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Sainte Trinité – 30 mai 2021

La fête de la très sainte Trinité se présente comme la contemplation d’un mystère dont l’Église fête le dévoilement au long de chaque année liturgique, en suivant un parcours spirituel de fête en fête, de dimanche en dimanche. On pourrait comparer ce parcours à l’évocation d’une histoire d’amour, au fil des étapes de sa progression. D’abord, à Noël et l’Épiphanie, la venue de Dieu dans l’humanité. Il se révèle à elle comme un Père qui a donné et envoyé son Fils dans le monde des humains pour vivre avec eux leur histoire. Puis à Pâques, la glorification, et la résurrection de son Fils par le Père. Il a aimé si fort ses frères et sœurs en humanité qu’il est allé jusqu’à donner sa vie pour eux. Et enfin à la Pentecôte, qui célèbre l’irruption de l’Esprit du Père et du Fils en chacun des disciples et l’inauguration d’une culture évangélique entre les peuples.

C’est à la toute fin de l’Évangile de saint Matthieu que l’on trouve une des premières formulations de la foi trinitaire de l’Église, celle qui est au cœur de la célébration du baptême et accompagne aussi nos signes de croix et nos bénédictions : « Au nom du Père et Fils et du Saint-Esprit ». Viendra ensuite la prière eucharistique où l’Église rend grâce « au Père par le Christ, avec lui et en lui dans l’unité du Saint-Esprit ».

Les onze disciples s’en allèrent en Galilée,
à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre.
Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais certains eurent des doutes.
Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles :
« Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre.
Allez ! De toutes les nations faites des disciples :
baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit,
apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé.
Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »

Dans le premier Testament est racontée la révélation de Dieu comme un Dieu d’Alliance et de relation avec un peuple, différent des divinités païennes. Elle a été longue et progressive. Le texte du Deutéronome de ce dimanche en fait état.

Interroge donc les temps anciens qui t’ont précédé, […]
Est-il un peuple qui ait entendu comme toi
la voix de Dieu parlant du milieu du feu, et qui soit resté en vie ?
Est-il un dieu qui ait entrepris de se choisir une nation,
de venir la prendre au milieu d’une autre,
à travers des épreuves, des signes, des prodiges et des combats,
à main forte et à bras étendu, et par des exploits terrifiants
— comme tu as vu le Seigneur ton Dieu le faire pour toi en Égypte ?
Sache donc aujourd’hui, et médite cela en ton cœur :
c’est le Seigneur qui est Dieu,
là-haut dans le ciel comme ici-bas sur la terre ; il n’y en a pas d’autre.
Tu garderas les décrets et les commandements du Seigneur
que je te donne aujourd’hui, afin d’avoir, toi et tes fils,
bonheur et longue vie sur la terre
que te donne le Seigneur ton Dieu, tous les jours.

Dans le second Testament, ce sont surtout les écrits de saint Jean et de saint Paul qui manifestent très fortement le caractère trinitaire de la foi et du langage des premiers chrétiens. Quand l’apôtre Paul écrit aux églises, la Trinité est omniprésente dans sa manière de s’exprimer. Ce qu’il écrit aux Romains (8, 14-17) en témoigne.

Frères, tous ceux qui se laissent conduire par l’Esprit de Dieu,
ceux-là sont fils de Dieu. Vous n’avez pas reçu un esprit
qui fait de vous des esclaves et vous ramène à la peur ;
mais vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ;
et c’est en lui que nous crions « Abba ! », c’est-à-dire : Père !
C’est donc l’Esprit Saint lui-même qui atteste à notre esprit
que nous sommes enfants de Dieu.
Puisque nous sommes ses enfants, nous sommes aussi ses héritiers :
héritiers de Dieu, héritiers avec le Christ,
si du moins nous souffrons avec lui pour être avec lui dans la gloire.

Dieu est Père, Fils et Esprit Saint. Il est relation, amour, communion. En quelques mots tout simples, quelque vingt ans après la mort de Jésus et sa résurrection, Paul présente la foi aux chrétiens de Rome de manière totalement neuve. Fini le temps de se situer dans une relation de maître à esclave, le temps d’avoir peur d’un Dieu terrible et arbitraire, qui intervient à tout propos, exauce ou punit… L’Esprit Saint est venu libérer de cette peur : il établit entre Dieu et les croyants, une relation de dignité, de confiance et d’affection. La relation d’un Père aimant à ses enfants, qui sont les frères et sœurs de son Fils bien-aimé. Avant Jésus, Dieu était déjà considéré comme un Père pour Israël, dans le cadre de l’Alliance. Mais le nom « Abba », (papa chéri) que lui a donné Jésus, même au moment de détresse à Gethsémani, et que reprendra Paul, était réservé au cercle familial. En Jésus, il se révèle comme le Père des membres de « toutes les nations ».

La fête de la sainte Trinité est la fête de la véritable dignité des êtres humains qui sont des fils et héritiers du Père, des êtres libres et non des esclaves exploitables et méprisables. Avec le Christ, leur frère aîné, ils ont part à tous les biens spirituels. S’ils souffrent avec lui et vivent comme lui, ils auront part à sa gloire. La vie trinitaire a été révélée par le Christ comme une cohabitation, une communion heureuse entre le Père, le Fils et l’Esprit Saint. C’est le cœur du mystère de la foi : ayant reçu l’Esprit d’adoption par le baptême, établis comme fils et configurés au Fils, les croyants entrent dans la cohabitation divine, sont introduits dans la communion avec Dieu. Et il leur est donné de réaliser cette communion dans tous les rapports qu’ils entretiennent avec leurs frères et sœurs en humanité, de vivre au souffle de l’Esprit qui repose sur eux et les envoie, à la ressemblance du Christ, accomplir les mêmes œuvres que lui. Le Concile Vatican 2 a bâti la constitution sur l’Église à partir de la communion trinitaire, pour en vivre concrètement et en témoigner dans le monde.

Elle est l’Église du Père d’abord, le peuple de Dieu. Il y a une véritable égalité entre ses membres et entre tous les humains. « Vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ ; il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus. » (Gal 3, 28-29). Le baptême est le passage d’une structure purement hiérarchique à un régime d’égalité, et de communion. Qu’ils soient de nation, de races, de statut social, de sexes différents, tous sont baptisés du même baptême, et peuvent être appelés aux mêmes services et ministères.

Elle est l’Église du Christ ensuite. Elle est son Corps composé de membres différenciés. Il n’y a plus en elle de notion de supériorité ou d’infériorité des personnes, mais de manières diverses et complémentaires de servir. Dans un corps tous sont nécessaires pour que le corps fonctionne bien. On ne peut pas envisager l’Église comme un organisme centralisé autour d’un sommet mais comme une organisation dynamique qui a mission de vivre et d’annoncer l’Évangile.

Elle est l’Église de l’Esprit Saint, enfin. Elle est demeure de l’Esprit, c’est-à-dire structure de vie commune, elle est Église-communion. Ce qui invite ses membres à vivre ensemble de manière évangélique, fraternelle dans la maison commune. Quel que soit le don de chacun et si modeste soit-il, il est invité à le faire fructifier pour le bien de tous. Ce don est comme un « talent de vie » pour son épanouissement personnel, et celui des autres.

Evangile selon saint Mathieu, Mt 28-16,20