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2e dimanche du temps ordinaire – 16 janvier 2022

Dans l’Église ancienne, après la fête de la Nativité de Jésus, on associait trois signes de son Épiphanie : la visite des mages, son baptême, et son premier miracle de Cana où il manifesta sa gloire, et à partir duquel ses disciples crurent en lui, alors qu’ils étaient déjà ensemble. On peut s’étonner à ce sujet de deux choses : le récit du miracle de Cana ne revient qu’une année liturgique sur trois dans la liturgie romaine, et curieusement on a censuré la mention du troisième jour au début du texte, alors que de nombreux pères de l’Eglise s’en inspiraient pour leurs homélies et qu’il figure dans le Credo. Dans la Bible en effet (Gn 22,4 ; Os 6,2), le troisième jour est symbole de consolation et de résurrection. Après la survenance de l’épreuve le premier jour vient le deuxième, celui du deuil et de la conversion. Il peut durer longtemps, avant que se lève le soleil du troisième pour la renaissance. Le récit de Jean se présente quasiment comme un nouveau prologue. A Cana s’accomplit la transformation de l’eau en vin qui est le prélude d’un autre « troisième jour », celui où couleront de son corps élevé de terre et transpercé, l’eau et le sang de sa glorification sur la croix.

Jésus accomplit son premier signe au cours d’un repas de noces, marquant ainsi l’inauguration et le sens de sa mission dans le cadre de l’Alliance entre Dieu et l’humanité et pas seulement avec Israël. Une Alliance dont l’histoire est déjà longue depuis Noé, Abraham, Moïse, mouvementée aussi. Une Alliance souvent comparée à des épousailles, et qui pourtant n’a pas toujours ressemblé à une lune de miel entre Dieu et son peuple. Après ses infidélités, l’exil d’Israël a été une douloureuse rupture, mais Dieu est resté fidèle et lui a adressé des messages de tendresse par la bouche des prophètes, lui annonçant comme Isaïe un nouveau commencement. Ce qu’il dit ressemble à une déclaration d’amour « conjugal » de la part de Dieu à son peuple.

Pour la cause de Sion, je ne me tairai pas, et pour Jérusalem,
je n’aurai de cesse que sa justice ne paraisse dans la clarté,
et son salut comme une torche qui brûle.
Et les nations verront ta justice ; tous les rois verront ta gloire.
On te nommera d’un nom nouveau que la bouche du Seigneur dictera.
Tu seras une couronne brillante dans la main du Seigneur,
un diadème royal entre les doigts de ton Dieu.
On ne te dira plus : « Délaissée ! »
À ton pays, nul ne dira : « Désolation ! »
Toi, tu seras appelée « Ma Préférence »,
cette terre se nommera« L’Épousée ».
Car le Seigneur t’a préférée, et cette terre deviendra « L’Épousée ».
Comme un jeune homme épouse une vierge, ton Bâtisseur t’épousera.
Comme la jeune mariée fait la joie de son mari, tu seras la joie de ton Dieu. Is 62 1-5

Avec l’incarnation de son Fils, l’histoire de l’Alliance de Dieu avec son peuple continue, mais voici qu’elle prend une nouvelle figure. Après le long temps de la séparation entre l’humanité et Dieu depuis le jardin d’Eden, après les nombreuses ruptures d’alliance dans l’histoire d’Israël, Dieu épouse l’humanité d’une manière neuve et surprenante.

Le troisième jour, il y eut un mariage à Cana de Galilée.
La mère de Jésus était là
Jésus aussi avait été invité au mariage avec ses disciples.
Or, on manqua de vin. La mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont pas de vin. »
Jésus lui répond : « Femme, que me veux-tu ?
Mon heure n’est pas encore venue. »
Sa mère dit à ceux qui servaient : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le. »
Or, il y avait là six jarres de pierre pour les purifications rituelles des Juifs ;
chacune contenait deux à trois mesures, (c’est-à-dire environ cent litres).
Jésus dit à ceux qui servaient : « Remplissez d’eau les jarres. »
Et ils les remplirent jusqu’au bord.
li leur dit : « Maintenant, puisez, et portez-en au maître du repas. »
Ils lui en portèrent. Et celui-ci goûta l’eau changée en vin.
Il ne savait pas d’où venait ce vin,
mais ceux qui servaient le savaient bien, eux qui avaient puisé l’eau.
Alors le maître du repas appelle le marié
et lui dit : « Tout le monde sert le bon vin en premier
et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon.
Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant. »
Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit.
C’était à Cana de Galilée.
Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui. Jn 2 1-11

Comme beaucoup de récits évangéliques, celui de saint Jean comporte des détails très symboliques, revêtus d’une signification spirituelle. Ce n’est pas à Jérusalem, le haut-lieu religieux, que Jean situe le premier signe de Jésus, mais à Cana en Galilée des nations, « carrefour des païens, pays de l’ombre et de la mort » (Mt 4, 12-25). C’est à Cana aussi que plus tard aura lieu sa première guérison, celle du fils d’un officier romain (Jn 4,46). Un signe dont la portée est universelle comme le sera celui de son sang versé pour la multitude.

Jean dit « la mère de Jésus » et non « Marie ». N’est-elle pas en quelque sorte « L’Épousée » de Dieu ! Elle a enfanté Jésus en ce monde, elle l’enfante aussi dans sa mission et Jésus en croix la donnera comme mère au disciple. En disant « ils n’ont plus de vin », elle déclare que l’attente d’Israël est à bout. Jésus hésite, puisqu’il répond par une phrase négative. Pour Jean, ce premier signe annonce déjà la mort de Jésus et la vie de la communauté (l’eau du baptême, le vin de l’eucharistie). Les serviteurs (en grec : les diacres) sont le chaînon de l’histoire, le maillon entre Marie et Jésus. Ils obéiront à Marie en obéissant à Jésus. Avec Marie, ils représentent Israël attendant l’Envoyé de Dieu et soucieux de Lui obéir.

Jésus transforme l’eau en vin. Pas n’importe quelle eau, mais l’eau destinée aux ablutions rituelles. Jésus inaugure une manière nouvelle d’honorer Dieu : on ne lui offrira plus un culte par des rites de purification qui entraînent l’exclusion des impurs, mais par le sang du crucifié répandu pour la multitude. Il y a surabondance, un trop plein d’une part, et une discrétion d’autre part : on est frappé par le décalage entre la sobriété de cette histoire et un résultat visible prodigieux : 6 jarres de 100 litres, 800 bouteilles de 75 cl ! Sobriété cependant de ce récit qui avance d’aparté en aparté (six au total), et se conclut de manière discrète, invisible. Les disciples (pas les gens de la noce) croient en Jésus. Invités à suivre Jésus au chapitre précédent, immédiatement invités à l’accompagner à un mariage, ils le découvrent comme investi d’une mission dans le cadre d’autres noces. Jusqu’ici, c’était Dieu qui aimait Israël, comme un époux aime son épouse. Maintenant (deux fois “maintenant” dans le texte), Jésus est l’Epoux, puisque le marié offre le vin nouveau, excellent et surabondant. L’épouse est toujours Israël mais aussi un Israël nouveau ouvert à tous.

Les premiers mots de l’Évangile de Jean évoquaient le commencement du monde et le refus de la lumière par l’humanité, puis ils annonçaient l’incarnation du Verbe de Dieu. Au commencement, Dieu a créé le ciel, la terre, les vivants, l’homme et la femme, et à la fin de chaque jour, a trouvé bon et même très bon ce qu’il a fait. C’était déjà du « bon vin ». Mais c’est à la fin que l’on boira à la coupe d’un vin encore meilleur, celui de la résurrection.

Voici donc le commencement de la nouvelle création, l’eau sur laquelle planait l’Esprit, est changée en vin par la Parole du Verbe de Dieu. L’humanité peut se réjouir, car c’est l’inauguration des temps qui sont les derniers, ceux où Dieu lui-même habite avec les hommes pour ne plus jamais les quitter, pour conduire leur histoire à son terme. Et ce n’est que le commencement, car si l’eau aujourd’hui est changée en vin, le vin demain sera changé en sang. Le sang du crucifié qui a aimé l’humanité jusqu’à donner sa vie. Le sang qui abreuve l’Église en chacune de ses eucharisties. Plus tard dans sa première lettre, Jean écrira : « C’est lui, Jésus Christ, qui est venu par l’eau et par le sang : non pas seulement avec l’eau, mais avec l’eau et avec Je sang. Et celui qui rend témoignage, c’est l’Esprit, car l’Esprit est la vérité ». (1 Jn 5,6)

Ce qu’écrit Paul aux Corinthiens convient à merveille en la semaine de prière pour l’unité des chrétiens dans laquelle nous vivons depuis hier. Il présente le grand principe qui structure l’Église dès ses débuts : l’unité vitale qui vient du Seigneur et de l’Esprit (8 fois nommé en ces quelques versets) dans l’infinie variété des services. Pas de cléricalisme à l’horizon, mais de la synodalité, du partage des charismes, des rôles et des responsabilités, au sein de la maison commune !

Frères, les dons de la grâce sont variés, mais c’est le même Esprit.
Les services sont variés, mais c’est le même Seigneur.
Les activités sont variées, mais c’est le même Dieu qui agit en tout et en tous.
À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien.
À celui-ci est donnée, par l’Esprit, une parole de sagesse ;
à un autre, une parole de connaissance, selon le même Esprit ;
un autre reçoit, dans le même Esprit, un don de foi ;
un autre encore, dans l’unique Esprit, des dons de guérison ;
à un autre est donné d’opérer des miracles,
à un autre de prophétiser, à un autre de discerner les inspirations ;
à l’un, de parler diverses langues mystérieuses ; à l’autre, de les interpréter.
Mais celui qui agit en tout cela, c’est l’unique et même Esprit :
il distribue ses dons, comme il le veut, à chacun en particulier. 1 Co 12 4-11

Evangile selon saint Jean – Jn 2, 1-11