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Abus sexuels dans l’Église : Yolande du Fayet de la Tour témoigne à Brest

Vendredi 18 mars, près de 70 personnes sont venues entendre le témoignage de Yolande du Fayet de la Tour, à Mission Saint-Luc à Brest. Membre de l’équipe « miroir » de la CIASE*, elle a été victime d’abus sexuels lorsqu’elle était enfant.

Une soirée interactive. Voilà le souhait énoncé d’emblée par Yolande du Fayet de la Tour. Pendant près de deux heures, elle a souhaité que l’assemblée présente puisse avoir la parole pour « construire la soirée ensemble ».

En introduction, elle est revenue sur l’assemblée plénière de Lourdes qui s’est tenue en novembre 2021. « Cela a été un moment de basculement important par rapport au besoin de reconnaissance des personnes victimes, dont je fais partie, et à la prise de responsabilité de l’Église en tant qu’institution. Lorsqu’on est victime, il faut être entendue et c’est l’acte le plus important. »

Elle a livré son témoignage et permis aux personnes présentes d’entendre, de comprendre, parfois même de faire écho de leur propre vécu. « C’est une histoire très banale dans l’histoire des victimes. Mais témoigner participe de notre résilience. Cela permet de dépasser ensemble le traumatisme et en même temps, de se rapprocher de soi-même. »

Yolande a grandi dans une famille très catholique, « intégriste ». Les parents sont très proches de nombreux prêtres et l’un d’eux est le parrain de son petit frère. « C’est justement lors d’une visite à la famille qu’il a profité de moi. D’ailleurs, ce que j’ai vécu se rapproche davantage de l’inceste que de l’agression sexuelle. Souvent, comme dans mon cas, c’est bien parce que l’agresseur connaît la victime que ça va être possible. J’ai subi un viol. Il m’a attirée dans ma chambre qu’il occupait lors de son séjour, sous prétexte de vouloir me parler du bon Dieu. L’enfant de 6 ans que j’étais n’a pas eu conscience d’être agressée sexuellement. »

Pendant 40 ans, Yolande n’a pas évoqué ce qu’il lui était arrivé. « Je suis psychothérapeute, j’accompagne des personnes victimes d’abus sexuels et pourtant, je n’en ai jamais parlé. »

Devant l’assemblée, elle a tenté d’analyser les facteurs favorisant l’agression. « J’étais totalement ignorante de ce qu’était la sexualité. Et j’ai grandi dans une famille où l’adulte avait toujours raison et tout pouvoir. Donc cela me semblait ‘normal’ qu’un adulte ait pouvoir sur mon corps. L’agresseur était un membre de la famille et la société de l’époque était permissive. Cela ne choquait pas mes parents que je me retrouve seule dans ma chambre avec ce prêtre. » Yolande du Fayet de la Tour a également pointé du doigt la loyauté institutionnelle de ses parents. « Je ne suis pas sûre qu’ils m’auraient cru à l’époque, ni qu’ils auraient mis en cause l’institution. À l’époque, les enfants n’étaient pas crus, les petites filles étaient des fabulatrices et les petits garçons, des menteurs. »

Comment se construit une enfant qui a été abusée sexuellement ? « On pense souvent que les séquelles sont liées à la sexualité. Or, c’est plutôt la construction de la personne qui est impactée. On se pose des dizaines de questions existentielles par rapport à la vie, à son sens, à la parole, aux rapports entre les êtres humains. Aujourd’hui, mon rapport à l’autorité est affecté. Lorsque j’étais enfant, les adultes ne protégeaient pas les enfants, mes parents ne s’occupaient pas de nous. Maintenant adulte, je préfère contrôler, qu’être contrôlée. Être victime d’abus sexuels crée une bulle dans laquelle on s’isole. La relation avec mes frères et sœurs est affectée, je suis isolée par rapport à eux. D’ailleurs, cela a permis que je sois agressée sexuellement une deuxième fois cinq ans plus tard, par un proche de ma famille. »

Après 46 ans, Yolande finit par parler. « Je souffrais d’un cancer galopant, je pensais que j’allais mourir. J’ai réfléchi et je me suis rendu compte que porter ce secret était toxique pour moi. Et j’avais l’idée que peut-être d’autres membres de ma famille avaient été agressées sexuellement et je ne voulais pas que cela se reproduise. Je suis sortie de mon silence pour les autres, avec trois questions qui résonnaient en moi : ‘Comment gérer la honte ?’, ‘Vais-je être crue ?’ et ‘Comment vais-je gérer le nouveau regard que va porter ma famille sur moi ?’. » Aujourd’hui, elle en veut à l’institution et à sa famille. « Cette agression a détruit ma relation avec mes frères et sœurs. Je vis avec l’idée que je suis venue au monde, défectueuse et que je ne peux pas être aimée telle que je suis. »

Avant de laisser la parole à l’assemblée, Yolande du Fayet de la Tour a rappelé que la colère était une émotion utile. « Souvent, en Église et particulièrement dans les milieux intégristes, on dit que la colère est un péché. L’Église doit réinterroger le sujet. La colère est l’émotion de l’intégrité et du territoire. Elle a un effet repoussoir sur l’autre. Il faut accueillir la colère parce qu’elle permet de mettre des frontières. Elle produit du respect et de la dignité. »

Dans le public, des personnes victimes ou proches de victimes ont pu témoigner, interroger Yolande pour essayer de mieux comprendre. « Il ne faut plus jamais que ça se reproduise et pour cela, il faut que la parole se libère », a lancé Françoise. Et la témoin de répondre : « Toute personne qui ‘silencie’ une victime fait le jeu de l’agresseur. Aucun argument ne tient pour légitimer le silence ».

Aujourd’hui, la publication du rapport de la Ciase permet à la parole de se libérer. « En acceptant le constat qui est fait, on peut trouver des réponses », a expliqué Yolande, qui a participé pendant deux ans à l’enquête au sein de l’équipe miroir, constituée de personne victimes. Pour l’assemblée, elle a fait une synthèse. « 56% des abus sexuels ont été commis entre les années 50 et 70. Cela signifie que les arguments qui accusent le mouvement de libération sexuelle lié à mai 68 ne tient pas. Après la famille, l’Église est le deuxième lieu où il y a eu le plus d’abus sexuels. Moins de 10% des agresseurs ont été sanctionnés. La majorité des personnes victimes sont des garçons de 11 à 13 ans. Pendant ces années-là, l’Église s’occupait beaucoup de l’éducation des garçons, entre l’école, le sport, les vacances. Ils étaient donc des proies faciles. La majorité des abus sexuels ont été commis par des prêtres qui étaient ordonnés depuis moins de dix ans. Cela montre bien que c’est le temps de la fragilité. »

Mgr Dognin a annoncé la création d’une commission diocésaine pour la protection des mineurs (plus d’informations dans un prochain article). Dans les prochaines semaines, un protocole d’accord sera également signé entre les diocèses de la Province et le procureur de la République, pour la dénonciation des infractions sexuelles.

*commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église