Rm 4, 13-16.18-22 ; Ps 88 ; Lc 2, 41-51a
Homélie retranscrite à partir d’un enregistrement
Chers amis,
Dans ce passage d’évangile, j’ai trouvé intéressant d’observer l’attitude de saint Joseph et de la Vierge Marie face à un événement pour le moins étonnant. Cette attitude peut nous rejoindre et nous éclairer sur les situations que nous ne comprenons pas, tant dans la vie de l’Église que dans celle du monde, et plus largement dans l’histoire du Salut au cœur de notre humanité.
Nous constatons d’abord l’étonnement de Joseph et de Marie lorsque Jésus, en se rendant au temple, révèle sa filiation divine. Cet instant marque sans doute la première fois où Jésus manifeste cette filiation de manière aussi claire, par un geste révélateur : être « chez mon Père » alors qu’il se trouve dans le temple de Jérusalem. Chaque année, selon la coutume, ils y montent en pèlerinage ; or, c’est là que leur est révélé que cette « maison de Dieu », ce lieu où le peuple se met en lien avec le Seigneur, est aussi la demeure de leur Fils.
Il est intéressant de noter au passage que trois jours s’écoulent avant qu’ils ne le retrouvent. Ces trois jours d’angoisse ne sont pas un hasard, mais évoquent les trois jours pendant lesquels le Christ a reposé dans le tombeau et dont Marie a fait l’expérience au pied de la croix, avant la Résurrection. Dans l’Évangile, Joseph et Marie confient : « Nous avons souffert en te cherchant ». Cette épreuve, ce temps de souffrance et de nuit durant lequel Jésus était absent n’ébranle pas leur foi, mais ils sont frappés d’étonnement (ce n’est pas de l’incrédulité : ils sont simplement étonnés) devant un acte symbolique qu’ils ne comprennent pas encore. En effet, le geste de Jésus est de style prophétique. Dans la Bible, le style prophétique se caractérise par des attitudes qui peuvent déranger, choquer voire surprendre, non pour semer le désordre, mais parce que le Seigneur cherche à secouer les consciences pour révéler une vérité essentielle. Par son acte volontaire, il y a donc un côté prophétique, car Jésus place volontairement ses parents dans l’angoisse en restant à Jérusalem à leur insu, en étant pleinement conscient de ses actes, du haut de ses douze ans. Nous pouvons établir un parallèle avec l’expulsion des marchands du temple : là aussi, Jésus accomplit un acte surprenant, choquant peut-être, mais prophétique qui dévoile le véritable sens du temple.
Lorsque ses parents l’interrogent, la réponse de Jésus est claire : « Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? ». Bien sûr qu’ils savaient : Marie avait reçu l’Annonciation et Joseph ce songe qui l’avait éclairé. Cependant, ses parents ne comprennent pas encore en quoi cet événement concerne ce grand mystère où le temple ne sera plus un monument, mais une personne : Jésus lui‑même, devenant ainsi le vrai temple qui nous met en lien avec le Seigneur. Puis il descend avec eux et se soumet à ses parents. Et nous voyons bien ici cette double soumission humaine et divine : autant avant il a fait un geste prophétique par sa soumission divine à son Père, autant là, il se soumet à ses parents.
Alors, comment cela nous interroge‑t‑il ?
Le Salut de l’humanité passe par des événements surprenants, prophétiques, que nous ne pouvons pas toujours comprendre immédiatement, et qui peuvent nous choquer. Des événements douloureux, des moments angoissants. Je pense tout particulièrement à l’histoire de l’Église, qui a toujours été complexe : persécutions, divisions, réformes… L’histoire du Salut se construit au milieu de ces épreuves.
Il y a un acte que je voudrais souligner, actuel et emblématique : le changement de Pape. Le pape François témoignait d’un style prophétique, avec des paroles souvent choquantes, surprenantes, étonnantes ; même s’il a publié des encycliques profondément enracinées, il a conservé ce ton prophétique. Le pape Léon, lui, adopte une posture plus traditionnelle, donc plus rassurante : il se manifeste autrement, il écoute beaucoup, il discerne, il décide. Cette situation me rappelle une parole de Jésus adressée à ses accusateurs, les pharisiens : « Jean Baptiste est venu, en effet ; il ne mange pas, il ne boit pas, et l’on dit : “C’est un possédé !” Le Fils de l’homme est venu ; il mange et il boit, et l’on dit : “Voilà un glouton et un ivrogne, un ami des publicains et des pécheurs.” » Puis il ajoute : « Mais la sagesse de Dieu a été reconnue juste à travers ce qu’elle fait » (Mt 11, 18-19). Je trouve cette parole très importante : la sagesse divine se manifeste dans l’œuvre qu’elle accomplit, même si ces actes peuvent parfois nous surprendre ou troubler notre manière d’appréhender les choses.
Quelles pistes de réflexion pouvons‑nous en retirer ?
Un appel à la confiance vis‑à‑vis de l’Église et de son magistère : certains événements peuvent nous étonner, et nous ne saisissons pas toujours la direction qu’on nous montre, mais l’histoire de l’Église et du Salut se construit ainsi, par étapes parfois impénétrables. C’est une invitation à la confiance. Une confiance qui est une marque de foi dans les chemins impénétrables du Seigneur qui nous conduit à la communion avec le Christ et avec nos frères : c’est dans la confiance et la foi partagées que nous restons unis les uns aux autres, même lorsque nous sommes bousculés.
Un appel à demeurer pèlerins d’espérance en cette année jubilaire : votre pèlerinage est marqué par cette grâce particulière et l’accueil de l’indulgence plénière. Le pèlerinage des pères cette année participe de ces actes qui nous permettent d’accueillir pleinement cette indulgence plénière, pour notre vie et peut‑être pour celle d’autres personnes.
Confiance enfin dans le dessein salvifique de Dieu pour l’humanité : nous avons la certitude qu’il reviendra dans la gloire, juger les vivants et les morts, et établir son règne définitif, même si le « quand ? » demeure un mystère.
Un appel donc à la confiance en l’Église du Christ, qui nous guide, même si, parfois, nous sommes frappés d’étonnement — non d’incrédulité, mais d’étonnement — comme saint Joseph et la Vierge Marie.
Laissons‑nous conduire par le Seigneur, laissons‑nous conduire par l’Esprit, comme saint Joseph a pu le faire aussi avec la Vierge Marie. Amen.
† Laurent DOGNIN
Évêque de Quimper et Léon