Ac 16, 1-10 ; Ps 99 ; Jn 15, 18-21
Homélie retranscrite à partir d’un enregistrement
Frères et sœurs,
Nous arrivons au terme de ma visite pastorale parmi vous. J’ai effectué de nombreuses visites et rencontres, et je n’ai guère parlé, hormis dans mes homélies. J’étais avant tout présent pour observer et écouter, et j’ai pris des notes. Je prendrai du recul pour rendre compte à l’équipe pastorale de cette visite et peut-être à vous tous ; le curé décidera.
Je trouve que les lectures de ce sixième dimanche de Pâques donnent sens à cette visite.
Ceux qui étaient présents à Crozon lors de la messe d’ouverture, mercredi dernier, se souviennent que j’avais souligné combien le texte des Actes des Apôtres était éclairant, puisqu’il s’agissait d’une visite pastorale dès les débuts de l’Église. Durant toutes les messes de cette semaine, nous avons lu ce récit que nous connaissons sous le nom de « controverse d’Antioche » : un conflit parmi les premiers au sein de l’Église, qu’il fallut résoudre. Je trouve que la façon de procéder constitue un exemple intéressant de visite pastorale.
En quoi ce texte nous éclaire-t-il ? Cette visite des apôtres nous éclaire, car, premièrement, l’Église a toujours eu des défis à relever, tant pastoraux que théologiques. Il n’a jamais été facile. Comme vous le savez, cette année, nous célébrons les 1 700 ans du Concile de Nicée de 325, qui visait déjà à résoudre un problème théologique concernant la divinité du Christ. Là encore, nous constatons qu’il s’agissait d’un défi pour les chrétiens, dès les premiers temps de l’Église, de déterminer la façon d’intégrer dans la communauté les païens convertis et d’établir les exigences relatives à leur mode de vie. Nous y discernions déjà les prémices de la doctrine sociale de l’Église.
En presqu’île de Crozon, quels sont les défis à relever ? J’ai noté quelques points, sans que ce soit exhaustif.
Il existe d’abord des aspects remarquables. La géographie est étonnante : la presqu’île dessine une forme de croix, qui paraît couchée selon l’orientation de la carte. Les Bretons l’ont bien remarqué. L’expression « Tel ar Croaz » signifiant d’après Google traduction « dos de la croix », bien qu’il me semble préférable de parler du « pied de la croix ». Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une référence à la croix, un beau signe qui a son importance.
Cependant, cet agencement constitue également un défi : la presqu’île compte de nombreux caps et, à l’intérieur même, des petites presqu’îles (Monsieur le Maire de Landévennec ici présent peut en témoigner) ce qui peut susciter des « esprits de chapelle », des rivalités entre communautés locales lorsqu’on évolue dans des zones reculées et peu accessibles. Cette réalité complique parfois la cohésion pastorale sur l’ensemble de la paroisse pour annoncer l’Évangile à cette population et à cette terre que j’ai confié à votre curé et à ses coopérateurs.
Le contexte démographique est lui-aussi assez atypique. De nombreux retraités choisissent de venir s’installer ici, et entre nous ils ont bien raison. Par ailleurs, les actifs de la Marine nationale et, plus largement, de l’armée sont fortement représentés, car la place des militaires est très importante sur ce territoire.
On trouve également des résidents « alternatifs » : des personnes possédant une résidence à Paris ou ailleurs et venant passer plusieurs mois parmi nous, participant activement à la vie de l’Église. Nous ne choisissons pas notre démographie, mais nous sommes appelés à annoncer la Bonne Nouvelle et devons en tenir compte pour adapter la vie de l’Église à cette réalité.
Les Actes des Apôtres nous éclairent également sur la nécessité pour la communauté d’Antioche de solliciter les apôtres à Jérusalem pour prendre une décision pastorale importante, car ils ne pouvaient pas résoudre seuls ce problème. Cela souligne l’importance de la fonction épiscopale dans un diocèse : afin de pouvoir éclairer certaines situations. Ma venue ici poursuivait cet objectif : faire le tour des activités et des projets paroissiaux, afin de relever quelques points de vigilance et d’attention, lesquels seront consignés par écrit.
Un autre aspect remarquable dans ces textes est cette parole un peu étonnante des apôtres : « l’Esprit Saint et nous avons décidé que… ». Cette formulation signifie que toute cette réflexion pastorale ne se vit pas sans la lumière que le Seigneur nous accorde par le don de son Esprit Saint. C’est absolument fondamental. Ce qui permet aux apôtres de formuler cela, c’est qu’avant de prendre une décision, ils ont pris le temps de prier longuement et ensemble. Vous savez que Jésus lui-même a déclaré : « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Mt 18 : 20). Dans l’Église, la tenue de conciles a toujours constitué une pratique fondamentale (les termes concile et synode signifient la même chose, l’un venant du latin, l’autre du grec, même s’ils revêtent des concepts différents). L’objectif des synodes est de discerner ensemble, en tenant compte du fait que chaque fidèle, grâce à sa relation personnelle avec le Seigneur et aux charismes reçus par le don de l’Esprit Saint lors de la confirmation, contribue au discernement de l’Église. Le discernement se vit en communauté ; l’Église porte d’ailleurs ce nom qui signifie « assemblée ». Cela exhorte à beaucoup prier, à méditer ensemble la Parole de Dieu et à se nourrir des sacrements.
L’orientation diocésaine qui vise à multiplier les Petites Fraternités Chrétiennes Locales est un aspect très important : dans un monde sécularisé, nous avons d’autant plus besoin de nous retrouver entre chrétiens pour méditer la Parole de Dieu, prier ensemble et nous soutenir dans la foi. C’est comme cela que l’Église peut véritablement témoigner et tenir fidèlement dans une société qui n’est pas forcément chrétienne.
Un autre aspect essentiel est la formation : approfondir et enraciner sa foi, se ressourcer. Vous avez la chance, dans cette paroisse, de disposer d’une abbaye bénédictine qui est un beau lieu de ressourcement.
Il y a également l’appel des personnes : il n’est pas si facile de trouver des personnes pour annoncer l’Évangile et vivre la mission. Dans les Actes des Apôtres, nous voyons que les apôtres vont choisir Jude et Silas, reconnus capables, pour les envoyer avec Paul et Barnabé pour cette mission.
Dans cette paroisse, nous avons nous aussi besoin de nombreuses personnes : des guides d’obsèques – lesquels je vais encourager tout à l’heure par la prière et la bénédiction –, des catéchistes, des accompagnateurs de la pastorale des jeunes, ainsi que des bénévoles pour l’économat, la sacristie, la liturgie et l’ouverture des églises. L’Église ne peut vivre sa mission sans que chacun n’apporte son charisme et offre du temps. La question qui se pose est donc la suivante : comment susciter et repérer les charismes, et comment chaque personne peut-elle s’engager ?
Enfin, la visite pastorale est aussi un temps d’encouragement. J’ai particulièrement apprécié la dernière parole du texte des Actes des Apôtres : « Bon courage ! » Ce sont là des mots que je peux également vous adresser aujourd’hui, à la lumière de l’Évangile que nous avons entendu, ce courage trouve sa source dans l’amour du Christ et dans sa promesse de nous donner sa paix. Jésus dit bien : « Je ne vous donne pas la paix à la manière du monde ; que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé ». Cette parole est très importante. Elle ne signifie pas que le Seigneur va régler tous nos problèmes, car nous avons des défis à relever, mais qu’il nous donne une paix intérieure pour nous permettre d’assumer ce que nous avons à assumer et de vivre dans l’espérance.
Nous vivons dans une société très sécularisée, mais où l’Esprit Saint se manifeste aussi de manière étonnante. Il est important de reconnaître ce que le Seigneur accomplit : nous l’avons constaté récemment à travers la ferveur populaire qui s’est développée au moment du décès du pape François et de l’élection du pape Léon XIV, une ferveur qui dépassait largement le cadre des chrétiens. Nous le voyons également chez les convertis : chaque année, leur nombre augmente et c’est là un signe concret de l’action de l’Esprit Saint dans le monde.
Frères et sœurs, que cette visite vous apporte, de la part du Seigneur, la joie et l’espérance, ainsi que la paix intérieure pour votre belle paroisse, en particulier cette année où nous sommes appelés à être des pèlerins d’espérance. Amen
† Laurent DOGNIN
Évêque de Quimper et Léon