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Dimanche des Rameaux et de la Passion – 10 avril 2022

Le dimanche des Rameaux et de la Passion est revêtu d’un caractère festif et printanier. Il célèbre l’accueil triomphal de Jésus par la foule de Jérusalem : un triomphe bien modeste : pas de chevaux, ni de guerriers, ni de tapis rouge : simplement un petit âne et sur le sol les vêtements des gens heureux de le voir. Ce dimanche est marqué aussi par le récit de sa Passion. C’est un mot à double sens : les chrétiens font mémoire des souffrances que Jésus a subies et en même temps de l’amour passionné dont il a fait preuve toute sa vie et particulièrement au moment d’affronter son procès et sa mort. Innocent injustement torturé et crucifié, prophète gênant, il reste cependant source d’espérance, témoignage du grand et bel amour de Dieu pour l’humanité qui a conduit son Fils jusqu’à souffrir et mourir pour elle et l’accompagne, alors même qu’il semble l’abandonner. Ils sont nombreux les textes liturgiques aujourd’hui, et chacun mériterait des commentaires. Je vais m’en tenir au récit de la Passion en saint Luc. Les récits de la Passion dans les quatre évangiles comportent beaucoup de points communs, et cependant, chacun relate les événements à sa manière. Les passages que l’on ne trouve que dans le récit de Luc sont précieux : il est un infatigable témoin de la tendresse de Dieu et sa sensibilité de médecin se manifeste parfois dans son récit de la Passion.

Luc relate beaucoup de paroles de Jésus avant et après son dernier repas. Il met en relief la force de la relation d’amour entre Jésus et ses disciples, et nous fait partager ses sentiments et ses émotions au long de son récit.

Jésus dit aux Douze apôtres :
« J’ai ardemment désiré manger cette Pâque avec vous avant de souffrir !
Car je vous le déclare : jamais plus je ne la mangerai
jusqu’à ce qu’elle soit pleinement réalisée dans le royaume de Dieu. »
Vous, vous avez tenu bon avec moi dans mes épreuves.
Et moi, je dispose pour vous du Royaume,
comme mon Père en a disposé pour moi.
Ainsi vous mangerez et boirez à ma table dans mon Royaume,
et vous siégerez sur des trônes pour juger les douze tribus d’Israël.
Simon, j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne sombre pas.
Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères. »

Beaucoup d’amitié et de tendresse dans les propos de Jésus pour ses apôtres. « Moi avec vous et pour vous et vous avec moi en mon épreuve ». Le mot « désir » colore ce qui habite son cœur avant de souffrir. Sa passion et sa mort, Jésus va les subir injustement. Il ne les vit pas en kamikaze, mais dans un dynamisme d’offrande gratuite de sa personne, d’amour total pour eux et pour l’humanité. Sa vie, nul ne la prend et c’est lui qui la donne. En ce sens, la Passion et sa mort sont à comprendre comme une victoire de son amour et de celui du Père, une résurrection. Mais ses compagnons sont encore loin de cette perspective.

Ils en arrivèrent à se quereller :
lequel d’entre eux, à leur avis, était le plus grand ?
Mais il leur dit : « Les rois des nations païennes leur commandent en maîtres,
et ceux qui exercent le pouvoir sur elles se font appeler bienfaiteurs.
Pour vous, rien de tel !
Au contraire, le plus grand d’entre vous doit prendre la place du plus jeune,
et celui qui commande, la place de celui qui sert.
Quel est en effet le plus grand : celui qui est à table, ou celui qui sert ?
N’est-ce pas celui qui est à table ?
Eh bien moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert.

Immense et désolant malentendu entre Jésus et les Douze. Ce passage d’Evangile présenté ailleurs par Marc et Matthieu, Luc le place ici, après le récit de la Cène, avant celui de la Passion. Le désir de Jésus est un désir de service et de don, d’abaissement et de déprise de lui-même. Les Douze semblent sourds à ses paroles. A l’opposé du sien, leur désir à eux est un désir de domination, un appétit de pouvoir, dans une mentalité entre eux de rivalité et de querelle. C’est plus tard qu’ils comprendront et reliront les événements comme l’exprime saint Paul.

Le Christ Jésus, lui qui était dans la condition de Dieu,
il n’a pas jugé bon de revendiquer son droit d’être traité à l’égal de Dieu ;
mais au contraire, il se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur.
Devenu semblable aux hommes
et reconnu comme un homme à son comportement,
il s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à mourir,
et à mourir sur une croix.
C’est pourquoi Dieu l’a élevé au-dessus de tout ;
il lui a conféré le Nom qui surpasse tous les noms […]

Le malentendu entre les apôtres se manifeste jusqu’à la fin du repas.

Puis il leur dit :

Quand je vous ai envoyés sans argent, ni sac, ni sandales,
avez-vous manqué de quelque chose ? »
Ils lui répondirent : « Mais non. »
Jésus leur dit : « Eh bien maintenant,
celui qui a de l’argent, qu’il en prenne, de même celui qui a un sac ;
et celui qui n’a pas d’épée, qu’il vende son manteau pour en acheter une.
Car, je vous le déclare : il faut que s’accomplisse en moi ce texte de l’Écriture :
Il a été compté avec les pécheurs.
De fait, ce qui me concerne va se réaliser. »
Ils lui dirent : « Seigneur, voici deux épées. »
Il leur répondit : « Cela suffit. »

Cette parole finale de Jésus, « cela suffit » reste énigmatique. Veut-il dire « deux épées suffisent », ou « Inutile de poursuivre l’entretien sur un malentendu » ? Que veulent dire les avertissements qui précèdent ? Jésus avait envoyé les disciples en mission en leur donnant force conseils et recommandations, puis les avait accueillis à leur retour. Ils pouvaient alors compter sur sa présence, sur sa force à lui, sur sa confiance en eux et ses encouragements. Jésus leur annonce que pour lui, l’heure est venue de son départ. Il leur parle de la manière dont il va être jugé, condamné, mis à mort comme un criminel. Tout cela va les secouer et les choquer. C’est à un combat redoutable qu’il les envoie maintenant. Désormais, ils vont se trouver seuls, comme lui, face aux difficultés, appelés à donner de leur personne, à affronter contradictions et persécutions. Où puiser désormais la force de tenir ? Auront-ils le courage de transmettre le flambeau, de repartir en mission ? Il leur parle de la nécessité de s’armer spirituellement pour le combat qui les attend, mais eux ne semblent rien comprendre. Malentendu encore entre eux et Jésus. Naïvement et généreusement, ils lui proposent de prendre des armes pour le défendre. Ces malentendus soulignent combien c’est dans la solitude et l’angoisse qu’il se prépare à affronter son procès et sa mort. Luc évoque de manière très réaliste sa détresse et le réconfort de son Père :

Alors, du ciel, lui apparut un ange qui le réconfortait.
Dans l’angoisse, Jésus priait avec plus d’insistance ;
et sa sueur devint comme des gouttes de sang qui tombaient jusqu’à terre.
Et Luc rapporte aussi qu’au moment de son arrestation,
lorsqu’un de ses disciples dégaine son épée
et tranche l’oreille droite du serviteur du grand prêtre,
Jésus touche l’oreille de l’homme et le guérit.
Son dernier geste de guérison il le fera en faveur de celui qui vient l’arrêter.

Saint Luc est le seul évangéliste à donner au roi Hérode un rôle dans la Passion de Jésus. Il rapporte que Pilate ne trouve en Jésus aucun motif de condamnation à mort. Il le dit aux chefs des prêtres et à la foule.

Mais ils insistaient : « Il soulève le peuple
en enseignant dans tout le pays des Juifs, à partir de la Galilée jusqu’ici. »
A ces mots, Pilate demanda si l’homme était Galiléen.
Apprenant qu’il relevait de l’autorité d’Hérode,
il le renvoya à ce dernier, qui se trouvait lui aussi à Jérusalem en ces jours-là.
A la vue de Jésus, Hérode éprouva une grande joie :
depuis longtemps il désirait le voir à cause de ce qu’il entendait dire de lui,
et il espérait lui voir faire un miracle.
Il lui posa beaucoup de questions, mais Jésus ne lui répondit rien.
Les chefs des prêtres et les scribes étaient là, et l’accusaient avec violence.
Hérode, ainsi que ses gardes, le traita avec mépris et se moqua de lui :
il le revêtit d’un manteau de couleur éclatante et le renvoya à Pilate.
Ce jour-là, Hérode et Pilate devinrent des amis,
alors qu’auparavant ils étaient ennemis.
Alors Pilate convoqua les chefs des prêtres, les dirigeants et le peuple.
Il leur dit : « Vous m’avez amené cet homme
en l’accusant de mettre le désordre dans le peuple.
Or, j’ai moi-même instruit l’affaire devant vous,
et, parmi les faits dont vous l’accusez,
je n’ai trouvé chez cet homme aucun motif de condamnation.
D’ailleurs, Hérode non plus, puisqu’il nous l’a renvoyé.
En somme, cet homme n’a rien fait qui mérite la mort.
Je vais donc le faire châtier et le relâcher. »

Luc fait clairement apparaître que ce sont les responsables religieux qui veulent la mort de Jésus – car il remet en cause l’ordre religieux – et non pas ceux qui détiennent le pouvoir politique. Ceux-ci ne voient en Jésus qu’un pauvre homme sans défense qui ne représente aucun danger pour eux… Hérode voulait voir Jésus, le questionner, mais Jésus qui l’avait qualifié de « renard » est resté muet. Hérode voulait aussi le tuer, avait écrit saint Luc, mais lorsqu’il le voit, il le traite avec mépris et dérision. Qu’avait-il à craindre de ce Jésus si pitoyable ? Il le revêt d’un déguisement faussement royal et le renvoie à Pilate. Tous deux, sans doute d’accord pour châtier puis relâcher Jésus, du coup se réconcilient… Mais la foule, menée par les chefs des prêtres et les scribes se mirent à crier tous ensemble ; « Mort à cet homme ! Relâche-nous Barabbas. »

Pour la troisième fois, Pilate leur dit :
« Quel mal a donc fait cet homme ?
Je n’ai trouvé en lui aucun motif de condamnation à mort.
Je vais donc le faire châtier, puis le relâcher. »
Mais eux insistaient à grands cris, réclamant qu’il soit crucifié ;
et leurs cris s’amplifiaient.

La foule n’est pas toujours présentée de manière négative dans le récit de Luc. Quand Jésus commence son chemin de croix, « Le peuple en grande foule le suivait… », écrit-il. Et plus tard, devant la mort de Jésus, il note que « tous les gens qui s’étaient rassemblés pour ce spectacle, voyant ce qui était arrivé, s’en retournaient en se frappant la poitrine. » Il est le seul aussi à rapporter les paroles adressées par Jésus aux femmes qui étaient ses disciples et ne l’avaient pas renié ou trahi et n’avaient pas déserté. Présentes jusqu’à la fin, ses disciples femmes prendront soin de son corps jusqu’à son inhumation. Devançant les disciples déserteurs, elles seront les premières à voir le tombeau vide et à annoncer sa résurrection.

Des femmes se frappaient la poitrine et se lamentaient sur Jésus.
Il se retourna et leur dit : « Femmes de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi !
Pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants !
Voici venir des jours où l’on dira :
‘Heureuses les femmes stériles, celles qui n’ont pas enfanté,
celles qui n’ont pas allaité !’ Alors on dira aux montagnes :
‘Tombez sur nous’, et aux collines : ‘Cachez-nous’.
Car si l’on traite ainsi l’arbre vert, que deviendra l’arbre sec ? »
On emmenait encore avec Jésus deux autres, des malfaiteurs, pour les exécuter.

La tradition chrétienne a accordé une grande importance aux sept paroles prononcées par Jésus en Croix. Trois d’entre elles ont été transmises par Saint Luc.

D’abord une prière adressée à son Père pour qu’il pardonne à tous ceux qui le font mourir.

Jésus disait : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font. »

Ainsi, jusqu’au bout, Jésus accomplit lui-même ce qu’il recommandait à ses disciples : pardonner à ses ennemis et même à ses bourreaux. Luc est le seul aussi à rapporter le dialogue entre Jésus et l’un des deux hommes crucifiés comme lui. Puis à rapporter à sa manière la dernière parole de Jésus.

L’un des malfaiteurs suspendus à la croix l’injuriait : « N’es-tu pas le Messie ?
Sauve-toi toi-même, et nous avec ! » Mais l’autre lui fit de vifs reproches :
« Tu n’as donc aucune crainte de Dieu ! Tu es pourtant un condamné, toi aussi !
Et puis, pour nous, c’est juste :
après ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons.
Mais lui, il n’a rien fait de mal. »
Et il disait : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton Règne. » Jésus lui répondit :
« Amen, je te le déclare : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. »
Alors, Jésus poussa un grand cri :
« Père, entre tes mains je remets mon esprit. »
Et après avoir dit cela, il expira.

Jusqu’à l’heure de sa mort, Jésus est présenté par l’évangéliste en totale communion avec son Père, dans une attitude d’amour et de pardon jusqu’à la fin.

Evangile selon saint Luc – Lc 22, 14-23, 56