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Compte rendu : exposition À cœurs ouverts au Musée Dobrée, Nantes

Le parcours permanent du musée Dobrée de Nantes conserve un objet emblématique qui a inspiré l’exposition À cœur ouvert : le cardiotaphe d’Anne de Bretagne (1477‑1514). Chef‑d’œuvre d’orfèvrerie médiévale, il abrita jadis le cœur embaumé de celle qui fut duchesse de Bretagne et reine de France. Écrin organique, symbole d’attachement à Nantes, objet chrétien et signe politique, ce reliquaire a orienté les commissaires dans l’exploration des multiples dimensions de cet organe singulier. À travers les siècles, le cœur, organe caché et intime, a pris des formes variées et des sens multiples, jusqu’à devenir « ce petit cœur rouge à la diffusion planétaire ». Les œuvres issues des collections du musée Dobrée, enrichies de prêts extérieurs, témoignent de cette diversité. De l’intime à l’universel, du corps à la politique, du cœur amoureux au cœur sacré, l’exposition invite à redécouvrir l’histoire d’un symbole familier dont la complexité dépasse les apparences.

Le cœur organe

Le premier volet de l’exposition est consacré au cœur comme organe, que tâchent de soigner les médecins. L’exposition montre des planches d’anatomie, le premier stéthoscope du docteur René Laennec – médecin breton né à Quimper en 1781, inventeur de l’instrument en 1816 – ainsi que des pacemakers et des cœurs artificiels.  L’invention de Laennec marque une étape décisive dans l’écoute du cœur et rappelle combien cet organe, à la fois objet d’étude scientifique et symbole culturel, occupe une place singulière dans notre histoire.

On apprend également qu’en Grèce, aux Ve et IVe siècles avant notre ère, un débat agitait les philosophes. Certains comme Platon considéraient que le cerveau est l’organe principal de la pensée ; c’est le cérébrocentrisme. D’autres, à l’instar d’Aristote, attribuaient au cœur la faculté de penser : c’est le cardiocentrisme. Les idées d’Aristote prévaudront jusqu’à la Renaissance. Avec la pratique croissante des dissections, le cœur perd progressivement son rôle de siège de la pensée et des émotions au profit du cerveau. Notons que dans l’Égypte antique, c’est le cœur qui abritait le siège de la mémoire et des pensées. L’exposition montre un papyrus peint sur la pesée du cœur (siège de l’âme) ou « psychostasie » et des amulettes de cœur.

Le cœur symbolique

La deuxième partie de l’exposition traite du cœur comme symbole. Le cœur est présent dans les textes religieux et médicaux mais très peu représenté avant le XIIe siècle, période où apparaît le fin’amor ou amour courtois chanté par les troubadours et trouvères. Dans cet univers, le cœur occupe une place centrale. Offrir son cœur, pour un chevalier, c’est remettre sa personne entière à sa Dame, comme le vassal remet sa vie entre les mains de son suzerain. À côté de l’amour courtois, le cœur symbolise également de nombreuses vertus : intelligence, courage, charité… Les livres d’emblèmes du XVIe siècle illustrent ce phénomène. Le motif du cœur entre alors dans la composition de très nombreux emblèmes : amitié, sincérité, amour divin, conscience, concorde, tourment d’amour, béatitude, etc.

Le cœur sacré

L’exposition développe aussi le thème du cœur sacré. Siège de la volonté et de l’intellect, le cœur reste caché aux yeux des mortels mais demeure accessible à Dieu. Progressivement, le christianisme va donner une importance notable à la symbolique du cœur. Déjà aux XIIe et XIIIe siècles, des miracles liés au cœur apparaissent dans les vies de saints. Le motif s’impose ensuite dans les livres de prière, avant que son image ne se multiplie durablement dans l’iconographie religieuse catholique du XVIᵉ au XIXᵉ siècle.

L’exposition présente l’exceptionnelle carte dite des Cœurs (en réalité intitulée Carte de l’Exercice quotidien pour tout homme chrétien qui désire parvenir à la vie éternelle – classée Monument historique – 92,5 x 73,5 cm), commanditée vers 1633 par Dom Michel Le Nobletz au dessinateur Alain Lestobec du Conquet, rarement montrée au public et sortie pour l’occasion des réserves des archives diocésaines de Quimper et Léon. Ce document rare du XVIIe siècle illustre une véritable cartographie spirituelle, où chaque cœur traduit un état moral ou religieux. On découvre également quatre tableaux d’une série de douze tableaux de mission ou taolennou datant de la fin du XIXᵉ siècle, eux-aussi conservés aux archives diocésaines de Quimper et Léon.

La Carte des Coeurs de Michel Le Nobletz et quatre taolennou exposés

Parallèlement à la diffusion de cette iconographie mettant en scène le cœur du fidèle chrétien, une nouvelle dévotion apparaît au XVIIᵉ siècle : celle du cœur de Jésus, désormais appelé Sacré‑Cœur. Elle puise ses racines dans l’évangile de saint Jean (7,37‑38 ; 15,9.15 ; 19,34) et dans la dévotion aux cinq plaies du crucifié (ce que l’exposition ne mentionne pas). Elle prend son essor grâce aux écrits de saint Jean Eudes, de saint François de Sales et surtout aux visions de sainte Marguerite‑Marie Alacoque (1647‑1690) à Paray‑le‑Monial.

L’exposition fait aussi découvrir de magnifiques petits cœurs de dévotion (en cuivre, argent ou laiton doré) de la fin du XIXᵉ siècle, conservés aux archives diocésaines de Nantes, ainsi que des modèles de « croix Jeannette ». Ces cœurs de dévotion étaient conçus pour contenir des prières ou des messages sur papier ; l’objet était ensuite confié par le croyant à une statue de sainte ou de saint, souvent lors d’un pèlerinage ou d’une fête. Les croix Jeannette, quant à elles, se composaient d’une croix surmontée d’un coulant en forme de cœur, permettant de réunir les liens du collier en ruban de velours, cordon ou chaînette.

Petits cœurs de dévotion (fin du XIXᵉ siècle, Archives diocésaines de Nantes)

Le cœur politique

L’exposition s’achève sur le thème du cœur politique avec un manuscrit sur vélin de 1514 (Commemoracion et advertissement de la mort de très chrestienne et tres haulte, tres puissante et tres excellente princesse ma tres redoubtée et souveraine dame madame Anne…), figurant le cardiotaphe surmonté d’une couronne abritant le cœur de la duchesse Anne, qui avait souhaité que son cœur repose dans sa ville de Nantes. Le cardiotaphe d’Anne de Bretagne est visible dans les salles permanentes du musée Dobrée, que l’on peut visiter à l’issue de l’exposition. Celle‑ci montre également une copie du Transi de René de Chalon du sculpteur lorrain Ligier Richier (conservé au Musée barrois de Bar‑le‑Duc), plusieurs cardiotaphes, et deux « boîtes à crâne » exceptionnellement sorties de la cathédrale de Saint‑Pol‑de‑Léon.

On apprend ici que le cœur fit son entrée en politique dès la fin du Moyen Âge. Le roi est alors pensé comme le cœur de son royaume, guidant les actions du corps de la nation constitué de ses sujets. Le bon souverain fait naître l’amour dans le cœur de ses sujets, et il se doit de les aimer en retour. Le cœur vendéen servira également d’emblème aux chouans puis aux contre‑révolutionnaires, tandis que certains révolutionnaires reprendront ce motif du cœur accompagné d’une pique et d’un bonnet phrygien ! Dans la France contemporaine, le cœur reste présent en politique, mais le motif est aussi largement utilisé par le monde associatif et dans l’engagement citoyen, comme le montrent plusieurs affiches.

Le cœur universel et contemporain

Notons aussi que l’exposition dialogue avec l’art contemporain. Andy Warhol transpose l’organe dans l’univers pop avec ses sérigraphies Human Heart. Annette Messager propose un Cœur au repos, fragile petit filet suspendu. Christian Boltanski, dans son installation Cœur, fait battre une ampoule au rythme de son propre cœur, projet universel de mémoire. Reliquaires anciens et œuvres contemporaines se répondent.

 Ainsi, l’itinéraire conçu par les commissaires Julie Pellegrin et Yann Lignereux au Musée Dobrée révèle la richesse des significations attachées au cœur : siège de l’âme, objet de foi, objet médical ou icône culturelle. À travers les siècles, il n’a cessé d’être un miroir des croyances et des émotions humaines.

H. Queinnec et K. Loussouarn

📍 À cœurs ouverts est visible au Musée Dobrée, Nantes, du 17 octobre 2025 au 1er mars 2026. Un parcours où le cœur bat à la fois au rythme des traditions bretonnes et des créations contemporaines.

📍 Un catalogue d’exposition a été publié à cette occasion, À cœurs ouverts, sous la direction de Yann Lignereux et de Julie Pellegrin, aux Presses Universitaires de Rennes (184 pages, 22 x 28 cm, 29 €, isbn 9791041303601)