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28ème dimanche du temps ordinaire – 11 octobre 2020

L’orientation première de la mission de l’Église est de témoigner du projet de Dieu sur l’humanité : il est un projet de bonheur. C’est déjà la découverte inouïe du premier Testament : Dieu aime l’humanité tout entière d’un amour plus grand encore que celui d’un fiancé pour sa promise ou d’un jeune marié pour sa bien-aimée. Et le festin qu’il prépare pour elle ressemble à un festin de noces, annonce le prophète Isaïe.

Ce jour-là, le Seigneur, Dieu de l’univers,
préparera pour tous les peuples, sur sa montagne,
un festin de viandes grasses et de vins capiteux,
un festin de viandes succulentes et de vins décantés.
Il enlèvera le voile de deuil qui enveloppait tous les peuples
et le linceul qui couvrait toutes les nations.
Il détruira la mort pour toujours.
Le Seigneur essuiera les larmes sur tous les visages,
et par toute la terre il effacera l’humiliation de son peuple ;
c’est lui qui l’a promis. Et ce jour-là, on dira :
« Voici notre Dieu, en lui nous espérions, et il nous a sauvés ;
c’est lui le Seigneur, en lui nous espérions ;
exultons, réjouissons-nous : il nous a sauvés ! »

Ce texte ne donne pas de Dieu l’image d’un esprit chagrin ou justicier, d’un empêcheur de faire la fête. Finies les larmes, la mort, l’humiliation, annonce-t-il. Et surtout, abolis les apartheids, les exclusions, les ghettos. Tous les peuples sont invités et pas seulement quelques églises ou religions privilégiées, quelques peuples élus ou quelques races pures. Vocation universelle du peuple de l’Alliance déjà soulignée par Isaïe, et reprise fortement par l’Évangile.

Jésus disait en paraboles : « Le Royaume des cieux est comparable
à un roi qui célébrait les noces de son fils.
Il envoya ses serviteurs pour appeler à la noce les invités,
mais ceux-ci ne voulaient pas venir.
Il envoya encore d’autres serviteurs dire aux invités :
‘Voilà : mon repas est prêt, mes bœufs et mes bêtes grasses sont égorgés ;
tout est prêt : venez au repas de noce.’
Mais ils n’en tinrent aucun compte et s’en allèrent, l’un à son champ,
l’autre à son commerce ;
les autres empoignèrent les serviteurs, les maltraitèrent et les tuèrent.
Le roi se mit en colère, il envoya ses troupes,
fit périr les meurtriers et brûla leur ville. Alors il dit à ses serviteurs :
‘Le repas de noce est prêt, mais les invités n’en étaient pas dignes.
Allez donc aux croisées des chemins : tous ceux que vous rencontrerez,
invitez-les au repas de noce.’ Les serviteurs allèrent sur les chemins,
rassemblèrent tous ceux qu’ils rencontrèrent,
les mauvais comme les bons, et la salle de noce fut remplie de convives.

Beaucoup de rapprochements sont possibles entre la parabole du festin et celle de la vigne dimanche dernier. D’une part une vigne, et des vignerons qui repoussent les messagers du propriétaire, et de l’autre un festin de noces, et des invités qui refusent les invitations transmises par les serviteurs du roi. Dans les deux cas, il est question d’un fils. Dans le premier, le propriétaire de la vigne envoie son fils qui est rejeté et tué par les vignerons. Et dans le second, le roi célèbre les noces de son fils ; mais les invités refusent l’invitation, cherchent des prétextes pour justifier leur refus, ou même maltraitent et tuent les serviteurs du roi. Réaction semblable du propriétaire et du roi : la vigne sera proposée à d’autres plus dignes, l’invitation au festin le sera de même. L’invitation aux noces du fils du roi ne sera pas réservée à quelques élus qui en seraient dignes. Elle sera universelle : elle s’adressera à tous indistinctement aux mauvais comme aux bons.
Dans les deux cas il s’agit sans doute du peuple d’Israël à l’époque de la ruine de Jérusalem, dont les chrétiens sont témoins. Elle a pu être comprise par ceux-ci comme une correction infligée par Dieu à Israël le peuple élu, à cause de son infidélité à l’Alliance, de ses fermetures et de ses replis sur lui-même. Mais Matthieu les invite à ne pas se réjouir trop vite de la punition des autres. La conclusion de la parabole est inattendue. Les nouveaux invités doivent eux-mêmes prendre garde. Qui étaient-ils ? Des mauvais comme des bons. Nouveaux bénéficiaires de l’invitation généreuse de Dieu étaient-ils plus dignes que les premiers ? Rien de moins sûr. D’ailleurs l’un d’entre eux, dans la suite de la parabole se fait jeter dehors.

Le roi entra pour voir les convives.
Il vit un homme qui ne portait pas le vêtement de noce, et lui dit :
‘Mon ami, comment es-tu entré ici, sans avoir le vêtement de noce ?’
L’autre garda le silence. Alors le roi dit aux serviteurs :
‘Jetez-le, pieds et poings liés, dehors dans les ténèbres ;
là il y aura des pleurs et des grincements de dents.’
Certes, la multitude des hommes est appelée, mais les élus sont peu nombreux. »

Comment comprendre la sévérité soudaine de ce roi qui venait de faire preuve de la plus grande largesse ? Que signifie ce refus du vêtement de noce dans le texte ? Que reprochait le roi à cet homme ? Peut-être d’avoir répondu à l’invitation, mais sans entrer dans la perspective du roi, sans s’être habillé le cœur, sans entrer dans le jeu de la grâce, sans participer vraiment à la joie. Quand le roi s’adresse à lui, il garde le silence. Son refus de parler le condamne. Il n’accède pas à la foi, à la signification profonde de l’invitation du roi aux noces de son Fils ? Il n’a pas pris la peine de se changer, c’est-à-dire non pas seulement de changer ses vêtements, mais surtout de changer son cœur et sa vie, de se convertir pour entrer vraiment dans la jubilation des convives du roi ? Allusion peut-être à des membres de l’Église qui n’ont pas bien compris sa mission, qui participent à l’eucharistie sans vivre leur baptême, sans se rappeler le vêtement baptismal dont ils ont été revêtus, comme l’a écrit saint Paul aux Galates : « Vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ » (Ga 3, 27). Ils n’ont pas réalisé que leur baptême faisait d’eux des envoyés en mission d’Évangile.
Dans cette même lettre, Paul nous donne une leçon à cet égard. Il reconnait avoir été de ceux qui avaient refusé l’invitation aux noces du Christ : « Vous avez certes entendu parler de ma conduite jadis dans le judaïsme, de la persécution effrénée que je menais contre l’Église de Dieu […]. Mais Celui qui dès le sein maternel m’a mis à part et appelé par sa grâce daigna révéler en moi son Fils pour que je l’annonce parmi les païens. » (Ga 1,13ss)
Paul sera appelé à être le serviteur de l’invitation universelle au festin du Royaume inauguré par le Christ. Devenu son disciple et son apôtre, baptisé à Damas par Ananie, il s’est revêtu tout entier du détachement et de l’humilité de son maître. En totale communion avec lui, il a appris à dire : « Je ne suis pas digne de m’asseoir à la table du festin de celui qui m’invite ».
Dans l’extrait de sa lettre aux Philippiens il déclare :

Frères, je sais vivre de peu, je sais aussi avoir tout ce qu’il me faut.
Être rassasié et avoir faim, avoir tout ce qu’il me faut et manquer de tout,
j’ai appris cela de toutes les façons.
Je peux tout supporter avec celui qui me donne la force.
Cependant, vous avez bien fait de m’aider tous ensemble quand j’étais dans la gêne.
Et mon Dieu subviendra magnifiquement à tous vos besoins
selon sa richesse, dans le Christ Jésus.
Gloire à Dieu notre Père pour les siècles des siècles. Amen.

Aujourd’hui s’ouvre la semaine Missionnaire Mondiale qui s’achèvera par la fête de dimanche prochain. Nous sommes invités à accueillir le message du pape François en la fête de Pentecôte du 31 mai dernier
« Nous sommes vraiment effrayés, désorientés et apeurés. La douleur et la mort nous font expérimenter notre fragilité humaine ; mais en même temps, nous reconnaissons que nous sommes tous habités par un profond désir de vie et de libération du mal. Dans ce contexte, l’appel à la mission, l’invitation à sortir de soi-même par amour de Dieu et du prochain, se présente comme une opportunité de partage, de service, d’intercession. La mission, que Dieu confie à chacun, fait passer du moi peureux et fermé au moi retrouvé et renouvelé par le don de soi.
Dans le sacrifice de la croix, où s’accomplit la mission de Jésus (cf. Jn 19, 28-30), Dieu révèle que son amour est pour chacun et pour tous (cf. Jn 19, 26-27). Et il nous demande notre disponibilité personnelle à être envoyés, parce qu’il est Amour en perpétuel mouvement de mission, toujours en sortie de soi-même pour donner vie.
Comprendre ce que Dieu est en train de nous dire en ce temps de pandémie devient aussi un défi pour la mission de l’Église. La maladie, la souffrance, la peur, l’isolement nous interpellent. La pauvreté de qui meurt seul, de qui est abandonné à lui-même, de qui perd son travail et son salaire, de qui n’a pas de maison et de nourriture nous interroge. Obligés à la distance physique et à rester à la maison, nous sommes invités à redécouvrir que nous avons besoin de relations sociales, et aussi de la relation communautaire avec Dieu. Loin d’augmenter la méfiance et l’indifférence, cette condition devrait nous rendre plus attentifs à notre façon d’entretenir nos relations avec les autres. »

Évangile : selon saint Matthieu – Mt 22, 1-14