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14 octobre 2025 — Messe pour l’année Sainte — Église Saint-Louis-des-Français (Rome) (Italie)

Is 61, 1-3a.6a.8b-9 ; Ps 88 (89)  ; Lc 4, 16-21

Frères et sœurs,

Je disais hier, après la messe d’ouverture —, que j’allais garder comme fil rouge de ce pèlerinage : l’espérance. Je vous propose donc comme étape aujourd’hui la miséricorde, comme véritable source aussi de notre espérance.

Cela tombe bien, car justement, il y a le tableau du Caravage que je vois dans l’angle, là-bas. Il n’est pas facile à voir puisqu’il est derrière, mais vous avez sans doute remarqué ce magnifique tableau qui raconte la vocation de Matthieu. Ce que je trouve déjà remarquable dans cette vocation — et le peintre a su vraiment le manifester —, c’est que Matthieu ne s’attendait pas du tout à être appelé par Jésus. Il savait très bien qu’il était rejeté de la communauté, comme publicain, collecteur d’impôts. Il n’avait aucune espérance de pouvoir être ainsi interpellé par Jésus. Et plus encore : Jésus l’invite à le suivre et il le choisira comme un de ses 12 apôtres !

C’est un geste très beau que le peintre a su exprimer. Jésus semble lui dire : « Si, si, c’est bien toi que j’appelle, c’est bien toi. » Matthieu n’en revient pas. Je me dis que cela touche aussi beaucoup de personnes qui, aujourd’hui, sont saisies par la grâce du Seigneur alors qu’elles ne s’y attendaient pas du tout, parce qu’elles se sentaient très loin de lui. Il en va parfois de même pour nous : il nous arrive d’être assez éloignés de l’amour du Seigneur, de cet amour qui veut nous toucher et nous appeler réellement à le suivre.

Dans les textes des Écritures, nous avons d’abord entendu ce passage du livre d’Isaïe. Ce passage est assez complet : il est considéré comme messianique, et nous y voyons cette annonce extraordinaire de ce que le Seigneur va réaliser pour son peuple pour le sauver. Puis vient l’Évangile, qui, évidemment, fait écho à cette première lecture, puisque Jésus ouvre le livre et tombe sur le prophète Isaïe, précisément sur ce passage du prophète.

Mais, assez curieusement — et je ne sais pas si c’est saint Luc qui a volontairement coupé le passage, ou si c’est Jésus lui-même qui a choisi de s’arrêter —, Jésus s’interrompt à cette phrase : « Proclamer une année de bienfaits accordée par le Seigneur ». Il n’a pas lu la suite. La suite, c’est : « Et un jour de vengeance pour notre Dieu… ». Jésus a mis de côté la vengeance et n’a gardé que « l’année de bienfaits accordée par le Seigneur » (Is 61, 2).

En méditant sur cette parole, je me dis que le Seigneur écarte la vengeance et veut, au contraire, nous manifester pleinement sa miséricorde. Et il fait une homélie — sans doute la plus courte homélie jamais prononcée —, puisqu’il dit seulement : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre » (Lc 4, 21). Mais cela dit l’essentiel. Jésus vient accomplir cette parole maintenant dans nos vies. 

Pour nous, cette parole est très importante, car elle résonne dans notre cœur. Jésus nous parle aujourd’hui encore. Il nous dit, à nous qui sommes ici : « C’est une année de grâce pour vous, une année de grâce. » Et cette grâce, c’est justement l’année jubilaire, puisque nous avons choisi aujourd’hui les oraisons et la prière de la messe de l’année sainte : l’année jubilaire de la naissance du Christ, l’année de l’Espérance.

Quels sont donc ces bienfaits dont parle Jésus ? « Une année de bienfaits » : de quels bienfaits s’agit-il exactement ? Je dirais deux choses. D’abord, ce sont des bienfaits pour nous. Une année de grâce déjà pour nous-mêmes. Mais aussi une année de grâce par nous, par notre intermédiaire : le Seigneur manifeste sa grâce à travers nous envers les autres.

D’abord, le Seigneur manifeste sa grâce envers nous. De quelle manière ? C’est d’abord la grâce du pardon. Un peu comme dans le tableau du Caravage : Jésus balaie tous les péchés de Matthieu pour en faire un apôtre. C’est ce que nous découvrons pour nous dans l’indulgence plénière que nous recevons au cours d’une année sainte. C’est là la grâce par excellence. Il ne nous est pas demandé des choses extraordinaires : simplement de faire un pèlerinage, de marcher, de franchir les portes saintes comme acte de foi, de prier ensemble et de recevoir le sacrement du pardon, qui est aussi l’aboutissement sacramentel que nous pourrons recevoir au cours de ce pèlerinage. 

Puis, cette année de grâce, de bienfaits, c’est aussi la grâce de la foi : un renouveau de notre foi. Il est vrai qu’au fil du temps, notre foi peut devenir tiède. Nous pouvons être habités par beaucoup de doutes, voire par l’incroyance. Il y a aussi les nuits de la foi. Cette année sainte est une année pour raviver notre relation avec le Seigneur, et c’est lui qui nous en donne la force.

Je dirais encore que c’est la grâce de la réconciliation. Si nous regardons un peu notre vie, il y a parfois des personnes avec qui nous sommes fâchés, avec qui la relation est rompue. Nous ne nous parlons plus. Cela peut concerner des proches, des amis d’autrefois. Nous pouvons demander au Seigneur la grâce de la réconciliation, qui transformera les relations conflictuelles que nous pouvons avoir, pour les retourner. Car le Seigneur souhaite que nous nous aimions les uns les autres, au-delà de nos différences, au-delà de nos conflits.

Je disais aussi que cette année de grâce est une grâce par nouspar notre intermédiaire, puisque la mission de Jésus, qu’il annonce en lisant Isaïe, devient aussi la nôtre : c’est notre mission, comme pèlerins d’espérance, en cette année jubilaire. Pourquoi ? Parce que nous avons été nous-mêmes consacrés par l’onction. Comme le dit le prophète Isaïe : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction » (Is 61, 1).

Vous avez reçu le saint chrême, vous avez reçu le don de l’Esprit Saint, vous avez été touchés par la grâce, et vous êtes envoyés, comme Jésus, pour porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, pour annoncer l’Évangile. Il s’agit, autrement dit, d’être témoins de notre foi auprès de ceux que nous rencontrons. « Annoncer aux captifs leur libération », c’est leur faire découvrir que Jésus les aime, et que s’ils mettent leur foi dans le Christ, ils seront libérés du mal, libérés du péché, et entreront dans une vie nouvelle.

Et « aux aveugles qu’ils retrouveront la vue » : c’est leur faire découvrir la lumière de la vérité. Dans un monde extrêmement troublé, où — notamment sur Internet — circulent toutes sortes de choses vraies ou fausses, où nous ne savons plus toujours où nous en sommes, le Christ, lui, nous conduit vers la vérité tout entière. Aider les autres à découvrir le Christ et son Évangile, c’est les aider à découvrir la vérité, à trouver quelque chose de stable, un roc sur lequel fonder leur vie.

Pour tout cela, frères et sœurs, nous allons célébrer cette Eucharistie en demandant que la grâce du Seigneur descende sur chacun d’entre nous, et que ce soit pour nous tous une véritable année de bienfaits accordée par le Seigneur. Amen.

†  Laurent DOGNIN

Évêque de Quimper et Léon