Le mercredi 5 novembre, la salle Yves Moraud de la faculté des Lettres et Sciences humaines Victor Segalen à Brest a accueilli un public nombreux venu assister à la soutenance de thèse de doctorat de Maïna Sicard-Cras. La jeune chercheuse bretonnante, également journaliste sur France 3, présentait un travail d’histoire contemporaine intitulé « De Feiz ha Breiz à Feiz sans Breizh : histoire d’un divorce. L’Église catholique et la langue bretonne de 1945 à nos jours ».
Pendant plus de trois heures, la candidate a exposé et défendu les résultats d’une enquête approfondie, fondée sur l’étude des archives diocésaines de Quimper, Saint-Brieuc et Vannes, des fonds du Bleun-Brug conservés à l’abbaye de Landévennec, de la Presse numérisée, ainsi que des collections du Centre de recherche bretonne et celtique de l’université de Brest. Elle a également mené des entretiens avec quinze prêtres ayant participé à la pastorale en langue bretonne au cours des dernières décennies, ce qui lui a permis de croiser les sources écrites avec des témoignages directs.
La thèse, forte de 618 pages, s’articule en trois volets qu’elle a intitulés « Illusion », « Désillusion » et « Allusion ». L’illusion correspond à l’après-guerre, quand l’on espérait encore sauver le breton dans la liturgie. La désillusion s’installe après Vatican II, alors même que l’usage des langues vernaculaires est autorisé, mais que le breton recule inexorablement. Enfin, l’allusion décrit la situation actuelle, où la langue bretonne n’apparaît plus que sporadiquement, au détour d’un cantique ou d’une prière lors de funérailles.
Le jury, présidé par Yvon Tranvouez, professeur émérite à l’Université de Bretagne Occidentale (UBO), comprenait Fabrice Bouthillon, professeur à l’UBO et directeur de thèse, Eva Guillorel, maître de conférences HDR à l’Université de Rennes II et rapporteur, Ronan Calvez, professeur à l’UBO et rapporteur, Myriam Guillevic, maître de conférences à Rennes II, ainsi que Marie Levant, chercheuse Marie Curie et membre de l’École française de Rome. Il a salué la richesse des analyses et la pertinence des sources mobilisées. Les échanges ont également mis en évidence le pragmatisme de l’Église, dont la mission est de s’adresser aux fidèles dans la langue qu’ils comprennent, plutôt que de défendre une langue désormais minoritaire.
Le travail de Maïna Sicard-Cras débute au sortir de la Seconde Guerre mondiale, à une époque où la langue bretonne est déjà en voie de disparition des foyers. L’enquête des séminaristes de Quimper en 1946 montre pourtant que plus de la moitié des prêtres du Finistère prêchent encore en breton, alors que la jeunesse aspire à parler français. Selon les études, près de 1 100 000 Bretons étaient encore bretonnants au début des années 1950. Malgré l’action du Bleun-Brug, la débretonnisation progresse rapidement, accompagnée d’une déchristianisation des jeunes générations. En 1963, année de promulgation de la constitution Sacrosanctum Concilium à Vatican II qui autorise l’usage des langues vernaculaires dans la liturgie, le breton est déjà devenu presque étranger aux pratiques religieuses. La question centrale de la thèse est donc posée : pourquoi, malgré la réforme liturgique issue du concile Vatican II, une liturgie bretonne n’a-t-elle pas pu voir le jour en Bretagne, hormis quelques initiatives isolées ?
L’analyse chronologique en trois temps permet d’apporter des éléments de réponse. La première partie, « Illusion », décrit l’abandon progressif du breton dans la vie religieuse, alors que certains acteurs espèrent encore retrouver la situation du début du XXe siècle. La deuxième, « Désillusion », couvre la période post-conciliaire jusqu’à la création en 1984 du Minihi-Levenez à Tréflévénez, et montre combien le breton devient invisible et inaudible dans l’Église. Les années 1970 marquent un tournant : la jeunesse se politise, s’investit dans l’enseignement et la culture, tandis que les nouveaux prêtres issus de l’Action catholique rejettent ce qui leur paraît « traditionnel » et « arriéré ». Enfin, la troisième partie, « Allusion », décrit la période de 1984 à nos jours, où le breton n’est plus qu’une présence résiduelle, réduit à quelques cantiques ou prières lors de cérémonies.
L’étude met en avant trois grandes raisons de cet échec : l’absence de ligne directrice imposée par les évêques, le manque d’unité entre les défenseurs du breton (avec des querelles parfois lourdes d’arrière-pensées politiques…), et la disparition de la langue bretonne de l’espace public. La question de la langue est ainsi reléguée au rang d’affaire locale et minoritaire, alors que l’Église veut se concentrer sur sa mission universelle et spirituelle.
À l’issue de la soutenance, Maïna Sicard-Cras a été proclamée docteure en histoire contemporaine. La publication de cette thèse est désormais attendue avec impatience, tant elle éclaire de manière inédite le rapport complexe entre catholicisme et langue bretonne depuis 1945.
H.Q.