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Fête de la Sainte-Trinité – 4 juin 2023

Il en faut du temps à chacun pour se connaître et connaître les autres, au fil de son histoire, au cœur de ses relations ! Combien de temps a-t-il fallu aussi à l’humanité pour devenir ce qu’elle est, pour découvrir et apprendre ce qu’elle sait et ne sait pas encore de l’univers, de la terre, de l’histoire ? Combien de temps lui a-t-il fallu et lui faudra-t-il encore pour chercher et découvrir ce qu’elle met sous le mot « Dieu », et comment elle en a fait et en fait encore usage ? La connaissance et la recherche spirituelle de Dieu dans la Bible se déroule dans le cadre d’une succession d’événements et de générations. Elle n’est pas un traité dogmatique mais un recueil de récits qui racontent l’histoire d’une Alliance et d’une relation amicale et amoureuse entre Dieu et les hommes. C’est dans cette logique que les croyants, au long d’une histoire mouvementée faite de joies et de larmes, de trahisons et de réconciliations, ont appris à découvrir et connaître Dieu. C’est dans ce cadre que Dieu leur a révélé progressivement qui il est. La fête de la Trinité-Sainte clôture le cycle annuel des grandes fêtes chrétiennes, depuis le temps de Noël jusqu’à la fin de l’octave de Pentecôte. Toutes ces fêtes ont pour raison d’être de faire connaître qui est le Dieu-Sauveur des hommes en Jésus Christ, et de proclamer qu’il est Père, Fils et Esprit Saint.

Le premier texte de ce dimanche est extrait du Livre de l’Exode. Le peuple d’Israël, esclave en Égypte, a franchi la mer et le voilà libéré. Mais il lui faudra une longue traversée du désert pour vivre les premiers apprentissages de sa liberté et surtout pour découvrir et connaître son libérateur. C’est à Moïse que Dieu adresse une déclaration solennelle, pour qu’il la transmette au peuple. Le Dieu de la Bible dévoile son nom et qui il est.

Moïse se leva de bon matin,
et il gravit la montagne du Sinaï comme le Seigneur le lui avait ordonné.
Il emportait les deux tables de pierre.
Le Seigneur descendit dans la nuée et vint se placer là, auprès de Moïse.
Il proclama son nom qui est : LE SEIGNEUR.
Il passa devant Moïse et proclama : « LE SEIGNEUR, LE SEIGNEUR.
Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité,
qui garde sa fidélité jusqu’à la millième génération,
supporte faute, transgression et péché, mais ne laisse rien passer,
car il punit la faute des pères sur les fils et les petits-fils,
jusqu’à la troisième et la quatrième génération. »
Aussitôt Moïse s’inclina jusqu’à terre et se prosterna.
Il dit : « S’il est vrai, mon Seigneur, que j’ai trouvé grâce à tes yeux,
daigne marcher au milieu de nous.
Oui, c’est un peuple à la nuque raide ;
mais tu pardonneras nos fautes et nos péchés, et tu feras de nous ton héritage. »
Ex 34, 4b-6.8-9

Notons le caractère concret des expressions dans ce texte et aussi la manière dont Dieu se comporte. Le cadre est celui d’une rencontre familière. Dieu prend l’initiative de descendre, de se placer auprès de Moïse, de passer devant lui, et il proclame son nom. Dans la culture biblique, le don du nom équivaut au don de la personne, l’instauration d’une relation intime et confiante. Dieu, emploie le tétragramme (4 caractères) YHWH symbole de son être innommable et ajoute le SEIGNEUR, qui le présente comme « le maître ». Viennent ensuite d’autres qualificatifs que l’on retrouve tout au long de la Bible, par exemple dans le psaume 102, tendre, miséricordieux, pacifique, fidèle et toujours prêt au pardon. Tous sont empruntés au vocabulaire d’une relation humaine et aimante, et sont mis en rapport avec l’histoire humaine dont Dieu partage la marche et à laquelle il reste fidèle malgré les infidélités et la tête dure du peuple et des peuples qu’il aime.

L’Évangile selon saint Jean nous transporte dans un autre moment de la révélation de Dieu. Le médiateur n’est plus Moïse seulement, prophète et guide du peuple de l’Alliance, mais Jésus qui offre une image plus forte encore de l’amour de Dieu.

Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique,
afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle.
Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde,
non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé.
Celui qui croit en lui échappe au Jugement ;
celui qui ne croit pas est déjà jugé,
du fait qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.
Jn 3, 16-18

L’Alliance de Dieu s’approfondit, et sa relation d’amour se manifeste de manière neuve. Elle ne concerne plus seulement le peuple d’Israël, mais le monde des humains, « tout homme ». Pour le révéler, Dieu fait don à l’humanité de son propre Fils qui « prend la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix (Ph, 2 7-8). Désormais, la relation que Dieu instaure avec les humains est familiale et familière. En Jésus, elle se fait paternelle et fraternelle. Jésus est son fils et il est frère de toute personne humaine. Avec Jésus et en lui, chacun entre en relation filiale avec Dieu et peut l’appeler « Père ». Dieu était venu marcher avec son peuple, comme l’en suppliait Moïse. Désormais, tous les hommes sont invités à communier avec lui et à vivre de sa vie éternelle. Dieu est entré dans notre temps pour que nous entrions en son éternité. Un auteur chrétien anonyme du 2e siècle écrivait cela de belle manière.

« C’est lui, le Christ, l’auteur de l’univers, que Dieu a envoyé aux hommes ; non certes, comme une intelligence humaine pourrait l’imaginer pour la tyrannie, la terreur et l’épouvante ; nullement, mais en toute bonté et douceur, comme un roi envoie le roi son fils, il l’a envoyé comme le Dieu qu’il était, il l’a envoyé comme il convenait qu’il le fût pour les hommes : pour les sauver par la persuasion, non par la violence ; il n’y a pas de violence en Dieu. Il l’a envoyé pour nous appeler à lui, non pour nous accuser : il l’a envoyé parce qu’il nous aimait, non pour nous juger. » (Lettre à Diognète)

Après la mort du Christ, voici venu le temps de son Église. Des pentecôtes successives ont lieu, rapportées dans le livre des Actes des Apôtres. Comme il l’avait promis, après sa résurrection, Jésus a envoyé l’Esprit de vérité qui procède du Père pour que ses disciples témoignent de lui (Jn 15, 26-27). C’est ainsi que les disciples du Christ découvrent le mystère de la Trinité. Ce mot ne figure pas encore dans le Nouveau Testament, mais la réalité est bien sous-entendue dès les premiers écrits chrétiens qui sont de saint Paul : on lit souvent chez lui des formules trinitaires qui n’abolissent pas celui du temps de Moïse.

Frères, soyez dans la joie, cherchez la perfection,
encouragez-vous, soyez d’accord entre vous,
vivez en paix, et le Dieu d’amour et de paix sera avec vous.
Saluez-vous les uns les autres par un baiser de paix.
Tous les fidèles vous saluent.
Que la grâce du Seigneur Jésus Christ,
l’amour de Dieu et la communion du Saint-Esprit soient avec vous tous.
2 Co 13, 11-13

Trois personnes sont nommées dans ce qu’écrit Paul. Il ne parle plus de Dieu sans le relier à Jésus qu’il appelle Christ et Seigneur. Le Dieu d’amour et de paix n’a changé en rien, mais comme Jésus, Paul dans ses écrits l’appellera « Abba, Père ». Les communautés chrétiennes sont appelées à vivre sous le signe et l’inspiration de l’Esprit Saint. Leur vocation baptismale reçue au nom du Père, du Fils et de l’Esprit Saint est un appel à la sainteté, à la perfection. Leur foi trinitaire n’est pas d’abord abstraite et dogmatique (ce qui ne nie pas l’importance d’un dogme), elle est d’abord un engagement à vivre en communion, en amitié, en paix, en tendresse et en miséricorde les uns avec les autres, comme Jésus a aimé son Père et comme son Esprit communique à ses frères sa manière de vivre et d’aimer. Comme dans le livre de l’Exode, Paul dans sa lettre aux Galates égrène aussi une liste des fruits de l’Esprit « amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi » (Ga 5 22-23). C’est en vivant ainsi que les communautés chrétiennes témoigneront de l’Évangile au milieu du monde.

Evangile selon saint Jean – Jn 3, 16-18