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14e dimanche du temps ordinaire – 3 juillet 2020

Un dimanche aux couleurs des vacances d’été, de la détente. Dimanche dernier, Jésus présentait aux disciples les exigences de leur mission, comme étant un prolongement de la sienne. En résumé, il leur disait qu’il fallait être libre de toute attache, libre intérieurement, pour faire comme lui œuvre de libération. Aujourd’hui il leur déclare que leur mission est par excellence d’annoncer et de réaliser la paix. Un mot très présent dans les textes bibliques de ce dimanche. Un mot dont la résonance est particulièrement forte en ce temps de guerre qui est le nôtre, sur notre continent. Pierre reconnaissait en Jésus le « Messie de Dieu », dans l’évangile de dimanche dernier. Aujourd’hui, nous entendons le prophète Isaïe annoncer que la venue du Messie sera l’inauguration d’une ère de paix. Un texte très important dans le Livre d’Isaïe. Extrait du chapitre dernier, il exprime la grande et constante espérance du peuple d’Israël et son attente de consolation dans la traversée de toutes ses épreuves.

Réjouissez-vous avec Jérusalem ! Exultez en elle, vous tous qui l’aimez !
Avec elle, soyez pleins d’allégresse, vous tous qui la pleuriez !
Alors, vous serez nourris de son lait, rassasiés de ses consolations ;
alors, vous goûterez avec délices à l’abondance de sa gloire.
Car le Seigneur le déclare : « Voici que je dirige vers elle la paix comme un fleuve
et, comme un torrent qui déborde, la gloire des nations. »
Vous serez nourris, portés sur la hanche ; vous serez choyés sur ses genoux.
Comme un enfant que sa mère console, ainsi, je vous consolerai.
Oui, dans Jérusalem, vous serez consolés.
Vous verrez, votre cœur sera dans l’allégresse ;
et vos os revivront comme l’herbe reverdit.
Et le Seigneur fera connaître sa puissance à ses serviteurs.
Is 66 10-14c

Jésus vient inaugurer cette ère messianique promise à Jérusalem et à toutes les nations. C’est le message que les anges lors de sa naissance ont associé à la gloire de Dieu, un message adressé « à tous les humains de bienveillance », à qui il a déclaré qu’ils étaient ses bien-aimés. Dans le psaume 84, après avoir chanté l’amour de Dieu pour la terre des hommes, le psalmiste s’interrogeait : J’écoute : que dira le Seigneur Dieu ? Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple et ses fidèles ; qu’ils ne reviennent jamais à leur folie ! Et le premier mot adressé par Jésus ressuscité à ses amis sera : « Paix à vous ». Avant de les quitter il leur avait déjà dit : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur cesse de se troubler et d’avoir peur » (Jn 14,27). La paix fait aussi l’objet de la septième béatitude en saint Matthieu : « Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. » Elle est à construire de manière artisanale, dans toutes les circonstances et rencontres. Dans l’évangile de Matthieu seuls les faiseurs de paix sont appelés fils de Dieu, fils du Père qui est aux cieux ajoutera Jésus, lui qui fait lever son soleil sur les méchants comme les bons.

Saint Luc nous rapporte l’envoi en mission de soixante-douze disciples par Jésus et les recommandations qu’il leur adresse.

Après cela, parmi les disciples le Seigneur en désigna encore soixante-douze,
et il les envoya deux par deux, en avant de lui,
en toute ville et localité où lui-même allait se rendre.

Luc est le seul évangéliste à parler de l’envoi en mission des soixante-douze disciples et ce n’est sans doute pas un hasard. Les Douze sont morts quand il écrit son Évangile, et depuis la Pentecôte, la Bonne Nouvelle s’est répandue hors des frontières juives. Le chiffre 72 dans le livre de la Genèse (ch 10) énumère et désigne tous les peuples de la terre, et Luc l’évangéliste théologien, tout au long de ses écrits, veut montrer que le message de Jésus et le salut qu’il apporte ne sont pas réservés aux douze tribus d’Israël mais à toutes les nations. Les soixante-douze se présentent en quelque sorte comme des « multiplicateurs » d’Évangile et comme les fondateurs des Églises qui vont naître au milieu de tous les peuples.

Il leur dit : « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux.
Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson.
Allez ! Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups.
Ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales, et ne saluez personne en chemin.
Mais dans toute maison où vous entrerez,
dites d’abord : “Paix à cette maison.”
S’il y a là un ami de la paix, votre paix ira reposer sur lui ;
sinon, elle reviendra sur vous.
Restez dans cette maison, mangeant et buvant ce que l’on vous sert ;
car l’ouvrier mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison.
Dans toute ville où vous entrerez et où vous serez accueillis,
mangez ce qui vous est présenté.
Guérissez les malades qui s’y trouvent et dites-leur :
“Le règne de Dieu s’est approché de vous.”
Mais dans toute ville où vous entrerez et où vous ne serez pas accueillis,
allez sur les places et dites :
“Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds,
nous l’enlevons pour vous la laisser.
Toutefois, sachez-le : le règne de Dieu s’est approché de vous.”
Je vous le déclare : au dernier jour, Sodome sera mieux traitée que cette ville. »

Jésus dit aux disciples « votre paix ». On ne peut annoncer la paix si l’on n’a pas le cœur en paix. « Commence en toi-même l’œuvre de paix, afin que, pacifié, tu puisses apporter la paix aux autres », écrivait saint Ambroise. La paix est un don du Christ, elle est cette sérénité et sagesse intérieure à laquelle chacun aspire, cette bienveillance aussi qui résiste aux pulsions de haine, de jalousie, de cupidité, de violence face à autrui. Pour les disciples du Christ, elle est « sa paix », cette confiance totale en l’amour de son Père dont il a fait preuve aux pires moments de ses épreuves. Une paix qu’ils ont à recevoir de lui comme un don. Elle est « votre » paix, leur dit-il, c’est-à-dire qu’ils doivent annoncer la paix qu’ils vivent eux-mêmes, qui les habite. Il leur parle aussi des « amis de la paix ». Cette paix dont ces gens qui les accueillent peuvent vivre déjà sans connaître le Christ, et vivent leur humanité de manière évangélique. Paix intérieure donc, mais aussi appelée à être vécue dans tous les espaces de socialité : dans les maisons et dans les familles, dans les villages, dans les villes et les groupes qui les habitent.

Jésus ne cache pas à ceux qu’il envoie en mission les difficultés qui les attendent et qu’il a vécues lui-même. Il les envoie comme des agneaux au milieu des loups. C’est dire qu’en connaissance de cause il les prépare à un accueil pas toujours favorable. Telle est en effet la logique de l’Évangile. Si l’on prétend l’imposer, il est fondamentalement dénaturé. Les nouveautés qu’il annonce sur le plan religieux et social suscitent inévitablement des rejets. Les guerriers ne supportent pas les annonciateurs de la paix, car ils dénoncent et gênent les plans de leur violence et de leur haine. Comme son Père, Jésus ne s’impose pas. Il propose la paix à tous, pour que les amis de la paix l’accueillent et qu’elle repose sur eux. Il se présente avec la fragilité et la non-violence des agneaux et ne peut donc qu’indisposer ou exciter les meutes de loups voraces et les serpents venimeux. Ses disciples viennent mener une cohabitation paisible avec tous les citoyens d’une même ville et non constituer une communauté fermée, ce qui peut encore susciter du rejet de la part de ceux qui veulent rester entre eux. Le récit de Luc présente aussi le retour de mission des soixante-douze.

Les soixante-douze disciples revinrent tout joyeux, en disant :
« Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom. »
Jésus leur dit : « Je regardais Satan tomber du ciel comme l’éclair.
Voici que je vous ai donné le pouvoir d’écraser serpents et scorpions,
et sur toute la puissance de l’Ennemi : absolument rien ne pourra vous nuire.
Toutefois, ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ;
mais réjouissez-vous parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux. »
Lc 10 1-12, 17-20

La relecture de leur mission par les soixante-douze et par Jésus se présente comme une mise au point sur la question du pouvoir. Les disciples sont joyeux du pouvoir qu’ils ont exercé sur les esprits mauvais. Attention, leur dit Jésus. Ce pouvoir ne vient pas de vous, n’en tirez pas gloire, vous n’êtes ni des magiciens ni des petits dieux à idolâtrer. Ce pouvoir reçu de mon Père, je vous l’ai communiqué en envoyant sur vous l’Esprit Saint dont la puissance vous animera et vous inspirera. Ne vous réjouissez pas d’exercer du pouvoir mais de libérer et de servir. Réjouissez-vous surtout du fait que par votre triomphe sur les esprits mauvais, vous participez à l’avènement du règne du Père de tous les humains. Réjouissez-vous d’annoncer la bonne nouvelle d’un Dieu de tendresse et désarmé, un Dieu non pas vengeur, assoiffé de sang et dominateur, mais un Dieu de justice et de paix, un Dieu de tendresse et de consolation, comme l’annonçait Isaïe.

Saint Paul, lui aussi, en concluant sa lettre aux chrétiens de Galatie, formule des souhaits de paix et de miséricorde, alors qu’à l’intérieur des premières communautés chrétiennes se manifestent des divisions destructrices entre chrétiens issus du judaïsme et ceux qui viennent du paganisme.

Pour moi, que la croix de notre Seigneur Jésus Christ reste ma seule fierté.
Par elle, le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde.
Ce qui compte, ce n’est pas d’être circoncis ou incirconcis,
c’est d’être une création nouvelle.
Pour tous ceux qui marchent selon cette règle de vie
et pour l’Israël de Dieu, paix et miséricorde.
Dès lors, que personne ne vienne me tourmenter,
car je porte dans mon corps les marques des souffrances de Jésus.
Frères, que la grâce de notre Seigneur Jésus Christ soit avec votre esprit. Amen.
Ga 6 14-18

Les encouragements de Paul s’adressent à l’humanité nouvelle accomplie et inaugurée par le Christ. Les différences de races, de religions, de statut social, de sexe, écrivait-il aux Galates, ne doivent plus y être génératrices de divisions, de guerres, de convoitises, de mépris, mais de paix et de miséricorde. Il souligne deux sujets précis : les interdits alimentaires et la circoncision que certains voulaient imposer aux païens convertis. Dans la création nouvelle, se quereller sur ces points est dépassé, déclare-t-il. Jésus avait dit aux soixante-douze : « Dans la maison où vous séjournerez, mangez et buvez ce que l’on vous servira. Dans toute ville où vous entrerez et où vous serez accueillis, mangez ce qu’on vous offrira. » Paul écrira aux Romains (14, 17-23) : « Le Royaume de Dieu ne consiste pas en des questions de nourriture ou de boisson ; il est justice, paix et joie dans l’Esprit Saint. Recherchons donc ce qui contribue à la paix, et ce qui construit les relations mutuelles. Ne va pas détruire l’œuvre de Dieu pour une question de nourriture. »

Evangile selon saint Luc – Lc 10, 1-12.17-20