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3e dimanche du temps ordinaire – 23 janvier 2022

De commencements en recommencements ainsi va la vie, ainsi se déroule aussi l’histoire de l’Alliance de Dieu avec l’humanité. Dans le livre de Néhémie, il s’agit d’une restauration et d’une refondation. Fini le temps de l’exil pour Israël. Il faut maintenant rebâtir Jérusalem et le Temple, mais aussi et surtout redonner vie au peuple de l’Alliance. Après la reconstruction des murailles, c’est à Néhémie, haut-fonctionnaire du roi perse libérateur du peuple exilé et aussi à Esdras qui est prêtre et scribe. Aux lévites revient la tâche d’organiser et d’animer une célébration de la Parole en présence de toute l’assemblée composée d’hommes, de femmes, d’enfants en âge de comprendre. Les officiants se tiennent sur un podium visible de tous. On apporte solennellement le livre de la Loi.

Alors le prêtre Esdras apporta la Loi en présence de l’assemblée,
composée des hommes, des femmes,
et de tous les enfants en âge de comprendre.
C’était le premier jour du septième mois.
Esdras, tourné vers la place de la porte des Eaux, fit la lecture dans le livre,
depuis le lever du jour jusqu’à midi,
en présence des hommes, des femmes,
et de tous les enfants en âge de comprendre :
tout le peuple écoutait la lecture de la Loi.
Le scribe Esdras se tenait sur une tribune de bois, construite tout exprès.
Esdras ouvrit le livre ; tout le peuple le voyait, car il dominait l’assemblée.
Quand il ouvrit le livre, tout le monde se mit debout.
Alors Esdras bénit le Seigneur, le Dieu très grand,
et tout le peuple, levant les mains, répondit : « Amen ! Amen ! »
Puis ils s’inclinèrent et se prosternèrent devant le Seigneur, le visage contre terre.
Esdras lisait un passage dans le livre de la loi de Dieu,
puis les lévites traduisaient, donnaient le sens, et l’on pouvait comprendre.
Néhémie le gouverneur, Esdras qui était prêtre et scribe,
et les lévites qui donnaient les explications, dirent à tout le peuple :
« Ce jour est consacré au Seigneur votre Dieu !
Ne prenez pas le deuil, ne pleurez pas ! »
Car ils pleuraient tous en entendant les paroles de la Loi.
Esdras leur dit encore :
« Allez, mangez des viandes savoureuses,
buvez des boissons aromatisées,
et envoyez une part à celui qui n’a rien de prêt.
Car ce jour est consacré à notre Dieu !
Ne vous affligez pas : la joie du Seigneur est votre rempart ! »
Né 8, 2-4a.5-6.8-10

Les remparts de Jérusalem sont reconstruits. Tout le peuple est en joie. Il écoute, debout dans l’attitude de personnes libres. Après chaque lecture, on donne le sens et tous peuvent comprendre. Les pleurs du peuple à l’écoute de la Parole sont des pleurs de joie. Ils ont pu réentendre la Parole qui fonde leur liberté retrouvée. Liberté qui est l’œuvre du Dieu de l’Alliance, liberté qu’ils avaient perdue parce qu’ils étaient devenus sourds à la Loi, à la volonté de Dieu. Ils étaient retombés dans un esclavage encore pire que celui d’Egypte, car ils en avaient été les artisans. Eux-mêmes s’étaient rendus esclaves de leurs convoitises de grandeur et de richesse, et avaient été ainsi la cause de leur exil, s’éloignant de leur héritage spirituel, s’excluant de l’Alliance avec Dieu dont ils avaient trahi les termes et surtout l’esprit.
Deux commencements nous sont présentés dans l’Évangile de saint Luc. Dans la préface qui commence son livre, il s’adresse à ses lecteurs « théophiles »,- c’est-à-dire amis de Dieu –, pour leur dire son projet d’historien et de théologien. Il n’a d’autre souci que de « servir la Parole » en transmettant les récits concernant Jésus, rapportés par des témoins, et d’affermir la foi de ses lecteurs. Souci qui doit être premier pour tous les « théophiles ! ».

Beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements
qui se sont accomplis parmi nous,
d’après ce que nous ont transmis ceux qui, dès le commencement,
furent témoins oculaires et serviteurs de la Parole.
C’est pourquoi j’ai décidé, moi aussi,
après avoir recueilli avec précision des informations
concernant tout ce qui s’est passé depuis le début,
d’écrire pour toi, excellent Théophile, un exposé suivi,
afin que tu te rendes bien compte
de la solidité des enseignements que tu as entendus.
Lc 1, 1-4

Ce prologue écrit à la fin du premier siècle est précieux. Luc nous révèle ce qu’étaient devenus les récits concernant Jésus dans les pourtours de la Méditerranée. En ce dimanche nous sautons les récits de l’enfance de Jésus et de son baptême et nous arrivons au récit de l’inauguration de sa mission à Nazareth. Comme dans le texte du livre de Néhémie, l’événement se déroule dans le cadre d’une liturgie synagogale de la Parole.

Lorsque Jésus, dans la puissance de l’Esprit, revint en Galilée,
sa renommée se répandit dans toute la région.
Il enseignait dans les synagogues, et tout le monde faisait son éloge.
Il vint à Nazareth, où il avait été élevé. Selon son habitude,
il entra dans la synagogue le jour du sabbat, et il se leva pour faire la lecture.
On lui remit le livre du prophète Isaïe.
Il ouvrit le livre et trouva le passage où il est écrit :
L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction.
Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres,
annoncer aux captifs leur libération,
et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue,
remettre en liberté les opprimés,
annoncer une année favorable accordée par le Seigneur.
Jésus referma le livre, le rendit au servant et s’assit.
Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui.
Alors il se mit à leur dire :
« Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture
que vous venez d’entendre. » Lc 4, 14-21

Ces deux textes rapportent des célébrations de la Parole. On peut souligner quelques différences. Nous ne sommes plus à Jérusalem mais à Nazareth. Jésus n’est ni prêtre ni scribe comme Esdras. Dans la synagogue de son village il proclame un message de joie et s’attribue ce qu’avait annoncé Isaïe. Il lit, puis ferme le livre et parle non pas d’abord ici sous la forme d’un enseignement, mais d’une annonce, celle d’un accomplissement de la Parole du prophète Isaïe qu’il vient de lire : bonne nouvelle pour les pauvres, libération pour les opprimés, pour les prisonniers. Jésus ne se contente pas d’annoncer, il affirme que c’est en sa personne, au moment même, que s’accomplit et s’actualise ce qu’annonçait Isaïe. Il se présente ainsi comme le Messie attendu. « Aujourd’hui », dit-il, maintenant, et c’est un aujourd’hui permanent, un aujourd’hui qui est encore le nôtre. Nous y reviendrons dimanche prochain.

Il ne s’agit plus de restaurer des murailles, de rebâtir un Temple, comme au temps de Néhémie et d’Esdras, mais de restaurer la joie et d’en faire un rempart, d’inaugurer une manière neuve de vivre, de penser, d’instaurer le règne de Dieu. Ce que Jésus proclame, il va l’accomplir, le vivre au milieu des gens, instaurer des comportements nouveaux par rapport aux pauvres, aux aveugles, aux prisonniers, aux opprimés. Et surtout par rapport à Dieu, tel que le présentent les responsables religieux de son temps, ou les gens de son village.


Dans sa Lettre aux Corinthiens, Paul parle aussi de l’inauguration d’une nouveauté : celle d’une vie communautaire fondée sur le baptême reçu au nom de Jésus. Cette nouveauté réside dans le fait que le Christ a aboli les murailles de séparation entre les peuples et les religions. La participation à sa mort et à sa résurrection donne naissance à son Église pour réaliser une communion nouvelle avec Dieu et entre les humains, tous membres d’un même corps, dans leur diversité.

Prenons une comparaison : le corps ne fait qu’un,
il a pourtant plusieurs membres ; et tous les membres,
malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps.
Il en est ainsi pour le Christ.
C’est dans un unique Esprit, en effet, que nous tous, Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, nous avons été baptisés pour former un seul corps. Tous, nous avons été désaltérés par un unique Esprit.
Le corps humain se compose non pas d’un seul, mais de plusieurs membres.
Le pied aurait beau dire : « Je ne suis pas la main,
donc je ne fais pas partie du corps », il fait cependant partie du corps.
L’oreille aurait beau dire : « Je ne suis pas l’œil,
donc je ne fais pas partie du corps », elle fait cependant partie du corps.
Si, dans le corps, il n’y avait que les yeux, comment pourrait-on entendre ? S’il n’y avait que les oreilles, comment pourrait-on sentir les odeurs ?
Mais, dans le corps, Dieu a disposé les différents membres comme il l’a voulu.
S’il n’y avait en tout qu’un seul membre, comment cela ferait-il un corps ?
En fait, il y a plusieurs membres, et un seul corps.
L’œil ne peut pas dire à la main : « Je n’ai pas besoin de toi » ; la tête ne peut pas dire aux pieds : « Je n’ai pas besoin de vous ».
Bien plus, les parties du corps qui paraissent les plus délicates sont indispensables.
Et celles qui passent pour moins honorables,
ce sont elles que nous traitons avec plus d’honneur ;
celles qui sont moins décentes, nous les traitons plus décemment ;
pour celles qui sont décentes, ce n’est pas nécessaire.
Mais en organisant le corps,
Dieu a accordé plus d’honneur à ce qui en est dépourvu.
Il a voulu ainsi qu’il n’y ait pas de division dans le corps,
mais que les différents membres aient tous le souci les uns des autres.
Si un seul membre souffre, tous les membres partagent sa souffrance ;
si un membre est à l’honneur, tous partagent sa joie.
Or, vous êtes corps du Christ et,
chacun pour votre part, vous êtes membres de ce corps.
Parmi ceux que Dieu a placés ainsi dans l’Église,
il y a premièrement des apôtres,
deuxièmement des prophètes,
troisièmement ceux qui ont charge d’enseigner ;
ensuite, il y a les miracles, puis les dons de guérison,
d’assistance, de gouvernement, le don de parler diverses langues mystérieuses.
Tout le monde évidemment n’est pas apôtre,
tout le monde n’est pas prophète, ni chargé d’enseigner ;
tout le monde n’a pas à faire des miracles,
à guérir, à dire des paroles mystérieuses, ou à les interpréter.1 Co 12, 12-30

Le concile Vatican 2 est en cohérence avec les trois lectures de ce dimanche. C’est à l’initiative de Jean XXIII et du Concile que l’Église romaine a commencé à prendre enfin une part active au mouvement œcuménique pour abolir les murailles entre les Églises et pour donner à la Parole de Dieu toute sa place dans sa réflexion et sa liturgie. Depuis des siècles, le peuple chrétien avait quelque peu vécu en exil, loin de la Parole et celle-ci lui a été rendue. Le latin n’étant plus obligatoire, il a pu enfin entendre dans sa langue, comprendre et actualiser dans son aujourd’hui la Parole de Dieu qui fonde sa dignité, sa liberté. Il a pu pleurer de joie et bénir, fonder sa foi et sa louange sur la Bonne nouvelle du Dieu et Père de Jésus qui lui voue un amour fidèle.

La liturgie de la Parole a repris sa valeur de signe de la présence réelle du Christ : « Il est là présent dans sa parole, car c’est lui qui parle tandis qu’on lit dans l’Église les Saintes Écritures. Enfin il est là présent lorsque l’Église prie et chante les psaumes, lui qui a promis : « Là ou deux ou trois sont rassemblés en mon nom je suis là, au milieu d’eux. » (La liturgie n°7). Paul VI déclarait lors de l’audience générale du 26 novembre 1969 :

« On constatera la plus grande nouveauté : celle de la langue. Ce n’est plus le latin, mais la langue courante, qui sera la langue principale de la messe… Il s’agit là d’un sacrifice très lourd. Et pourquoi ?… La réponse semble banale et prosaïque, mais elle est bonne, parce que humaine et apostolique. La compréhension de la prière est plus précieuse que les vétustes vêtements de soie dont elle s’est royalement parée. Plus précieuse est la participation du peuple, de ce peuple d’aujourd’hui, qui veut qu’on lui parle clairement, d’une façon intelligible qu’il puisse traduire dans son langage profane. Si la noble langue latine nous coupait des enfants, des jeunes, du monde du travail et des affaires, si elle était un écran opaque au lieu d’être un cristal transparent, ferions-nous un bon calcul, nous autres pêcheurs d’âmes, en lui conservant l’exclusivité dans le langage de la prière et de la religion ? »

Evangile selon saint Luc – Lc 1, 1-4; 4, 14-21