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7e dimanche du temps ordinaire – 19 février 2023

Dans le chapitre 5 de l’Evangile selon saint Matthieu, après avoir commenté l’interdit de tuer dans la Loi de Moïse, Jésus aborde deux aspects de la Tradition juive : la loi du talion et l’amour des ennemis.

Comme les disciples s’étaient rassemblés autour de Jésus, sur la montagne,
il leur disait :
Vous avez appris qu’il a été dit : Œil pour œil, et dent pour dent.
Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ;
mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre.
Et si quelqu’un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique,
laisse-lui encore ton manteau.
Et si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas,
fais-en deux mille avec lui.
À qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos !

La loi du talion était ainsi formulée dans le livre de l’Exode : « En cas de malheur subi on peut rendre vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure » (21, 23-25). Cette règle marque un progrès dans l’histoire de l’humanité. Avant elle, sévissait celle de Lamek, un descendant de Caïn : « Pour une blessure, j’ai tué un homme ; pour une meurtrissure, un enfant. Caïn sera vengé sept fois, et Lamek, soixante-dix-sept fois ! » (Gn 4, 23-24) Moïse a donc préconisé une règle moins barbare : un coup donné pour un coup reçu, pas plus. Mais Jésus inverse les choses : « Si l’on te gifle sur la joue droite, tends encore l’autre ». « Alors Pierre s’approchant de Jésus lui demande : « Seigneur, lorsque mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui pardonner ? Jusqu’à sept fois ? » Jésus lui répondit : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois. (Mt 18, 21-22).

Attitude stupide, lâche assurément et sans réalisme, diront certains. Mais à la réflexion, lequel parmi les personnages est le plus lâche et le plus faible ? Le violent qui gifle, qui frappe, qui tue, ou celui qui maîtrise sa violence, qui tend l’autre joue, qui réagit face à l’exploiteur en pratiquant le don gratuit, le non-calcul ? Et lequel des deux prépare un avenir de paix et non de barbarie ? Laquelle des deux attitudes a le plus de chance d’arrêter la spirale de la violence, de la haine et de la mort ? D’arrêter la main qui continue de frapper, l’arme qui continue de tuer ? La riposte au méchant par le mal ? Les opérations punitives et les ratonnades ? Les purifications ethniques ou la peine de mort ? Et si la barbarie se manifeste à nouveau dans les rues, dans les écoles, sur les écrans, dans les guerres, est-ce seulement la répression qui va la guérir ? Peut-on guérir la violence par une autre violence ?

N’est-ce pas au contraire, faire preuve d’une plus grande justice et fraternité, d’un plus grand partage, d’un amour des ennemis, d’une non-riposte à celui qui frappe, d’un pardon sans limite. Se comporter comme le Père du ciel qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons ? Ces propos de Jésus sont au cœur de ce que le christianisme comporte d’essentiel et de nouveau, dans le domaine des relations humaines, sociales et politiques. Le geste du juste n’est pas de baisser la tête mais de tendre l’autre joue. Il ne s’humilie pas mais fait un acte de résistance au mal. Il ne se laisse pas contaminer par la méchanceté de celui qui le frappe, en se refusant de se montrer violent à son tour. Dans le livre du Lévitique, dont nous lisons un passage, cette attitude était déjà recommandée par Moïse.

Le Seigneur parla à Moïse et dit :
« Parle à toute l’assemblée des fils d’Israël.
Tu leur diras : Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint.
Tu ne haïras pas ton frère dans ton cœur.
Mais tu devras réprimander ton compatriote,
et tu ne toléreras pas la faute qui est en lui.
Tu ne te vengeras pas.
Tu ne garderas pas de rancune contre les fils de ton peuple.
Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis le Seigneur.
Lv 19, 1-2.17-18

Devant le mal que quelqu’un peut nous faire de manière injuste, deux tentations nous guettent : nous venger et rendre l’équivalent du mal qu’il nous a fait, ou bien nous laisser envahir par la rancœur ou la culpabilité. Deux manières de nous laisser contaminer par le mal contre lesquelles nous avons à résister. Laissons à celui qui a fait le mal et nous a blessés, le mal qu’il a fait, le péché qu’il a commis. Ne l’imitons pas dans son péché, en devenant violent, ou en nous laissant envahir nous-mêmes par une rancœur susceptible de nous ronger de l’intérieur. N’hésitons pas à le réprimander et à lui faire savoir que sa violence et sa haine, qu’il les garde pour lui et en lui, mais nous ne les prenons pas en charge sur nous.

« Rien, je crois, n’est aussi stupide, aussi contre-productif, que l’acte de vengeance. Il concentre en lui une perte de temps, une perte d’énergie, une focalisation sur un objectif qui ne nous amène rien, et une diabolisation de soi-même. Comme stupidité, on frise l’imbattable. Je me souviens d’un western vu il y a longtemps. « Si tu veux te venger, disait l’un des personnages, commence par creuser deux tombes, l’une pour celui que tu vas punir et l’autre pour toi. » (Metin Arditi ; La Croix 30 janvier 1017)

Jésus élargit ensuite son propos.

Vous avez appris qu’il a été dit :
Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi.
Eh bien ! moi, je vous dis :
Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent,
afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ;
car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons,
il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes.
En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment,
quelle récompense méritez-vous ?
Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ?
Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ?
Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ?
Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait.
Mt 5, 38-48

Jésus fonde son invitation à l’amour des ennemis sur la sainteté de Dieu, mais emploie à deux reprises pour le nommer, le titre de « Père céleste », et rappelle à ses auditeurs qu’ils doivent se comporter comme étant vraiment ses enfants de la terre. Jésus ne parle pas en moraliste, mais en Fils de Dieu qui révèle l’orientation de sa propre vie. Il ne frappera et ne condamnera personne. Il aimera ses ennemis jusqu’à mourir pour eux, et en priant son Père de leur pardonner car ils ne se rendent pas compte du mal qu’ils font.

Cet appel du Christ à l’amour des ennemis est sans doute le plus important de son message. S’aimer les uns les autres est son commandement majeur, mais il révèle ce qu’il a de nouveau. Il ne doit pas être interprété comme une invitation à un amour entre personnes qui s’aiment et sont du même avis, qui se saluent parce que membres de la même communauté, de la même race, du même parti, de la même religion, de la même association. Les nazis eux aussi ne s’aimaient-ils pas entre eux et ne se saluaient-ils pas pour s’encourager au mal ? Les milliardaires ne sont-ils pas tentés d’agir de même entre eux ?

Jésus fonde ce commandement sur l’attitude du Père de tous les humains qui fait lever le soleil de son amour ou tomber la pluie de ses bienfaits sur les méchants comme sur les bons, les justes comme les injustes. Le Dieu et Père de Jésus aime ses ennemis, aime tous les peuples, toutes les religions, toutes les églises, tous les incroyants, et ne saurait être contaminé par le mal qu’ils peuvent faire, car il est saint, il est parfait dans son amour que rien ne peut entamer.

La sainteté de Dieu à laquelle sont appelés tous ses enfants, n’est pas une perfection morale ou légale, mais une perfection d’amour. Car tous ses enfants, créés à son image, sont en Jésus son Fils des temples de son Esprit Saint, comme le rappelle saint Paul aux Corinthiens. Tous sont appelés à la sainteté, à résister à l’esprit du mal en eux-mêmes et dans les autres, à ne pas détruire mais construire ensemble dans leurs différences, ce temple de l’Esprit de Dieu qui habite en eux.

Frères, ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu,
et que l’Esprit de Dieu habite en vous ?
Si quelqu’un détruit le sanctuaire de Dieu, cet homme,
Dieu le détruira, car le sanctuaire de Dieu est saint,
et ce sanctuaire, c’est vous.
Que personne ne s’y trompe :
si quelqu’un parmi vous pense être un sage à la manière d’ici-bas,
qu’il devienne fou pour devenir sage.
Car la sagesse de ce monde est folie devant Dieu.
Il est écrit en effet :
c’est lui qui prend les sages au piège de leur propre habileté.
Il est écrit encore : Le Seigneur le sait :
les raisonnements des sages n’ont aucune valeur !
Ainsi, il ne faut pas mettre sa fierté en tel ou tel homme.
Car tout vous appartient,
que ce soit Paul, Apollos, Pierre,
le monde, la vie, la mort, le présent, l’avenir : tout est à vous,
mais vous, vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu.
1 Co 3, 16-23

Une remarque pour conclure. Ces textes que nous entendons aujourd’hui ont une résonance très forte en ces temps de guerres, de persécutions, et de massacres barbares que nous vivons sur notre petite planète, surtout quand il s’agit de pauvres, d’enfants et de femmes. Un grand scandale aussi lorsque ceux qui en sont les décideurs et les acteurs se présentent comme chrétiens ou croyants en un Dieu miséricordieux. Les paroles de Moïse, du Christ et de Paul, peuvent être considérées comme le socle des « droits humains ».

Evangile selon saint Matthieu – Mt 5, 38-48