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28e dimanche du temps ordinaire – 15 octobre 2023

L’orientation première de la mission de l’Église est de témoigner du projet de Dieu sur toute l’humanité : c’est un projet de bonheur. C’est la découverte inouïe révélée dans le premier Testament. Dieu aime son peuple, Israël et l’humanité tout entière d’un amour plus grand encore que celui d’un fiancé pour sa promise ou d’un jeune marié pour sa bien-aimée. Et le festin qu’il prépare pour elle ressemble à un festin de noces, annonce le prophète Isaïe.

Le Seigneur de l’univers préparera pour tous les peuples, sur sa montagne,
un festin de viandes grasses et de vins capiteux,
un festin de viandes succulentes et de vins décantés.
Sur cette montagne, il fera disparaître le voile de deuil
qui enveloppe tous les peuples et le linceul qui couvre toutes les nations.
Il fera disparaître la mort pour toujours.
Le Seigneur Dieu essuiera les larmes sur tous les visages,
et par toute la terre il effacera l’humiliation de son peuple.
Le Seigneur a parlé. Et ce jour-là, on dira :
« Voici notre Dieu, en lui nous espérions, et il nous a sauvés ;
c’est lui le Seigneur, en lui nous espérions ;
exultons, réjouissons-nous : il nous a sauvés ! »
Is 25, 6-10a

Ce texte ne donne pas de Dieu l’image d’un esprit chagrin ou justicier, d’un empêcheur de faire la fête. Finies les larmes, la mort, l’humiliation, annonce-t-il. Et surtout, abolis les apartheids, les exclusions, les ghettos. Tous les peuples sont invités et pas seulement quelques églises ou religions privilégiées, quelques peuples élus ou quelques races pures. Vocation universelle du peuple de l’Alliance déjà soulignée par Isaïe, et reprise fortement par l’Évangile.

Jésus se mit de nouveau à leur parler et leur dit en paraboles :
« Le royaume des Cieux est comparable à un roi
qui célébra les noces de son fils.
Il envoya ses serviteurs appeler à la noce les invités,
mais ceux-ci ne voulaient pas venir.
Il envoya encore d’autres serviteurs dire aux invités :
“Voilà : j’ai préparé mon banquet,
mes bœufs et mes bêtes grasses sont égorgés ;
tout est prêt : venez à la noce.”
Mais ils n’en tinrent aucun compte et s’en allèrent,
l’un à son champ, l’autre à son commerce ;
les autres empoignèrent les serviteurs, les maltraitèrent et les tuèrent.
Le roi se mit en colère, il envoya ses troupes,
fit périr les meurtriers et incendia leur ville.
Alors il dit à ses serviteurs :
“Le repas de noce est prêt, mais les invités n’en étaient pas dignes.
Allez donc aux croisées des chemins :
tous ceux que vous trouverez, invitez-les à la noce.”
Les serviteurs allèrent sur les chemins,
rassemblèrent tous ceux qu’ils trouvèrent, les mauvais comme les bons,
et la salle de noce fut remplie de convives.

Beaucoup de rapprochements sont possibles entre la parabole du festin et celles de la vigne en saint Matthieu. D’une part une vigne et des vignerons qui tuent les envoyés du propriétaire, et de l’autre un festin de noces et des invités qui refusent les invitations transmises par les serviteurs du roi. Dans deux cas, il est question d’un fils. Dans le premier, le propriétaire de la vigne envoie son fils qui est rejeté et tué par les vignerons. Dans le second, un élément a changé : à présent, « tout est prêt », c’est le temps des noces et des dons fastueux de la sagesse de Dieu. Les « serviteurs » ne représentent plus les prophètes anciens, mais les missionnaires envoyés par Jésus au monde juif. Les invités refusent l’invitation, cherchent des prétextes pour justifier leur refus, ou même maltraitent et tuent les serviteurs du roi. Mais l’essentiel est ce verdict : « les invités n’étaient pas dignes ». Dieu invite, appelle au Royaume, gratuitement et largement. Refuser une telle invitation, c’est s’en montrer indigne et insulter la générosité du souverain.

Dans le récit de l’évangile il s’agit sans doute du peuple d’Israël à l’époque de la ruine de Jérusalem (vers l’année 70). Celle-ci a pu être comprise au temps de saint Matthieu comme une correction infligée par Dieu à Israël le peuple élu, à cause de son infidélité à l’Alliance, de ses fermetures et de ses replis sur lui-même. Mais les églises sont invitées à ne pas se réjouir trop vite de la punition d’Israël. La conclusion de la parabole est inattendue. Les nouveaux invités doivent eux-mêmes prendre garde. Qui étaient-ils ? Des mauvais comme des bons. Nouveaux bénéficiaires de l’invitation généreuse de Dieu étaient-ils plus dignes que les premiers ? Rien de moins sûr ! D’ailleurs l’un d’entre eux, dans la suite de la parabole se fait jeter dehors.

Le roi entra pour examiner les convives,
et là il vit un homme qui ne portait pas le vêtement de noce.
Il lui dit : “Mon ami, comment es-tu entré ici,
sans avoir le vêtement de noce ?” L’autre garda le silence.
Alors le roi dit aux serviteurs :
“Jetez-le, pieds et poings liés, dans les ténèbres du dehors ;
là, il y aura des pleurs et des grincements de dents.”
Car beaucoup sont appelés, mais peu sont élus. »
Mt 22, 1-14

Comment comprendre la sévérité soudaine de ce roi qui venait de faire preuve de la plus grande largesse ? Que signifie ce refus du vêtement de noce dans le texte ? Que reprochait le roi à cet homme ? Peut-être d’avoir répondu à son invitation, mais sans entrer dans sa générosité, sans participer vraiment à sa joie, sans entrer dans le jeu de sa grâce, sans s’être habillé le cœur. Quand le roi s’adresse à cet invité, il garde le silence. Son refus de parler le condamne lui-même. Il n’accède pas à la foi, à la signification profonde de l’invitation du roi aux noces de son Fils. Il n’a pas pris la peine de se changer, c’est-à-dire non pas seulement de changer ses vêtements, mais surtout de changer son cœur et sa vie, de se convertir pour entrer vraiment dans la jubilation des convives du roi ! Allusion peut-être à des membres des Églises qui n’ont pas bien compris la mission du Christ, qui participent à l’eucharistie sans vivre leur baptême, sans se rappeler le vêtement baptismal dont ils ont été revêtus, comme l’a écrit saint Paul aux Galates : « Vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ » (Ga 3, 27). Ils n’ont pas réalisé que leur baptême faisait d’eux des envoyés en mission d’Évangile, à sortir du silence.

Dans cette même lettre, Paul nous donne une leçon. Il reconnaît avoir été de ceux qui avaient refusé l’invitation aux noces du Christ : « Vous avez certes entendu parler de ma conduite jadis dans le judaïsme, de la persécution effrénée que je menais contre l’Église de Dieu […]. Mais Celui qui dès le sein maternel m’a mis à part et appelé par sa grâce daigna révéler en moi son Fils pour que je l’annonce parmi les païens ». (Ga 1,13ss) Paul sera appelé à être le serviteur de l’invitation universelle au festin du Royaume inauguré par le Christ. Paul n’a pas gardé le silence. Devenu son disciple et son apôtre, baptisé à Damas par Ananie, il s’est revêtu tout entier du détachement et de l’humilité de son maître. En totale communion avec lui, Paul a appris à dire qu’il n’est pas digne de s’asseoir à la table du festin de celui qui l’invite et à proclamer sa bonté. Dans l’extrait de sa lettre aux Philippiens il déclare :

Frères, je sais vivre de peu, je sais aussi être dans l’abondance.
J’ai été formé à tout et pour tout :
à être rassasié et à souffrir la faim,
à être dans l’abondance et dans les privations.
Je peux tout en celui qui me donne la force.
Cependant, vous avez bien fait de vous montrer solidaires
quand j’étais dans la gêne.
Et mon Dieu comblera tous vos besoins selon sa richesse,
magnifiquement, dans le Christ Jésus.
Gloire à Dieu notre Père pour les siècles des siècles. Amen.
Ph 4, 12-14.19-20

Aujourd’hui s’ouvre la semaine Missionnaire Mondiale qui s’achèvera par la fête de dimanche prochain. Nous sommes invités à accueillir le message du pape François

pour cette semaine et à ne pas garder le silence.

Sur le chemin de Jérusalem à Emmaüs, les cœurs des deux disciples étaient tristes – comme le montraient leurs visages – à cause de la mort de Jésus, en qui ils avaient cru (cf. v. 17). Face à l’échec du Maître crucifié, leur espérance qu’il soit le Messie s’était effondrée (cf. v. 21). Et, « tandis qu’ils s’entretenaient et s’interrogeaient, Jésus lui-même s’approcha, et il marchait avec eux » (v. 15). Comme au début de la vocation des disciples, encore maintenant au moment de leur égarement, le Seigneur prend l’initiative de s’approcher des siens et de marcher à leurs côtés. Dans sa grande miséricorde, Il ne se lasse pas de rester avec nous, malgré nos défauts, nos doutes, les faiblesses, malgré la tristesse et le pessimisme qui nous rendent « sans intelligence et lents à croire » (v. 25), des hommes de peu de foi.

Aujourd’hui, comme autrefois, le Seigneur ressuscité est proche de ses disciples missionnaires, et il marche à leurs côtés, surtout lorsqu’ils se sentent perdus, découragés, effrayés face au mystère d’iniquité qui les entoure et qui veut les étouffer. C’est pourquoi « ne nous laissons pas voler l’espérance » (Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 86).Le Seigneur est plus grand que nos problèmes, surtout lorsque nous les rencontrons dans l’annonce de l’Évangile au monde, car cette mission, après tout, est la sienne et nous ne sommes que ses humbles collaborateurs, des “serviteurs inutiles” (cf. Lc 17, 10).

J’exprime ma proximité dans le Christ à tous les missionnaires du monde, en particulier à ceux qui traversent une période difficile : chers amis, le Seigneur ressuscité est toujours avec vous et il voit votre générosité et vos sacrifices pour la mission d’évangélisation dans les lieux les plus reculés. Les jours de la vie ne sont pas tous ensoleillés, mais souvenons-nous toujours des paroles du Seigneur Jésus à ses amis avant sa passion : « Dans le monde, vous avez à souffrir, mais courage ! Moi, je suis vainqueur du monde » (Jn 16, 33).

L’image des “pieds en marche” nous rappelle la validité permanente de la mission « ad gentes », la mission, donnée à l’Église par le Seigneur ressuscité, d’évangéliser toute personne et tout peuple jusqu’aux extrémités de la terre. Aujourd’hui plus que jamais, l’humanité blessée par tant d’injustices, de divisions et de guerres, a besoin de la Bonne Nouvelle de la paix et du salut dans le Christ. Je saisis donc cette occasion pour réaffirmer que « tous ont le droit de recevoir l’Évangile. Les chrétiens ont le devoir de l’annoncer sans exclure personne, non pas comme quelqu’un qui impose un nouveau devoir, mais bien comme quelqu’un qui partage une joie, qui indique un bel horizon, qui offre un banquet désirable » (ibid., n. 14). La conversion missionnaire reste l’objectif principal que nous devons nous fixer en tant qu’individus et en tant que communauté, car « l’action missionnaire est le paradigme de toute tâche de l’Église » (ibid., n. 15).

Comme l’affirme l’apôtre Paul, l’amour du Christ nous interpelle et nous pousse (cf. 2 Co 5, 14). Il s’agit ici du double amour : celui du Christ pour nous qui rappelle, inspire et suscite notre amour pour Lui. Et c’est cet amour qui rend toujours jeune l’Église en sortie, avec tous ses membres en mission pour annoncer l’Évangile du Christ, convaincus qu’ « Il est mort pour tous, afin que les vivants n’aient plus leur vie centrée sur eux-mêmes, mais sur lui, qui est mort et ressuscité pour eux » (v. 15).

Evangile selon saint Matthieu – Mt 22, 20-14