Dans le Livre de la Genèse la création de l’homme et de la femme est racontée dans deux récits de sources différentes. Dans le premier il est écrit : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme » (v 27). Dans le second on raconte qu’Adam fut créé le premier. Dieu créa ensuite les animaux ; mais il se dit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Je vais lui faire une aide qui lui correspondra. » Ainsi Ève ne fut créée qu’ensuite comme une aide pour l’homme, comme si celui-ci serait malheureux de n’avoir pour compagnie que des animaux auxquels il avait donné un nom.
Le Seigneur Dieu fit tomber sur Adam un sommeil mystérieux,
et l’homme s’endormit.
Il prit de la chair dans son côté, puis il referma.
Avec ce qu’il avait pris à l’homme,
il forma une femme et il l’amena vers l’homme.
L’homme dit alors : « Cette fois-ci, voilà l’os de mes os et la chair de ma chair !
On l’appellera : “femme”. »
À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère,
il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un. »
Inutile de nous attarder avec nos regards d’hommes modernes sur les images chirurgicales et anesthésiques de Dieu dans ce récit mythologique à ne pas interpréter au premier degré. Comme si Dieu avait envisagé dans un premier temps de ne créer la femme que comme une aide pour l’homme et issue de lui ! Un récit qui ne manque pas de justifier la prétendue infériorité féminine ainsi que les dérives patriarcales régnantes depuis des siècles et encore aujourd’hui dans des domaines sociaux, politiques ou religieux.
Dans l’Évangile de Marc, Jésus fait face aux pharisiens qui lui tendent un piège. Leurs conceptions du couple humain s’inspirent surtout du second récit et aussi des prescriptions de la loi de Moïse. Pour eux la femme semble inférieure à l’homme. « Est-il permis à l’homme de renvoyer sa femme, demandent-ils à Jésus ? » Au temps de Jésus, deux points de vue s’affrontaient dans le monde juif, à propos d’une répudiation dans le couple marié. Certains, libéraux, acceptaient les multiples raisons que mari et femme pouvaient avoir de se séparer ; ce qui servait d’ailleurs le plus souvent les intérêts de l’homme ! Lui seul avait pouvoir de répudier sa femme, au nom d’une supériorité justifiée par le second récit de la Genèse. D’autres n’admettaient qu’un nombre limité de répudiations. Ils voulaient protéger les femmes, grâce à une législation : pour humaniser la séparation, ils voulaient que l’homme remette à son épouse répudiée une attestation écrite. Mais dans les deux cas, la répudiation était banalisée. L’homme avait un pouvoir arbitraire sur la femme et trouvait facilement les raisons les plus futiles pour justifier sa décision.
Jésus ne tombe pas dans le piège du permis-défendu. Il renvoie ses interlocuteurs non pas aux prescriptions de la loi de Moïse, mais aux deux récits de la Genèse, et particulièrement à la conclusion du premier. Il rappelle la vision première de Dieu qui présente l’union de l’homme et de la femme comme la base solide sur laquelle l’humanité doit s’édifier et non se quereller et se détruire. Créés dans la dualité des sexes, l’homme et la femme ont vocation à exister en tant que couple, en tant que partenaires égaux en dignité, dans une alliance semblable à celle de Dieu avec son peuple.
Jésus présente ce qu’a prescrit Moïse comme un accommodement qui peut conduire à oublier et contredire la volonté première de Dieu. Il vient restaurer la création dans l’ordre voulu par le créateur. C’est à partir de la vision de Dieu qu’il convient de donner sens au mariage, et non pas seulement à partir de dispositions humaines légales pour régler les échecs ou les erreurs dans des cas difficiles.
Des pharisiens l’abordèrent et, pour le mettre à l’épreuve,
ils lui demandaient : « Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ? »
Jésus leur répondit : « Que vous a prescrit Moïse ? »
Ils lui dirent : « Moïse a permis de renvoyer sa femme
à condition d’établir un acte de répudiation. »
Jésus répliqua : « C’est en raison de la dureté de vos cœurs
qu’il a formulé pour vous cette règle.
Mais, au commencement de la création, Dieu les fit homme et femme.
À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère,
il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair.
Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair.
Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! »
La grandeur de la vocation du couple humain est de fonder une cellule familiale et de ne pas s’en tenir à une vision de clan et de tribu, puisqu’ils doivent quitter père et mère. Le couple qu’ils forment, l’union de leurs deux personnes, née de leur différence et de leur complémentarité, naturelles et culturelles, constitue un socle fondateur d’une réalité à respecter. Les disciples sont surpris par la vigueur de l’enseignement de Jésus et son caractère exigeant.
De retour à la maison,
les disciples l’interrogeaient de nouveau sur cette question.
Il leur déclara : « Celui qui renvoie sa femme et en épouse une autre
devient adultère envers elle.
Si une femme qui a renvoyé son mari en épouse un autre,
elle devient adultère. »
Jésus ose déclarer « adultère » l’homme qui renvoie sa femme pour en épouser une autre, même si elle n’a pas commis cette faute. Généralement dans la religion juive ce qualificatif n’est attribué qu’aux femmes qui ont trompé leur mari. Jésus traite ainsi de manière égale le comportement de l’homme et de la femme.
Ce que dit Jésus est nouveau pour les disciples. Cela peut paraître idéaliste et à la limite impraticable dans leur contexte juif. Si on le considère de manière isolée, oui. Mais si on le situe dans l’ensemble de la Bible et dans l’attitude générale de Jésus, non. En effet, les prophètes du premier Testament ont qualifié bien souvent Israël de peuple infidèle, adultère. Jésus lui-même, dans l’Évangile de Marc (8, 38) vient de qualifier ses contemporains de génération adultère et pécheresse. Ce qui ne l’empêche pas d’accueillir largement les pécheurs et même les femmes adultères, et de faire preuve à leur égard d’un bon accueil. Dans le même temps, il dénonce l’attitude de croyants qui se considèrent comme idéalement parfaits face aux lois.
Ainsi se présente le double visage de l’Évangile. Proposition d’un chemin de perfection pour imiter la perfection de Dieu lui-même. Perspective exigeante qui se fonde sur la grandeur de l’homme et de la femme créés à l’image de Dieu (Gn 1,27). Grandeur qui se révèle par excellence dans leur amour, leur fidélité et leur fécondité. Grandeur qui n’est jamais à perdre de vue quels que soient les blessures et les échecs des personnes et des couples en leur histoire mouvementée.
Perspective exigeante mais aussi pleine d’espérance. Quand il épouse l’humanité, Dieu ne reprend pas son amour et sa fidélité. Il ne la renvoie pas et n’est jamais adultère vis-à-vis d’elle. Après le récit concernant le mariage en saint Marc, nous entendons un autre qui évoque la manière dont Jésus considérait les enfants. Pas de lien direct sans doute entre cet épisode et celui qui le précède. Cependant, une occasion encore de découvrir la nouveauté que représente le comportement de Jésus et le message évangélique au sujet de la vie familiale et ecclésiale.
Des gens présentaient à Jésus des enfants
pour qu’il pose la main sur eux ;
mais les disciples les écartèrent vivement.
Voyant cela, Jésus se fâcha et leur dit :
« Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas,
car le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent.
Amen, je vous le dis : celui qui n’accueille pas le royaume de Dieu
à la manière d’un enfant n’y entrera pas. »
Il les embrassait et les bénissait en leur imposant les mains.
Pas de lien direct entre cet épisode et le précédent. On présente à Jésus des enfants. L’attitude franchement hostile des disciples est choquante. C’est un mouvement violent d’exclusion. La raison est à chercher sans doute dans les mœurs des sociétés antiques. Au temps de Jésus, les enfants n’ont guère de place dans la vie sociale et sont objets de mépris ou d’indifférence de la part des adultes. On les traite comme des « hors-la-loi », puisqu’ils ne la connaissent pas encore. Ils sont mis au rang des « exclus », comme les malades, les femmes et les esclaves, etc. Ce mépris que manifestent ses propres amis heurte profondément le Maître. Jésus se fâche et déclare que les enfants, comme les autres « exclus », ont leur place dans le Royaume.
Après les rapports entre époux, la place des enfants, dans la Lettre aux Hébreux est présentée la nouvelle parenté familiale inaugurée par Jésus, une relation neuve entre Dieu et les hommes et entre la multitude des humains devenus par le Christ en lui et avec lui, fils et frères. Un texte d’une grande profondeur.
Mais Jésus, qui a été abaissé un peu au-dessous des anges,
nous le voyons couronné de gloire et d’honneur
à cause de sa Passion et de sa mort.
Si donc il a fait l’expérience de la mort,
c’est par grâce de Dieu, au profit de tous.
Celui pour qui et par qui tout existe
voulait conduire une multitude de fils jusqu’à la gloire ;
c’est pourquoi il convenait qu’il mène à sa perfection,
par des souffrances, celui qui est à l’origine de leur salut.
Car celui qui sanctifie, et ceux qui sont sanctifiés,
doivent tous avoir même origine ; pour cette raison,
Jésus n’a pas honte de les appeler ses frères.
Retenons cette dernière, phrase : Toute personne humaine, quelle que soit sa race, sa situation sociale, familiale, son âge, Jésus n’a pas honte de la considérer comme sa sœur, comme son frère. Il se présente lui-même comme notre frère aîné !
Evangile selon saint Marc – Mc10, 2-16