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5e dimanche de Pâques – 15 mai 2020

En ce mois de mai, les textes du 5e dimanche de Pâques ont des couleurs printanières. Ils respirent un parfum de jeunesse et d’enthousiasme, dans une Église en ses commencements. Elle apporte à un « monde ancien », la nouveauté et la fraîcheur de l’Évangile. La Parole de Dieu entendue par les vieux chrétiens d’aujourd’hui, les vieilles Églises d’Europe et d’ailleurs, les invite encore à redécouvrir les sources vives de leur foi. Riches de leur patrimoine, ils sont peut-être trop rivés à leurs modèles de penser et de vivre en Église, des modèles réduits à des coutumiers qui peuvent alourdir leur marche et masquer la nouveauté toujours actuelle de leur foi. Que représentent encore et toujours l’Évangile du Christ et sa résurrection dans le monde de ce temps ? Dans le contexte des changements culturels et des crises internes que nous vivons, quels renouvellements mettre en œuvre aujourd’hui pour les présenter et les vivre ?

La première lecture est un passage des Actes des Apôtres au chapitre 14. Paul et Barnabé rentrent à Antioche après un premier long voyage missionnaire. Ils annoncent une grande nouveauté : Dieu a ouvert les portes de la foi et du salut à toutes les nations.

Paul et Barnabé, revenus à Iconium et à Antioche de Pisidie,
affermissaient le courage des disciples :
ils les exhortaient à persévérer dans la foi, en disant :
« Il nous faut passer par bien des épreuves pour entrer dans le royaume de Dieu. »
Ils désignèrent des Anciens pour chacune de leurs Églises et,
après avoir prié et jeûné, ils confièrent au Seigneur ces hommes
qui avaient mis leur foi en lui.
Ils traversèrent la Pisidie et se rendirent en Pamphylie.
Après avoir annoncé la Parole aux gens de Pergé,
ils descendirent au port d’Attalia,
et s’embarquèrent pour Antioche de Syrie, d’où ils étaient partis ;
c’est là qu’ils avaient été remis à la grâce de Dieu
pour l’œuvre qu’ils avaient accomplie.
Une fois arrivés, ayant réuni l’Église,
ils rapportèrent tout ce que Dieu avait fait avec eux,
et comment il avait ouvert aux nations la porte de la foi.
Ac 14, 21b-27

Quelques remarques à la lecture de ce texte. D’abord la vie difficile des chrétiens dans un monde païen, empli de religiosités, souvent bien éloignées des valeurs évangéliques. Appartenir au Christ par la foi et devenir ses disciples, ce n’était pas pour eux se contenter d’adhérer à de nouvelles croyances, à pratiquer de nouveaux rites. L’attachement au Christ et à son Évangile les engageait à le suivre dans le plus concret de leur vie. Cela ressemble un peu ce que vivent les chrétiens aujourd’hui dans un monde de post-chrétienté. Une vague étiquette « catholique » ne suffit plus quand ils répondent aux sondages. Il leur faut être capables de rendre compte de leur foi et d’en témoigner dans une pratique en cohérence avec l’Évangile du Christ.

Ensuite l’ouverture de la porte de la foi à tous les peuples. Elle n’est plus réservée à une nation ni à une élite, à un peuple choisi parmi d’autres qui en seraient exclus. Elle s’ouvre toute grande aux nations païennes, à toute l’humanité sans exclusive. Pour cette ouverture, Paul et Barnabé qui sont juifs-chrétiens tous les deux – Barnabé le « chypriote » faisait partie des Lévites –, inaugurent une pratique nouvelle. Dans chaque communauté d’Église qu’ils fondent, ils désignent et ordonnent des Anciens – des prêtres. Ils rompent ainsi avec la pratique de castes sacerdotales ou de cultes que l’on peut accomplir seulement dans des centres religieux et dans les temples de hauts lieux saints. Les Églises nouvelles reçoivent leur autonomie de la part des apôtres fondateurs qui ordonnent prêtres des membres de leurs communautés.

Pas de fondation d’Église locale nouvelle sans qu’elle choisisse et reçoive des ministres responsables de la Parole et de la communion. Ces prêtres sont des membres des communautés, désignés ou élus sans doute par eux, pour que les apôtres leur imposent les mains et leur confient le ministère pastoral. « Cherchez frères, parmi vous des hommes qui soient estimés de tous, remplis d’Esprit Saint et de sagesse, et nous les établirons dans leur charge », disent les Douze aux premières communautés (Actes ch 6). Le critère déterminant pour les choisir, pour les confier au Seigneur est leur foi dans le Christ. Leur capacité à fonder leur ministère sur leur confiance en lui. Leur sagesse et leur fidélité à l’Esprit Saint. L’importance de ne pas se considérer comme propriétaires ni de leur fonction, ni de l’Église qu’ils reçoivent la charge de présider. Cette pratique ne pourrait-elle pas inspirer et faire évoluer la question des ministères (ordonnés ou non) dans l’Église aujourd’hui, compte tenu des changements de la vie paroissiale et communautaire ?

Enfin le rôle des apôtres Paul et Barnabé. Ils sont itinérants, fondateurs d’Église, des hommes de l’Évangile, de la Parole, du combat aussi et de l’aventure. Des explorateurs et non des installés. Quand ils ont fondé « leurs Églises » (le terme est au pluriel dans le texte), ils s’en vont ailleurs, dans d’autres villes ou pays. Ils se retirent en quelque sorte des communautés qu’ils ont fondées et créées, font confiance à l’Esprit Saint pour qu’y germent et croissent de manière neuve les graines de l’Évangile qu’ils ont semées. La seconde lecture est tirée du chapitre 21 de l’Apocalypse. Dans une perspective eschatologique elle évoque un ciel nouveau et d’une terre nouvelle.

Moi, Jean, j’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle,
car le premier ciel et la première terre s’en étaient allés et, de mer, il n’y en a plus.
Et la Ville sainte, la Jérusalem nouvelle,
je l’ai vue qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu,
prête pour les noces, comme une épouse parée pour son mari.
Et j’entendis une voix forte qui venait du Trône.
Elle disait : « Voici la demeure de Dieu avec les hommes ;
il demeurera avec eux, et ils seront ses peuples, et lui-même,
Dieu avec eux, sera leur Dieu.
Il essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus,
et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur :
ce qui était en premier s’en est allé. »
Alors celui qui siégeait sur le Trône déclara :
« Voici que je fais toutes choses nouvelles. »
Ap 21 1-5a

Une vision optimiste des temps messianiques, dont on perçoit les signes si l’on sait regarder avec les yeux de la foi « et le ciel et la terre ». La cité sainte, la Jérusalem céleste c’est du ciel qu’elle est descendue, comme la rosée. Avec la venue du Christ « le ciel a visité la terre », comme chantait un vieux cantique. C’est de Dieu qu’elle nous viendra encore en plénitude quand les temps seront accomplis. Mais c’est aussi de la terre qu’elle germe, du terreau de notre humanité, d’un terreau qui a souvent des senteurs de fumure et de fermentation. Qu’importe puisque Dieu désormais lui-même a établi sa demeure sur « cette terre qu’il aime » (ps 84) et n’a pas craint de partager notre humanité, pour la renouveler de l’intérieur, pour que son règne vienne sur la terre comme au ciel. Les fleurs de sa tendresse, de son royaume s’y épanouissent. C’est au cœur de notre histoire de terriens que nous avons à le chercher. Jésus l’avait dit à Nicodème : « Si vous ne croyez pas quand je vous parle des choses de la terre, comment croirez-vous quand je vous parlerai des choses du ciel ? » (Jn 3, 7-15)

Le passage d’Évangile de ce dimanche en saint Jean, nous offre encore des clés pour comprendre la nouveauté de la Résurrection de Jésus :

Au cours du dernier repas que Jésus prenait avec ses disciples,
quand Judas fut sorti, Jésus déclara :
« Maintenant le Fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui.
Si Dieu est glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera ; et il le glorifiera bientôt.
Petits enfants, c’est pour peu de temps encore que je suis avec vous.
Vous me chercherez, et, comme je l’ai dit aux Juifs :
“Là où je vais, vous ne pouvez pas aller”,
je vous le dis maintenant à vous aussi.
Je vous donne un commandement nouveau :
c’est de vous aimer les uns les autres.
Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.
À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples :
si vous avez de l’amour les uns pour les autres. »
Jn 13 31-35

« Maintenant le Fils de l’homme est glorifié et Dieu est glorifié en lui ». Quand on dit de quelqu’un qu’il est glorieux, cela veut dire qu’il est regardé d’une manière nouvelle, avec admiration, du fait des grandes et belles choses qu’il vient d’accomplir, et ainsi, de ce qu’il vient de révéler de lui-même. Par sa vie, sa Passion, sa Résurrection, Jésus, le Fils de l’homme a été glorifié par le Père, et toute l’humanité partage cette gloire désormais et la joie de le considérer comme un frère et un sauveur. En tout être humain, l’image de Dieu qui s’était brouillée et dégradée se trouve restaurée et glorifiée, car en l’un des siens, l’humanité a retrouvé son honneur et sa vocation divine. En Jésus et ce qu’il a vécu, Dieu lui-même se trouve glorifié, lui aussi. Nous ne pouvons plus le considérer de la même manière qu’avant ses épiphanies, du fait qu’il a tout partagé de notre condition humaine et s’est laissé clouer au bois en son Fils et avec lui. Toutes nos fausses images de Dieu sont périmées, car nous avons vu, d’une manière nouvelle aussi, sa vraie gloire qui n’a souvent rien de commun avec les représentations que nous avions de lui.

Evangile selon saint Jean – Jn13, 31-35