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LA CROIX GLORIEUSE – 14 septembre 2025

Les deux mots qui présentent la fête de ce dimanche font choc. Comment considérer comme glorieux un instrument d’humiliation, de torture et de mort ? La Croix a été aux origines de l’Eglise un signe de honte et de scandale pour les premiers disciples de Jésus. Horrifiés de voir leur maître et ami, en qui ils reconnaissaient le Messie attendu, mis au rang des malfaiteurs et condamné à subir une telle mort, beaucoup avaient fui. « Tous les disciples vont l’abandonner et s’enfuir. » (Mt 26, 56). « Ils espéraient que c’était lui qui allait délivrer Israël. (Lc 24, 21) Comment la Croix a-t-elle pu faire l’objet d’une exaltation jusqu’à devenir un signe de gloire et de joie, pour ces mêmes disciples et pour tous ceux qui, comme eux, croiraient au Christ ressuscité ? Il leur a fallu traverser une grande épreuve pour convertir leur regard sur l’arrestation et la crucifixion de Jésus condamné par les chefs religieux.

Dans la Bible ils sont nombreux les personnages qui ont affronté et traversé l’épreuve du découragement et de l’échec. Les prophètes Elie, Jérémie, et bien d’autres. Et aussi le peuple d’Israël lors de sa traversée interminable du désert. Libéré de la servitude en Égypte mais épuisé et découragé, Israël récrimine contre Dieu. Le Livre des Nombres nous en fait le récit.

En chemin, le peuple perdit courage.
Il récrimina contre Dieu et contre Moïse :
« Pourquoi nous avoir fait monter d’Égypte ?
Était-ce pour nous faire mourir dans le désert, où il n’y a ni pain ni eau ?
Nous sommes dégoûtés de cette nourriture misérable ! »
Alors le Seigneur envoya contre le peuple des serpents à la morsure brûlante,
et beaucoup en moururent dans le peuple d’Israël.
Le peuple vint vers Moïse et dit :
« Nous avons péché, en récriminant contre le Seigneur et contre toi.
Intercède auprès du Seigneur pour qu’il éloigne de nous les serpents. »
Moïse intercéda pour le peuple,
et le Seigneur dit à Moïse :
« Fais-toi un serpent brûlant, et dresse-le au sommet d’un mât :
tous ceux qui auront été mordus, qu’ils le regardent, alors ils vivront ! »
Moïse fit un serpent de bronze et le dressa au sommet du mât.
Quand un homme était mordu par un serpent,
et qu’il regardait vers le serpent de bronze, il restait en vie !
Nb 21, 4b-9

Dans la Bible, parmi les animaux, le serpent, rampant et venimeux, est porteur du mal. Dans le jardin d’Eden il se fait tentateur d’Adam et Eve. Il les invite à soupçonner la bonté de Dieu. Dans le désert Dieu envoie contre son peuple des serpents porteurs de mort, mais ils seront brûlés par Moïse et sauveront de la mort ceux qui les regarderont. Dans le chapitre 12 de son Évangile, Saint Jean nous présente la Croix comme le signe de l’exaltation de l’amour de Dieu et de son Fils. Elevé de terre il est porteur du salut et source de vie pour ceux qui le contempleront sur sa croix.

Nul n’est monté au ciel sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme.
De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert,
ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé,
afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle.
Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique,
afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle.
Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde,
non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé.
Jn 3, 13-17

Le verbe « élevé » qu’emploie saint Jean est quasiment synonyme de « ressuscité ». Jésus est présenté au monde comme un signe de gloire et non de défaite et de honte. Ainsi quand ses bourreaux le dressaient en Croix pour le maudire, sans le savoir ils relevaient le supplicié pour le glorifier. Ils le présentaient en position haute à la contemplation des hommes. Serviteur de Dieu il avait adopté la position la plus basse pour les servir et les sauver. Dieu les invitait à regarder en face l’innocent qu’ils avaient transpercé. Pour que leur regard de haine et de mépris s’emplisse de compassion et de foi. Pour qu’ils reconnaissent en cet homme juste et bon son Fils bien aimé. Pour qu’ils contemplent son amour suprême, lui qui tant aimait le monde et lui donnait son Fils unique.

Pour les chrétiens, le signe de la Croix si présent dans la liturgie, qu’il soit accompli sur le corps des participants, sur le pain et la coupe, sur l’assemblée, est un signe de bénédiction plein de sens. C’est un signe baptismal de communion avec le Christ, et par lui, avec lui et en lui, avec la Trinité sainte. La mort du Christ en Croix est au cœur de la foi, telle que la formule saint Paul.

Ayez en vous les dispositions qui sont dans le Christ Jésus :
Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu,
ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu.
Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur,
devenant semblable aux hommes.
Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé,
devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix.
C’est pourquoi Dieu l’a exalté :
il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom,
afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers,
et que toute langue proclame :
« Jésus Christ est Seigneur » à la gloire de Dieu le Père.
Ph 2, 6-11

Dans le second Testament, et dans l’Église ancienne, la Croix du Christ est comprise comme le symbole d’une initiative amoureuse et gratuite de Dieu, venant en la personne de son Fils chercher l’homme pécheur et le libérer. Le salut est, pour ainsi dire, orienté de haut en bas. La Croix a d’abord valeur positive de révélation de l’amour du Père, elle nous réconcilie avec lui, qui nous adopte comme ses fils et nous divinise. Jésus rend gloire à son Père dans un mouvement de « kénose » (abaissement), de descente aux pieds de ses amis pour les leur laver, en prenant le tablier pour les servir.

Les conceptions féodales de la justice qui se sont répandues en Occident au Moyen-Âge, vont conduire à une autre manière de percevoir la Croix comme source de salut. Une vision de double équivalence va s’imposer. Équivalence d’abord entre le rang social de celui qui commet une offense et le rang de celui qui doit la réparer. Seul un Dieu peut ainsi payer et réparer les offenses faites à Dieu, voilà pourquoi Dieu envoie son propre Fils racheter les offenses des humains. Équivalence ensuite entre la gravité, le poids de l’offense et la lourdeur des peines et souffrances pour la réparation. Dans les Temps modernes, le mouvement de la démarche sacrificielle s’oriente ainsi de bas en haut : que doit faire l’homme pour retrouver l’amitié avec Dieu ? Comme le salut dépasse les possibilités humaines, Jésus vient pour payer la dette. Dieu ne peut pardonner à l’humanité avant que d’abord, une pleine justice ne lui soit rendue par la mort sanglante de son Fils. Le Christ vient payer pour les pécheurs.

Cette conception du salut a pu donner de Dieu une image de Père vengeur et sadique dont « le courroux » vis-à-vis de l’humanité est apaisé par les supplices et la mort de son Fils. « L’homme Dieu descendit jusqu’à nous, pour effacer la tache originelle et de son père arrêter le courroux » chantait-on à Noël. Cela présentait la valeur rédemptrice de la souffrance comme telle. Plus elle est forte et plus grand est le salut qu’elle procure. Ce qui a pu entraîner une conception doloriste du christianisme. On pensera ainsi que ce sont les souffrances du Christ qui ont sauvé l’humanité. Alors que c’est son amour pour le Père et pour l’humanité, quand il a accepté et assumé la souffrance, jusqu’à mourir en Croix, qui a sauvé le monde et non sa Croix et ses souffrances en tant que telles.

Pour les chrétiens, la Croix est glorieuse car elle est la manifestation la plus forte de l’amour de Dieu. Pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. En Jésus crucifié c’est la gloire de Dieu qui éclate, en même temps que meurt son Fils par amour. C’est l’immense amour dont il aime les hommes qui rayonne sur le monde jusqu’à la fin des temps. Ce sont les fausses images de lui qui sont remises en cause, en même temps que les fausses images de la gloire humaine. La grandeur de l’homme ne saurait se confondre avec sa force, son invulnérabilité, ses richesses. En vérité, sa grandeur peut être exaltée, lorsqu’il donne sa vie par amour des autres.

Evangile selon saint Jean – Jn3, 13-17