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3e dimanche de l’Avent – 11 décembre 2022

Le prophète Isaïe, notre guide pour ce temps de l’Avent, ravivait l’espérance de son peuple exilé. Il l’invitait à « voir la vie en rose » (c’est la couleur des vêtements de ce dimanche) malgré son épreuve, et lui annonçait que Dieu allait le libérer. Quels que soient nos exils et nos déserts à vivre et à traverser, exultons de joie nous aussi. En Jésus son Fils a réalisé ce que le prophète avait prédit.

Le désert et la terre de la soif, qu’ils se réjouissent !
Le pays aride, qu’il exulte et fleurisse,
qu’il se couvre de fleurs des champs, qu’il exulte et crie de joie !
La gloire du Liban lui est donnée, la splendeur du Carmel et de Sarône.
On verra la gloire du Seigneur, la splendeur de notre Dieu.
Fortifiez les mains défaillantes, affermissez les genoux qui fléchissent,
dites aux gens qui s’affolent : « Prenez courage, ne craignez pas.
Voici votre Dieu : c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu.
Il vient lui-même et va vous sauver. »
Alors s’ouvriront les yeux des aveugles et les oreilles des sourds.
Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la bouche du muet criera de joie.
Ils reviendront, les captifs rachetés par le Seigneur,
ils arriveront à Jérusalem dans une clameur de joie,
un bonheur sans fin illuminera leur visage ;
allégresse et joie les rejoindront, douleur et plainte s’enfuiront.

Is 35 1-6a.10

Une réjouissante invitation adressée à Israël, et à nous aussi, une invitation à garder courage, à vaincre l’affolement et la peur, en ces temps peu rassurants qui sont les nôtres sur notre planète apeurée. Voici venir « la vengeance, la revanche de Dieu ». Des mots difficiles à prononcer quand on les attribue à Dieu. Comprenons bien leur force dans le contexte du message d’Isaïe. Quand on parle de vengeance, on adopte habituellement un langage de violence, de châtiment, de meurtre, et l’on répond à la violence par la violence. Rien de tel dans le message d’Isaïe, la revanche de Dieu ne s’accompagne ni de sang ni de malédiction, mais de la joie de sauver et de pardonner. Israël a trahi l’alliance de Dieu et a subi la déportation. Mais Dieu va prendre sa revanche d’une manière surprenante. Il ne se vengera pas en rompant son alliance avec lui, mais en le faisant revenir d’exil. « Il viendra lui-même le sauver ». La suprême vengeance de Dieu c’est donc la revanche de la bonté sur la haine, de la paix sur la violence, de la libération sur l’esclavage, de la lumière sur les ténèbres, de la vie sur la mort, la revanche du pardon sur le crime, de la paix sur les guerres. La grande revanche de Dieu par rapport à l’humanité qui le trahit et le rejette, nous allons la fêter à Noël. Plus tard nous la fêterons devant la Croix glorieuse. Sa revanche c’est le plus beau, le plus grand des cadeaux. Il vient vivre avec nous et mourir pour nous en la personne de son Fils, Jésus-Emmanuel. Dieu vient recréer ce que l’homme a détruit. Nous attendons la fête de la naissance de Jésus, et curieusement, le récit de l’Evangile en saint Matthieu nous le montre déjà en train de parcourir les routes de Palestine et d’entreprendre à sa manière son œuvre de Messie. Jésus surprend Jean Baptiste. Emprisonné par le roi Hérode – qui bientôt va lui faire trancher la tête –, il semble perplexe devant le comportement de Jésus.

Jean le Baptiste entendit parler, dans sa prison, des œuvres réalisées par le Christ.
Il lui envoya ses disciples et, par eux, lui demanda :
« Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? »
Jésus leur répondit : « Allez annoncer à Jean ce que vous entendez et voyez :
Les aveugles retrouvent la vue, et les boiteux marchent,
les lépreux sont purifiés, et les sourds entendent, les morts ressuscitent,
et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle.
Heureux celui pour qui je ne suis pas une occasion de chute ! »
Tandis que les envoyés de Jean s’en allaient,
Jésus se mit à dire aux foules à propos de Jean :
« Qu’êtes-vous allés regarder au désert ? un roseau agité par le vent ?
Alors, qu’êtes-vous donc allés voir ? un homme habillé de façon raffinée ?
Mais ceux qui portent de tels vêtements vivent dans les palais des rois.
Alors, qu’êtes-vous allés voir ? un prophète ?
Oui, je vous le dis, et bien plus qu’un prophète.
C’est de lui qu’il est écrit :
Voici que j’envoie mon messager en avant de toi,
pour préparer le chemin devant toi.
Amen, je vous le dis : Parmi ceux qui sont nés d’une femme,
personne ne s’est levé de plus grand que Jean le Baptiste ;
et cependant le plus petit dans le royaume des Cieux est plus grand que lui.
Mt 11, 2-11

Jésus accomplit ce que Jean attendait mais celui-ci a des doutes car il est surpris par son comportement. Jésus emprunte les chemins qu’avait annoncés Isaïe, mais dans un contexte historique qui n’est pas celui de l’exil. Les ennemis d’Israël en captivité étaient extérieurs à lui mais c’est de ses ennemis intérieurs que Jésus veut le libérer. Son enseignement et ses pratiques en choquent beaucoup et même produisent du rejet par rapport à sa personne. Jésus sait que certains tombent et tomberont, scandalisés par son attitude. Il n’exerce pas sa fonction messianique en accomplissant des œuvres de justicier ou de guerrier, mais des œuvres de libération et de miséricorde à l’intérieur de son peuple.

Jean avait choisi de vivre en ascète, au désert, comme un ermite, et Jésus fait un autre choix, il reste au milieu du monde, au milieu des foules. Jésus a sans doute appartenu un temps au groupe baptiste de Jean, mais il n’a pas choisi sa spiritualité ascétique et érémitique. Il ne s’est pas retiré dans le désert avec autour de lui un petit groupe. Il vit dans le monde, mange et boit comme tout le monde, va à la rencontre de tous. Jean annonçait la venue du Messie pour Israël, peuple des seuls fils d’Abraham, mais Jésus sort des frontières d’Israël. Son message est universaliste et il choisit des apôtres qu’il envoie en terres païennes, où d’autres que les juifs sont aussi fils d’Abraham.

Jean prêchait la radicalité de la conversion, et employait des images dures. Rappelons-nous ses paroles : Le Messie sera un juge en colère, intraitable. Il va nettoyer, purifier, garder le grain, brûler la balle dans un feu qui ne s’éteint pas. Jésus suit un autre chemin. Il se fait proche des gens du petit peuple et des pauvres, de ceux qui n’arrivent pas à accomplir la Loi dans toute sa rigueur et sont donc considérés comme impurs et pécheurs par ceux qui se croient justes parce qu’ils obéissent à tous les préceptes.

Jésus s’inscrit dans la tradition d’Isaïe, celle d’une vengeance à rebours. Il cite le prophète Isaïe pour répondre aux disciples de Jean : « Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. » Jésus ne choisit pas de lever une armée pour chasser l’occupant romain et mener un combat politique, mais il enseigne les foules, guérit les malades, redonne leur dignité aux méprisés. Il ne cherche pas à punir les oppresseurs du peuple, mais il fraternise avec les victimes de la violence des gens au pouvoir, les réconforte, partage leur sort, et ne les encourage pas à prendre les armes, à devenir violents eux aussi.

On peut noter une grande continuité entre le comportement de Jésus et ce qu’annonçait Isaïe. Ce qui se passe entre Jean et Jésus se vit encore aujourd’hui. L’Eglise se trouve encore devant des choix. Va-t-elle choisir de se retirer dans le désert, de fuir le monde, pour constituer des communautés de fervents, une élite de fidèles quant à leur vie et leur doctrine, leur respect des règles qu’elle préconise ? Ou bien les chrétiens vont-ils choisir de construire une Église pour tous, au milieu de tous, acceptant que cheminent en son sein des pécheurs, des pauvres, qui n’arrivent jamais à être en règle avec les règles, mais n’en vivent pas moins les béatitudes à leur manière ?

Jean n’aura connu de Jésus que ses pratiques de guérison, de salut. Il n’aura pas connu sa passion et sa mort en croix, puis sa résurrection. Son étonnement et sa perplexité auraient encore sans doute été plus grands. Ce n’est pas saint Paul mais saint Jacques, le frère de Jésus, qui nous invite aujourd’hui à l’endurance et à la patience. En effet, le retour d’exil qu’annonçait Isaïe s’est accompli pour Israël. Cela s’est accompli d’une autre manière encore par l’œuvre de salut réalisée par Jésus. Mais nous attendons encore la venue définitive du Christ. Jacques emprunte pour en parler une belle image rurale.

Frères, en attendant la venue du Seigneur, prenez patience.
Voyez le cultivateur : il attend les fruits précieux de la terre avec patience,
jusqu’à ce qu’il ait fait la récolte précoce et la récolte tardive.
Prenez patience, vous aussi,
et tenez ferme car la venue du Seigneur est proche.
Frères, ne gémissez pas les uns contre les autres,
ainsi vous ne serez pas jugés. Voyez : le Juge est à notre porte.
Frères, prenez pour modèles d’endurance et de patience
les prophètes qui ont parlé au nom du Seigneur.
Jc 5 7-10

Jacques évoque deux récoltes, la précoce et la tardive. Belles images qui nous parlent. Nous vivons dans un monde impatient qui ne pense qu’à la précocité des récoltes, qui rêve de rendements immédiats et a désappris la longue durée de certaines germinations, qui veut connaître la fin du voyage avant de s’y engager. La récolte précoce qu’attendait Jean a peut-être déçu son attente. Elle a déçu et pour le moins surpris aussi les disciples de Jésus. La récolte tardive les décevra et les surprendra encore davantage. Quand il sera jugé et crucifié, ils s’enfuiront dans un premier temps. C’est pourtant de cette mort du Christ comme de celle du grain semé en terre, et de sa résurrection qu’ont germé et mûri des récoltes tardives inattendues qui nourrissent encore l’espérance de l’humanité.

Evangile selon saint Matthieu Mt 11, 2-11