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20e dimanche du temps ordinaire – 14 août 2022

On a dit souvent que la religion était l’opium du peuple, en dénonçant sa tendance à endormir et aliéner ses adeptes. En tout cas, le message de l’évangile de ce dimanche se présente comme de la dynamite plutôt que de l’opium.

Je suis venu apporter un feu sur la terre,
et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé !
Je dois recevoir un baptême,
et quelle angoisse est la mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli !
Pensez-vous que je sois venu mettre la paix sur la terre ?
Non, je vous le dis, mais bien plutôt la division.
Car désormais cinq personnes de la même famille seront divisées :
trois contre deux et deux contre trois ;
ils se diviseront : le père contre le fils et le fils contre le père,
la mère contre la fille et la fille contre la mère,
la belle-mère contre la belle-fille et la belle-fille contre la belle-mère. »
Lc 12 49-53

Feu et division, voilà donc les deux mots-clés de l’évangile de ce dimanche. Le feu évoque à la fois la destruction et le danger, mais aussi la chaleur du sang et de l’amour. C’est bien le feu de l’Esprit d’amour que Jésus est venu allumer sur la terre et communiquer à ses disciples, mais cela a entraîné bien des hostilités et des divisions et lui a coûté le prix du sang. Jésus parle de sa mort, comme d’un baptême, le baptême du sang, pourrait-on dire. Ses paroles nous rappellent le sens de notre baptême, puisque c’est en son nom que nous avons été baptisés. Nous avons été baptisés dans l’eau et confirmés dans le feu de l’Esprit Saint. Nous avons été plongés dans la mort du Christ pour vivre de sa vie. Les catholiques redécouvrent peu à peu que le baptême n’est pas d’abord et seulement une fête familiale de la naissance. Les jeunes ou les adultes qui le demandent, les communautés qui les accompagnent redécouvrent ce qu’il est : un choix d’inscrire leur vie sous le signe du Christ mort et ressuscité, un choix de brûler du même feu que lui, d’accepter comme lui le rejet et la division.

Saint Luc a écrit son livre pour des chrétiens immergés dans une société païenne dont les croyances religieuses et les mœurs étaient loin de l’Evangile et où n’existait pas la liberté religieuse. Choisir la foi et le baptême pouvait conduire à des déchirures familiales et sociales et aussi à la persécution et au martyre. Jusqu’au 4e siècle il en était ainsi.

Durant des siècles de chrétienté plus tard, dans nos sociétés occidentales, jusqu’aux époques de la « Réforme » et des temps modernes, la foi pouvait passer pour une religion tranquille. Dans l’Eglise catholique, puisque tous étaient baptisés, tous étaient supposés croyants et vivaient dans un contexte de certitudes, d’évidences, d’assurance ou de « rassurance » par rapport à la vie éternelle. La vie chrétienne souvent réduite au culte et à des traditions stables pouvait être vécue en dehors ou à côté des combats du monde. Aujourd’hui, croire c’est prendre position dans une société largement sécularisée. Quand survint l’époque dite des « lumières », grandirent l’incroyance, l’indifférence, et même l’hostilité anti-religieuse. Tout cela a provoqué et provoque encore bien des divisions.

Aujourd’hui, ce que dit Jésus trouve un écho dans bien des situations. La foi chrétienne comporte le témoignage et l’engagement dans les débats tragiques qui concernent la paix, la santé, le partage des richesses et du travail. La division existe plus que jamais dans bien des domaines, et de manières diverses suivant les pays. Jésus en parle en évoquant les relations familiales. C’est un domaine où elle apparaît de manière très forte aujourd’hui. Pas toujours heureusement sous la forme de divisions conduisant à des ruptures, mais en tout cas de divergences en ce qui concerne la foi et la manière de la vivre, qui peuvent conduire à des déchirements. Parents ou grands-parents désemparés devant l’impossibilité de transmettre la foi à leurs enfants, ou choqués de les voir fonder ailleurs que sur l’Evangile leurs choix religieux. Familles déchirées par les échecs conjugaux, etc. Les deux synodes organisés par le pape François sur le thème de la famille ont pris en compte beaucoup de problèmes qu’affrontent les chrétiens, et cela dans un contexte planétaire.

L’auteur de l’épître aux Hébreux invite les chrétiens, ce dimanche, à se souvenir de ce qu’a coûté au Christ son baptême, et à tant d’autres après lui. Il leur rappelle que la foi est un appel au témoignage, à la résistance active contre le mal.

Frères, ceux qui ont vécu dans la foi, foule immense de témoins,
sont là qui nous entourent.
Comme eux, débarrassons-nous de tout ce qui nous alourdit,
et d’abord du péché qui nous entrave si bien ;
alors nous courrons avec endurance l’épreuve qui nous est proposée,
les yeux fixés sur Jésus, qui est à l’origine et au terme de la foi.
Renonçant à la joie qui lui était proposée,
il a enduré, sans avoir de honte, l’humiliation de la croix,
et, assis à la droite de Dieu, il règne avec lui.
Méditez l’exemple de celui qui a enduré de la part des pécheurs une telle hostilité,
et vous ne serez pas accablés par le découragement.
Vous n’avez pas encore résisté jusqu’au sang dans votre lutte contre le péché.
Hé 12 1-4

Le premier texte de la liturgie est extrait du livre de Jérémie. Il vivait 600 ans avant J-C. C’est le prophète dont la vie et le message sont très proches de ceux de Jésus. Israël vivait une période de crise religieuse et politique. Pendant quarante ans, Jérémie fera preuve de lucidité qui dérangera les rois et leurs conseillers ainsi que les faux prophètes. « Les dépositaires de la Loi sont infidèles, les pasteurs se révoltent contre Dieu, les prophètes prophétisent au nom de dieux païens. (Jr 2, 8) ». Tout cela, proclame Jérémie, conduit à sa perte Israël qui est menacé par le redoutable envahisseur babylonien. Il se tourne vers les chefs et dénonce leur indignité. Il leur reproche le fait qu’après avoir affranchi leurs esclaves, ils les ont obligés à revenir à leur ancien état lors d’un retrait passager de l’armée. En agissant ainsi, ils ont profané le nom de l’Eternel (cf. 34,16) et méprisé un commandement précis de la Loi (Dt 15 :1-18). Accusé de collaboration, Jérémie sera persécuté de tous bords, emprisonné et jeté vivant dans la citerne boueuse d’une cour de prison, semblable à une tombe, pour avoir prononcé des paroles vraies mais jugées démoralisatrices aux yeux des responsables du peuple. Ce qu’il vit annonce en quelque sorte le rejet et les supplices que Jésus connaîtra lui aussi.

Pendant le siège de Jérusalem, les chefs qui tenaient Jérémie en prison
dirent au roi Sédécias : « Que cet homme soit mis à mort :
en parlant comme il le fait, il démoralise
tout ce qui reste de combattant dans la ville, et toute la population.
Ce n’est pas le bonheur du peuple qu’il cherche, mais son malheur. »
Le roi Sédécias répondit : « Il est entre vos mains,
et le roi ne peut rien contre vous ! »
Alors ils se saisirent de Jérémie
et le jetèrent dans la citerne de Melkias, fils du roi, dans la cour de garde.
On le descendit avec des cordes.
Dans cette citerne il n’y avait pas d’eau, mais de la boue,
et Jérémie enfonça dans la boue.
Ébed-Mélek sortit de la maison du roi et vint lui dire :
« Monseigneur le roi, ce que ces gens-là ont fait au prophète Jérémie, c’est mal !
Ils l’ont jeté dans la citerne,
il va y mourir de faim car on n’a plus de pain dans la ville ! »
Alors le roi donna cet ordre à Ébed-Mélek l’Éthiopien :
« Prends trente hommes avec toi,
et fais remonter de la citerne le prophète Jérémie avant qu’il ne meure. »
Jr 38, 4-6.8-10

C’est un officier éthiopien et non juif, Ebed-Melek, qui sera l’unique défenseur et sauveur du prophète et dénoncera les tortures qui lui ont été faites. C’est grâce à lui que Sédécias va donner l’ordre de tirer Jérémie de la boue et de le sauver de la mort. Ainsi, c’est grâce à la compassion d’un païen qu’il aura la vie sauve et pourra échapper à la cruauté des chefs religieux de Jérusalem. La Bible ne nous rapporte pas ses états d’âme dans sa citerne, alors qu’il enfonçait dans la boue (cf. v. 6), mais on peut certainement lui appliquer ce qui est écrit au Ps 39 de ce dimanche et au Ps 68 (14-18), et aussi l’appliquer au Christ face à sa mort.

Et moi, je te prie, Seigneur : c’est l’heure de ta grâce ;
dans ton grand amour, Dieu, réponds-moi, par ta vérité sauve-moi.
Tire-moi de la boue, sinon je m’enfonce :
que j’échappe à ceux qui me haïssent, à l’abîme des eaux.
Que les flots ne me submergent pas, que le gouffre ne m’avale,
que la gueule du puits ne se ferme pas sur moi.
Réponds-moi, Seigneur, car il est bon, ton amour ;
dans ta grande tendresse, regarde-moi.
Ne cache pas ton visage à ton serviteur ; je suffoque : vite, réponds-moi.
Sois proche de moi, rachète-moi !

Certains événements peuvent effrayer et ébranler la raison la plus solide dans la vie d’un croyant, mais rappelons-nous que Jérémie prouve sa foi dès sa remontée du puits puisqu’il crie à nouveau le message qui brûle dans son cœur. Dieu ne l’a pas sorti d’une citerne asphyxiante, d’une boue paralysante pour qu’il se recroqueville, mais pour qu’il persiste dans le témoignage.

Evangile selon saint Luc – Lc 12, 49-53