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26e dimanche ordinaire – 26 septembre 2021

Des textes d’une grande rudesse aujourd’hui. Dimanche dernier, saint Marc évoquait la dispute entre les Douze apôtres pour savoir lequel d’entre eux était le plus grand. Aujourd’hui nouvelle rivalité encore, mais cette fois entre Jean, l’un des deux frères appelés avec Jacques « fils du tonnerre », et un homme qui agit au nom de Jésus alors qu’il est étranger à leur groupe.

Jean, l’un des Douze, disait à Jésus :
« Maître, nous avons vu quelqu’un expulser les démons en ton nom ;
nous l’en avons empêché, car il n’est pas de ceux qui nous suivent. »
Jésus répondit : « Ne l’en empêchez pas,
car celui qui fait un miracle en mon nom ne peut pas,
aussitôt après, mal parler de moi ;
celui qui n’est pas contre nous est pour nous.
celui qui vous donnera un verre d’eau
au nom de votre appartenance au Christ,
amen, je vous le dis, il ne restera pas sans récompense. (Mc 9, 38-43.45.47-48)

Dans le Livre des Nombres, nous est rapporté le même type de conflit. Dieu a choisi soixante-dix anciens pour le service de la Parole, et il a fait reposer sur eux une part de l’esprit de Moïse. Mais ce n’est pas une réussite, semble-t-il.

[…] Dès que l’esprit reposa sur eux,
ils se mirent à prophétiser, mais cela ne dura pas.
Or, deux hommes étaient restés dans le camp ;
l’un s’appelait Eldad, et l’autre Médad. L’esprit reposa sur eux ;
eux aussi avaient été choisis, mais ils ne s’étaient pas rendus à la Tente,
et c’est dans le camp qu’ils se mirent à prophétiser.
Un jeune homme courut annoncer à Moïse :
« Eldad et Médad prophétisent dans le camp ! »
Josué, fils de Noun, auxiliaire de Moïse depuis sa jeunesse, prit la parole :
« Moïse, mon maître, arrête-les ! »
Mais Moïse lui dit : « Serais-tu jaloux pour moi ?
Ah ! Si le Seigneur pouvait faire de tout son peuple un peuple de prophètes !
Si le Seigneur pouvait mettre son esprit sur eux ! » (Nb 11, 25-29)

Surprise donc ! Ceux qui avaient été choisis pour recevoir l’esprit n’ont fait preuve d’aucune persévérance. Mais l’esprit, quant à lui, est persévérant et inventif. Il va reposer sur deux hommes qui n’étaient pas présents dans l’assemblée des soixante-dix. Ces deux là se montrent plus zélés que les prophètes accrédités. Ce qui atteste que l’esprit souffle où il veut, qu’il peut prendre des chemins de traverse et agir à sa guise, hors des institutions et des institués ! Josué et Jean réagissent tous les deux de la même manière. Ils considèrent que Moïse ou Jésus sont leur propriété exclusive, et qu’eux seuls, qui ont été appelés, sont légitimement habilités à parler, à libérer, à agir en leur nom.

Nous reconnaissons là des manifestations bien courantes autant dans les sociétés que dans les Églises. Ceux qui ont un mandat officiel s’avèrent parfois inactifs et routiniers, tandis que des non mandatés se montrent bien plus entreprenants et dévoués. Ce qui indispose les premiers et suscite leur jalousie, ainsi que leurs critiques vis-à-vis des seconds. Cela peut s’observer en bien des domaines : au nom d’un même bien à accomplir on peut en arriver à se jalouser, à se concurrencer et même à se faire la guerre. On s’imagine être les seuls à bien servir la même cause, à bien parler d’un même Dieu, d’un même prophète, d’un même Christ. Ainsi la foi elle aussi peut conduire à l’arrogance, à l’intolérance, au refus de voir le bien que font ceux qui appartiennent à un autre groupe. Ces attitudes et ces rivalités entre responsables, entre mandatés, sont source de scandale pour les gens du peuple, des petites gens, qui n’ont jamais leur mot à dire et ne jouissent ni d’aucun pouvoir ni d’aucun privilège. Elles engendrent du discrédit, de la démobilisation et de la dérision vis-à-vis de responsables politiques et religieux, ainsi que du soupçon vis-à-vis de toute autorité.

Au nom d’un même projet de paix, au nom d’une même valeur à défendre on voit fleurir des associations, des syndicats, des partis, des mouvements, des congrégations ou des communautés nouvelles. Ce qui, bien évidemment, est positif. Mais ces initiatives peuvent donner lieu à des rivalités perverses et des sectarismes. Tous veulent soigner les malades, défendre les opprimés, lutter contre la misère. Mais au lieu d’unir leurs forces et leurs moyens, ils peuvent en arriver à prétendre qu’eux seuls sont accrédités pour le faire, et aptes à le réaliser mieux que les autres. De ce fait, ils dépensent parfois autant d’énergie à dénigrer ou éliminer les autres qu’à s’unir à eux pour mieux servir. Ils sombrent dans les vides de la compétitivité au lieu d’unir leurs forces dans la coopération. Propriétaires exclusifs de leur mission, ils ne se réjouissent pas de voir le plus grand nombre la réaliser avec eux et comme eux.

Après avoir réprimandé les « fils du tonnerre » pour leur jalousie et leur soif de pouvoir, cette fois Jésus met en garde sévèrement contre l’intransigeance sectaire dont ils font preuve, pour l’image scandaleuse qu’ils donnent ainsi.

Celui qui entraînera la chute d’un seul de ces petits qui croient en moi,
mieux vaudrait pour lui qu’on lui attache au cou
une de ces meules que tournent les ânes et qu’on le jette à la mer ».

Il ne s’agit pas ici des petits enfants mais de ceux qui croient en Jésus et ne sont pas forcément en règle comme les pharisiens avec toutes les prescriptions ajoutées à la Loi. Scandaliser les petits veut dire ici entraîner particulièrement les pécheurs à perdre la foi, à désespérer de Dieu et de son amour. Le spectacle du rigorisme, – on dirait aujourd’hui du cléricalisme –, de l’instinct de propriété sur Dieu chez des personnes en responsabilité, n’est-ce pas cela qui peut étouffer en toute communauté la miséricorde, et offrir ainsi au monde un contre-témoignage ? Les images que Jésus utilise dans ses condamnations de ceux qui désespèrent « les petits qui croient en lui » sont d’une extrême violence et révèlent la profondeur de la blessure de son cœur. Semer la désespérance en Dieu qui n’est qu’amour et miséricorde est un péché très grave. Il peut faire perdre cœur aux pécheurs qui finissent par ne plus croire en sa bonté infinie.

Jésus ne veut pas que les Douze imitent l’attitude des « scribes et des pharisiens ». Ceux-ci « attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt. Toutes leurs actions, ils les font pour être remarqués des gens : ils élargissent leurs phylactères et rallongent leurs franges ; ils aiment les places d’honneur dans les dîners, les sièges d’honneur dans les synagogues et les salutations sur les places publiques ; ils aiment recevoir des gens le titre de Rabbi. Ils ferment à clé le royaume des Cieux devant les hommes ; eux-mêmes, en effet, n’y entrent pas, et ils ne laissent pas entrer ceux qui veulent entrer ! » (Mt 23. 4-8)

Saint Jacques, dont nous lisons la lettre depuis quelques dimanches, attire aujourd’hui encore avec vigueur notre attention sur les malheurs dans lesquels la richesse et l’injustice peuvent entraîner l’humanité. Son propos est d’une actualité percutante.

Et vous autres, maintenant, les riches,
Pleurez, lamentez-vous sur les malheurs qui vous attendent.
Vos richesses sont pourries, vos vêtements sont mangés des mites,
votre or et votre argent sont rouillés.
Cette rouille sera un témoignage contre vous,
elle dévorera votre chair comme un feu.
Vous avez amassé des richesses,
alors que nous sommes dans les derniers jours !
Le salaire dont vous avez frustré les ouvriers qui ont moissonné vos champs,
le voici qui crie, et les clameurs des moissonneurs
sont parvenues aux oreilles du Seigneur de l’univers.
Vous avez mené sur terre une vie de luxe et de délices,
et vous vous êtes rassasiés au jour du massacre.
Vous avez condamné le juste et vous l’avez tué,
sans qu’il vous oppose de résistance. (Jc 5, 1-6)

Jésus déclare malheureux ceux qui se laissent prendre par la convoitise de l’argent et des biens terrestres et rivalisent pour en posséder toujours davantage. Tant de guerres ont aujourd’hui pour cause réelle des intérêts économiques, des appétits de richesse et de pouvoir. Les textes de ce dimanche rappellent avec force que le christianisme ne se limite pas à des pratiques de piété ou de dévotion individuelle mais qu’il comporte des implications sociales et politiques, comme le souligne particulièrement de manière vigoureuse le Pape François.

Evangile selon saint Marc – Mc 9, 38-48