Quarante jours après le 25 décembre, voici le 2 février, une date festive depuis des siècles. Fête celtique et fête romaine de la lumière renaissante. Date du réveil des marmottes en Amérique. Mythe lointain comme le rappelle un vieux proverbe : « Si point ne veut de blé charbonneux, mange des crêpes à la Chandeleur ».
Fête juive liée au rite de la présentation au Seigneur d’un premier-né de sexe masculin quarante jours après sa naissance (Ex 13, 11-13) et démarche de purification pour réintégrer une jeune mère ayant accouché (Lv 12 6-8). La fête chrétienne du 2 février sera instaurée en 472 par le pape Gélase qui a organisé à Rome des processions aux « chandelles ». Les deux rites de la loi juive inspireront cette datation par l’Église qui lui a donné un double sens. Elle célèbre la Purification de Marie quarante jours après son accouchement. Elle célèbre surtout la Présentation au Temple, de Jésus lumière du monde. Elle s’inspire du récit de saint Luc qui l’associe à la rencontre de Jésus avec Syméon et à la présence d’Anne.
Le prophète Malachie au 5e s avant JC avait annoncé la venue dans le Temple d’un messager de l’Alliance.
[..] Soudain viendra dans son Temple le Seigneur que vous cherchez,
le messager de l’Alliance que vous désirez.
Le voici qui vient, dit le Seigneur de l’univers. […]
Il s’installera pour fondre et purifier.
Il purifiera les fils de Lévi, il les affinera comme l’or et l’argent :
ainsi pourront-ils, aux yeux du Seigneur, présenter l’offrande en toute justice.
Alors l’offrande de Juda et de Jérusalem sera bien accueillie du Seigneur,
comme il en fut aux jours anciens, dans les années d’autrefois.
Après le retour d’exil et la reconstruction du Temple, Malachie est désolé de voir s’y dégrader le culte chez les prêtres et les fidèles ainsi que l’injustice toujours renaissante au sein du peuple. Comment Dieu pourrait-il accueillir les offrandes et les prières célébrées dans un tel contexte ? Le messager de l’Alliance viendra dans le Temple, dit le prophète, pour dénoncer les infidélités d’Israël. Il est facile d’établir un lien entre ce que dit Malachie et des épisodes dans les évangiles, où il est question du rapport au Temple qu’entretenaient Jean-Baptiste et Jésus. Comme Jean, Jésus a dénoncé les dégradations formalistes et commerciales du culte qu’on y célébrait, et n’a pas ménagé ses critiques vis-à-vis du comportement des prêtres. Il a enseigné de manière nouvelle dans le Temple et chassé avec violence les animaux ainsi que les commerçants qui en ont fait une « maison de trafic », « une caverne de bandits » comme le racontent les 4 évangiles. Il y a même accompli des guérisons et laissé s’exprimer la joie des enfants au scandale des chefs des prêtres et des scribes comme le raconte saint Matthieu. (Mt 21, 12-17)
Saint Luc raconte dans son style imagé, les événements qui se sont déroulés au Temple. Après le huitième jour, celui de la circoncision où l’enfant a reçu le nom de Jésus, viennent les quarante jours prescrits par la loi de Moïse pour la purification. Les parents de Jésus l’amènent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur. Ils viennent présenter le sacrifice d’un couple de tourterelles ou deux petites colombes. C’était là l’offrande des pauvres.
Or, il y avait à Jérusalem un homme appelé Syméon.
C’était un homme juste et religieux,
qui attendait la Consolation d’Israël et l’Esprit Saint était sur lui.
L’Esprit lui avait révélé qu’il ne verrait pas la mort
avant d’avoir vu le Messie du Seigneur.
Poussé par l’Esprit, Syméon vint au Temple.
Les parents y entraient avec l’enfant Jésus
pour accomplir les rites de la Loi qui le concernaient.
Syméon prit l’enfant dans ses bras, et il bénit Dieu en disant.
« Maintenant, ô Maître, tu peux laisser ton serviteur
s’en aller dans la paix, selon ta parole.
Car mes yeux ont vu ton salut,
que tu as préparé à la face de tous les peuples :
lumière pour éclairer les nations païennes, et gloire d’Israël ton peuple. »
Le père et la mère de l’enfant s’étonnaient de ce qu’on disait de lui.
Syméon les bénit, puis il dit à Marie sa mère :
« Vois, ton fils qui est là provoquera la chute
et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de division.
— Et toi-même, ton cœur sera transpercé par une épée. –
Ainsi seront dévoilées les pensées secrètes d’un grand nombre. »
Il y avait là une femme qui était prophète,
Anne, fille de Phanuel, de la tribu d’ Aser.
Demeurée veuve après sept ans de mariage,
elle avait atteint l’âge de quatre-vingt-quatre ans.
Elle ne s’éloignait pas du Temple,
servant Dieu jour et nuit dans le jeûne et la prière.
S’approchant d’eux à ce moment,
elle proclamait les louanges de Dieu et parlait de l’enfant
à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem.
Lorsqu’ils eurent accompli tout ce que prescrivait la loi du Seigneur,
ils retournèrent en Galilée, dans leur ville de Nazareth.
L’enfant grandissait et se fortifiait, tout rempli de sagesse,
et la grâce de Dieu était sur lui.
De nombreux détails symboliques dans ce texte de Luc : les chiffres, les expressions de louange, les rencontres surtout auxquelles la démarche des parents a donné lieu. Une rencontre, un passage de relai entre le premier et second Testament. Syméon et Anne, comme Marie et Joseph sont des pauvres, des humbles du premier Testament. Ils viennent présenter au cœur de Jérusalem, dans le Temple, celui qui vient comme Messie et Sauveur d’Israël, et qui sera signe de division : certains se réjouiront devant ses prises de position, son comportement, ses dénonciations, ses annonces de salut, d’autres le rejetteront et le feront mourir. Ils transperceront son corps crucifié ainsi que le cœur de sa mère. Syméon est un homme juste et religieux, nous dit-on. Il n’appartient pas à la caste sacerdotale. Anne n’est qu’une pauvre veuve, qualifiée cependant de prophétesse par l’évangéliste. Peut-être figure-t-elle dans son récit, parce qu’elle rappelle la figure d’une autre Anne, la mère de Samuel présentant aussi son fils au temple et bénissant le Seigneur. Son âge (7 fois 12 ans) symbolise une plénitude d’accomplissement, un terme et un commencement. Peut-être aussi, comme Élisabeth, elle représente l’épouse de la première Alliance qui a pris de l’âge ! Anne et Syméon, comme les parents de Jésus, obéissent à la Loi commune, comme tout le monde. La mention des « colombes » offertes au Temple par les pauvres sera reprise dans l’Évangile de Jean. En effet c’est aux « marchands de colombes » que Jésus s’adressera quand il les chassera du temple, peut-être choqué par le fait que les pauvres eux-mêmes devaient payer pour offrir à Dieu leurs sacrifices, comme ses parents l’avaient fait pour lui !
L’extrait de la lettre aux Hébreux que nous lisons aujourd’hui est un résumé saisissant des deux grands mystères chrétiens : l’incarnation et la rédemption.
Puisque les hommes ont tous une nature de chair et de sang,
Jésus a voulu partager cette condition humaine :
ainsi, par sa mort, il a pu réduire à l’impuissance
celui qui possédait le pouvoir de la mort, c’est-à-dire le démon,
et il a rendu libres ceux qui, par crainte de la mort,
passaient toute leur vie dans une situation d’esclaves.
Car ceux qu’il vient aider, ce ne sont pas les anges,
ce sont les fils d’Abraham.
Il lui fallait donc devenir en tout semblable à ses frères,
pour être, dans leurs relations avec Dieu,
un grand prêtre miséricordieux et fidèle,
capable d’enlever les péchés du peuple.
Ayant souffert jusqu’au bout l’épreuve de sa Passion,
il peut porter secours à ceux qui subissent l’épreuve.
Jésus est présenté comme un être humain tout comme les autres, avec une nature de chair et de sang, en tout semblable à ses frères, semblable à Dieu, miséricordieux et fidèle. Mais l’auteur met en relief une grande nouveauté. Unique grand-prêtre de l’Alliance nouvelle, il offrira en sacrifice son propre corps qui sera le temple nouveau (Jn 2, 21). Son offrande s’accomplira « en toute justice », car au lieu d’offrir pour les autres du sang de colombes ou de tourterelles, il offrira le sang de son propre corps. Son sacrifice sera celui de sa personne, semblable à une colombe de paix, aux ailes étendues et clouées sur une croix.
Évangile : selon saint Luc, 2, 22-40