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Fête de l’Epiphanie – 2 janvier 2022

Le récit de la visite des mages à Bethléem dans l’Evangile de saint Matthieu est sans fondement historique. Il a donné lieu cependant à certains ajouts au fil des siècles. Rien ne dit que les mages étaient trois ni qu’ils étaient rois, et aucun nom ne leur est attribué. Comme la fête de Noël, celle de l’Épiphanie a été marquée par des rites traditionnels comportant fèves, couronnes et gâteaux, ce qui a masqué la force de son message évangélique, toujours d’une grande actualité. Deux lieux différents et contrastés et deux étapes dans le récit de Matthieu : Jérusalem et Bethléem.

Jésus était né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand.
Or, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem
et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ?
Nous avons vu son étoile à l’orient
et nous sommes venus nous prosterner devant lui. »
En apprenant cela, le roi Hérode fut bouleversé, et tout Jérusalem avec lui.
Il réunit tous les grands prêtres et les scribes du peuple,
pour leur demander où devait naître le Christ. Ils lui répondirent :
« À Bethléem en Judée, car voici ce qui est écrit par le prophète :
Et toi, Bethléem, terre de Juda,
tu n’es certes pas le dernier parmi les chefs-lieux de Juda,
car de toi sortira un chef, qui sera le berger de mon peuple Israël. »
Alors Hérode convoqua les mages en secret
pour leur faire préciser à quelle date l’étoile était apparue ;
puis il les envoya à Bethléem, en leur disant :
« Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant.
Et quand vous l’aurez trouvé, venez me l’annoncer
pour que j’aille, moi aussi, me prosterner devant lui. »

À Jérusalem la capitale religieuse, des mages venus de pays étrangers demandent à des juifs de leur indiquer l’endroit où leur est né un roi. Une demande très provocatrice ! Étrangers, païens, et de plus « mages », ces gens affirment qu’ils ont vu se lever son étoile, alors que les juifs, premiers concernés, ne semblent au courant de rien. Est-il né incognito, ou bien ailleurs que là où ceux-ci attendaient qu’il naisse ? Saint Matthieu ira jusqu’au bout de la provocation à la fin de son Évangile. Dans le récit de la Passion de Jésus, ce sont encore les païens – Pilate et ses soldats bourreaux – qui appelleront le crucifié « roi des juifs », et iront jusqu’à l’écrire sur sa croix dans l’excès de leur dérision et de leur cynisme, comme s’ils voulaient attiser la fureur des juifs eux-mêmes.

Hérode réagit le premier. Mis au courant de cette visite insolite, le voilà inquiet : qui donc est ce concurrent inattendu ? Quel est ce roi qui naît dans un palais autre que le sien, et dont la naissance est annoncée par une étoile du ciel à des mages étrangers ? Ce petit roi tyrannique et assassin cruel de ses propres enfants, que Jésus traitera de « renard » (Lc 13, 32) fait preuve vis-à-vis des mages d’une hypocrisie perverse. Il leur donne mission d’être pour lui des agents de renseignement pour savoir où est né ce roi devant qui, dit-il, il s’empressera d’aller se prosterner.

Faussement respectueux de la Loi, il convoque les grands prêtres et les scribes d’Israël, qui consultent les Écritures. Matthieu ne les présente pas à leur avantage. Dépositaires d’un trésor d’espérance et de lumière, ils semblent aveuglés, habitués, emprisonnés dans leurs archives. Qu’auraient-ils à apprendre de mages étrangers ? Ils se méfient des propos de ces gens considérés en Grèce comme des sorciers et en Israël comme obscurantistes et superstitieux, se fiant à un message des astres. Comment accorder une quelconque crédibilité à ces païens qui viennent apprendre à la vieille institution dépositaire de l’Alliance, que quelque chose de neuf se passe chez elle, en elle, sans qu’elle s’en rende compte et soit informée ? Mais peut-être les sources d’espérance et de lumière dont elle a la charge ont quelque peu moisi dans ses traditions. Saint Matthieu est bien sévère pour les chefs des prêtres et les scribes d’Israël. Ils savent que le Messie doit naître à Bethléem, selon les Écritures, mais ignorent que l’événement a eu lieu. Pas la moindre curiosité de leur part, pas le moindre désir de se déplacer, d’aller voir, alors que Bethléem est tout près. Comme s’ils n’étaient en recherche de rien. Ils semblent avoir perdu de vue la mission universaliste d’Israël qui est rappelée dans les paroles d’Isaïe que nous lisons ce dimanche :

Debout, Jérusalem, resplendis ! Elle est venue, ta lumière,
et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi.
Voici que les ténèbres couvrent la terre,
et la nuée obscure couvre les peuples.
Mais sur toi se lève le Seigneur, sur toi sa gloire apparaît.
Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore.
Lève les yeux alentour, et regarde :
tous, ils se rassemblent, ils viennent vers toi ; tes fils reviennent de loin,
et tes filles sont portées sur la hanche.
Alors tu verras, tu seras radieuse, ton cœur frémira et se dilatera.
Les trésors d’au-delà des mers afflueront vers toi,
vers toi viendront les richesses des nations.
En grand nombre, des chameaux t’envahiront,
de jeunes chameaux de Madiane et d’Épha.
Tous les gens de Saba viendront, apportant l’or et l’encens ;
ils annonceront les exploits du Seigneur.

Quel contraste entre les réactions d’Hérode et des responsables religieux et celle des mages ! Ceux-ci viennent de loin ; ils ont accompli un long chemin pour aller à la recherche d’un roi né dans un autre pays que le leur. Quand ils constatent que leur étoile a déserté le ciel de Jérusalem, ils se remettent en route. Ils ne sont pas arrêtés par le fait que le roi dont elle annonçait la naissance ne se trouvait pas dans un palais. Ils reprennent leur marche et quittent Jérusalem devenue pour eux ville morte. Ils se montrent plus curieux que les grands-prêtres et les scribes. Ce sont des chercheurs et non des installés. Ils se disent peut-être entre eux comme les bergers de la Nativité : « Allons jusqu’à Bethléem pour voir ce qui est arrivé, l’événement que l’étoile nous a fait connaître. »

Après avoir entendu le roi, ils partirent.
Et voici que l’étoile qu’ils avaient vue à l’orient les précédait,
jusqu’à ce qu’elle vienne s’arrêter au-dessus de l’endroit où se trouvait l’enfant.
Quand ils virent l’étoile, ils se réjouirent d’une très grande joie.
Ils entrèrent dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère ;
et, tombant à ses pieds, ils se prosternèrent devant lui.
Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents :
de l’or, de l’encens et de la myrrhe.
Mais, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode,
ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.

Luc a écrit qu’à la naissance de Jésus, Marie l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire d’animaux. Dans le récit de Matthieu, l’étoile indique aux mages qu’il se trouve dans une maison, sans dire laquelle, petit bébé avec sa maman. Ainsi ce nouveau roi ne se trouve pas dans un palais mais dans une maison banale, comme un simple petit enfant entre les bras de sa mère. Quelle foi et quelle fraîcheur étonnantes dans leur réaction. Ils auraient pu être choqués, reconnaître qu’ils s’étaient trompés et rentrer chez eux avec leurs présents. Il est beau ce sommet du récit évangélique : ils voient l’enfant avec Marie sa mère ; et, tombant à ses pieds, ils se prosternent devant lui. Ils ouvrent leurs coffrets, et lui offrent leurs présents : l’or de la gloire, l’encens de l’adoration et la myrrhe du parfum.

Bouleversés, ces mages changent de chemin, ne voient plus leur étoile dans leur ciel, car ils ont contemplé un petit enfant, roi sur la terre, dans une maison. C’est lui qui sera leur guide et leur chemin. Ils n’ont aucune envie d’aller revoir ni Hérode, ni les grands prêtres ni les scribes de Jérusalem. Comme s’il ne fallait plus rien attendre de ces instances stériles et dévoyées. De ces responsables religieux et politiques enkystés dans des certitudes aveuglantes. Depuis « si long de temps », comme le chante Gilles Vigneault, ils ont oublié que les étoiles on ne les voit que la nuit.
Saint Matthieu ne cessera de mettre en avant la dimension universelle du message de Jésus. Dans ce récit des commencements, ce sont les païens qui prennent l’initiative de venir vers le Christ. A la fin de son Évangile, tout s’inverse. C’est désormais le Christ qui dira aux apôtres : « Allez, de toutes les nations faites des disciples », (Mt 28, 19). Le monde païen sur lequel s’ouvre la fin de l’Évangile de Matthieu est ainsi déjà présent dès son commencement, en la personne des mages. Saint Paul sera habité par la même conviction fondamentale que saint Matthieu. Il n’y a plus ni juifs ni païens, déclare-t-il aux Éphésiens :

Vous avez appris, je pense,
en quoi consiste la grâce que Dieu m’a donnée pour vous :
par révélation, il m’a fait connaître le mystère du mystère du Christ.
Ce mystère n’avait pas été porté
à la connaissance des hommes des générations passées,
comme il a été révélé maintenant
à ses saints Apôtres et aux prophètes, dans l’Esprit.
Ce mystère, c’est que toutes les nations sont associées au même héritage,
au même corps, au partage de la même promesse,
dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile.

Désormais le mot « mystère » change de sens. Il ne désigne plus une réalité cachée, énigmatique mais une révélation. Une orientation nouvelle de la recherche de Dieu. Il est présent parme les hommes, avec eux et au milieu d’eux. « Celui qui se fera petit comme un enfant, celui-là est le plus grand dans son royaume. » (Mt 18 4)

Nous pouvons noter cette année que C’est au Conseil des Églises du Moyen-Orient qu’il a été demandé de choisir et d’élaborer le thème de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens 2022, qui aura lieu du 18 au 25 janvier 2022. Cette Semaine de prière aura pour thème : « Nous avons vu son astre à l’Orient et nous sommes venus lui rendre hommage » (Mathieu 2,2).

Les chrétiens du Moyen-Orient sont heureux de proposer ce thème pour la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens, conscients que le monde partage une grande partie de leurs souffrances et de leurs difficultés et aspire à trouver la lumière qui leur montrera la voie vers le Sauveur, lui qui sait comment surmonter les ténèbres.

Évangile selon saint Matthieu – Mt 2, 1-12