainsi qu’à des amis ; il s’entretient avec eux pour les inviter et les admettre à partager sa propre vie (n°2). Le Père qui est aux cieux vient avec tendresse au-devant de ses fils et entre en conversation avec eux. (n°21) »

En son Fils, Dieu se fait connaître comme Père, il déclare son amour, sa miséricorde. Il ne s’adresse pas aux hommes d’en haut, du dehors, comme un ange venu du ciel, ou dans des fracas de films hollywoodiens, comme un despote solitaire et arbitraire. Jésus parle aux humains du dedans de leur humanité, comme un parent, un voisin, un ami qui partage tout de ce qu’ils vivent. Il naît comme tous les enfants, il rit et pleure, il aime et est trahi, il souffre et il meurt. Il leur parle tout autant par ses choix, ses engagements d’être humain que par ses propos. Il leur parle par son attitude vis-à-vis des hommes, des femmes, des enfants, vis-à-vis des riches et des pauvres, des justes et des pécheurs, vis-à-vis des puissants et des humbles, des chefs politiques et religieux. Une attitude souvent imprévisible qui les surprend, les scandalise ou les émerveille. Ils ne s’attendaient pas à de telles attitudes de la part d’un dieu. Les gens de pouvoir et de richesse en prennent peur, le rejettent et le condamnent car il remet en cause leur manière de parler de lui.

Jésus a pris le risque de n’être pas reconnu par le monde. C’est bien encore le cas. Quand on parle de Dieu, il est rare qu’on fasse allusion d’abord à l’Évangile. Jésus a pris le risque de n’être pas reçu non plus par les siens, par ceux qui prétendaient être ses amis. Ils prétendaient connaître les pensées et les volontés de Dieu et l’avaient enfermé dans des idéologies, des prescriptions, des intransigeances. Le Verbe de Dieu s’est manifesté d’en bas, sans titre de noblesse, sans appui politique, sans force armée, sans qualification universitaire. Né à Bethléem, établi à Nazareth d’où rien ne pouvait sortir de bon. Telle est la pédagogie de Dieu à Noël pour se faire connaître, telle sera la pédagogie de son Fils tout au long de l’Évangile pour manifester et accomplir la volonté de son Père.

La fête de Noël est un appel pressant à mettre la Parole de Dieu et les Écritures au cœur de notre foi personnelle, de notre vie en Église, des responsabilités et des missions qui sont les nôtres. Un appel pressant à faire de notre foi une acceptation d’entrer en conversation avec Dieu qui nous parle comme à des amis, et d’agir comme lui.