Gn 18, 1-8 ; Ps 120 ; He 13, 1-3.7-8 ; Lc 10, 25-37
Frères et sœurs,
Durant ce colloque, vous méditez sur le thème « Héritiers, servons sur le chemin de l’à venir ! » faisant ainsi référence au charisme d’origine de la congrégation des Ursulines de l’Union Romaine et les défis actuels que nous devons relever pour l’avenir de nos communautés éducatives et, je dirai, plus largement de notre humanité. Le thème d’année de la Tutelle donne un axe plus ciblé : « N’oublions pas l’hospitalité pour un monde plus fraternel. »
Au cœur de ce colloque, nous pouvons nous laisser toucher par la Parole de Dieu qui a été choisie et qui nous dit clairement ce que le Seigneur attend de nous aujourd’hui pour servir cet héritage de sainte Angèle, en prenant conscience des nouveaux défis que doivent surmonter les jeunes et leurs familles.
On peut citer les dérives des réseaux sociaux et l’emprise qu’ils peuvent avoir sur les jeunes, les dérives sociétales, l’idéologie du genre qui perturbe bien des jeunes également, sans oublier la drogue qui touche tous les milieux, les sites pornographiques qui sont accessibles à tout le monde, et j’en passe.
Il n’y a pas que cela heureusement, mais votre Tutelle Méricienne a bien cette vocation d’agir au sein des communautés éducatives pour les aider à surmonter ces défis. Et elle le fait en leur apportant la Bonne Nouvelle du Christ qui est le chemin, la vérité et la vie et qui fait grandir la joie de l’espérance au sein des familles en permettant à chaque jeune de s’épanouir et de faire grandir ses talents.
Il me semble que l’hospitalité, telle que Jésus la présente, est au cœur de cette œuvre que l’on peut qualifier de salutaire. Et il y a un lien évident entre cette hospitalité et l’attitude que nous devons avoir vis-à-vis des jeunes et de leurs familles.
Que nous disent les textes que nous venons d’entendre sur ce sujet ?
Dans l’Évangile, Jésus est interrogé par le docteur de la Loi sur un aspect essentiel du Salut : « Que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? » Il a bien compris qu’il y avait un lien de cause à effet entre la manière dont nous nous comportons vis-à-vis de nos semblables et notre espérance de vivre pour toujours dans l’amour de Dieu, au-delà de notre mort. Jésus lui dit clairement que c’est bien dans cet amour de Dieu et du prochain que se trouve l’essentiel de ce que nous sommes appelés à vivre durant notre vie humaine.
Saint Jean dira à ce propos : « Celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, est incapable d’aimer Dieu, qu’il ne voit pas. » (1 Jn 4, 20), autrement dit les deux sont inséparables, au point que Jésus dira que ces deux commandements sont semblables.
La question de l’amour de Dieu ne semble pas poser un problème pour le docteur de la Loi, en revanche il s’interroge sur l’amour du prochain : « Et qui est mon prochain ? » Jésus lui répond par l’histoire de ce samaritain. On y découvre que le prochain n’est pas forcément ceux qu’on appelle « nos proches » et qui désignent en général notre famille et nos amis. Jésus a choisi dans sa parabole un samaritain qui, justement, n’avait rien de commun avec les juifs (cf. Jn 4, 9).
Il était donc très éloigné socialement et religieusement de cet homme blessé. Il s’est fait le prochain par compassion pour cet homme. C’est son attitude intérieure qui le rendait proche de cet homme blessé et il « a fait preuve de pitié » envers lui en s’engageant totalement à son égard, y compris financièrement.
On peut dire qu’il a exercé une hospitalité active vis-à-vis de cet homme. À l’image d’Abraham dans la première lecture dans laquelle les trois hommes qui se présentent devant lui ne demandent rien. C’est lui qui, les voyant proches de sa tente, court à leur rencontre, se prosterne et leur demande de s’arrêter chez lui, avec un accueil qui va là aussi au-delà des règles élémentaires de l’hospitalité. Une hospitalité active !
À l’inverse, l’hospitalité que je qualifierai de passive est d’accueillir les personnes qui se présentent à nous et qui sollicitent notre aide, et de répondre simplement à leur demande. C’est déjà très bien, mais Jésus nous demande d’aller au-delà en prenant l’initiative de rejoindre les personnes, de discerner leurs besoins et de chercher comment y répondre en donnant le meilleur de nous-mêmes, même si ces personnes ne demandent rien !
Quel est le lien avec ce que nous célébrons dans ce colloque ?
Cela nous éclaire sur l’attitude que le Seigneur nous appelle à avoir dans nos communautés éducatives. À savoir, passer d’une hospitalité passive à une hospitalité active, en ayant une attention particulière vis-à-vis de chaque élève et en lien avec sa famille. En essayant de discerner ses besoins, ses non-dits, ses souffrances, à partir de son attitude, ses réactions. Et cela pour apporter à chacun le meilleur pour l’aider à se développer humainement et spirituellement.
Quand j’évoque les non-dits, les souffrances intérieures des jeunes, je me permets d’interpréter ce que l’auteur de la Lettre aux Hébreux nous demande dans la deuxième lecture, à savoir de nous souvenir de ceux qui sont en prison et de ceux qui sont maltraités. Dans le contexte qui est le nôtre, nous pouvons entendre la prison intérieure dans laquelle des jeunes peuvent s’enfermer.
Les drames qui se sont produits dernièrement dans des établissements scolaires nous ont montré que des jeunes, apparemment gentils, calmes et silencieux, pouvaient soudain devenir violents au point d’aller jusqu’à commettre un meurtre. Et cela parce que ses parents et ses éducateurs n’ont pas su, ou pas pu, le visiter dans sa prison intérieure et l’en libérer.
Nous pouvons donc entendre cet appel de la Lettre aux Hébreux à nous « souvenir » de ces jeunes, en étant attentif à ceux qui n’expriment rien de visible, mais qui souffrent moralement ou physiquement en raison d’épreuves personnelles, familiales ou de harcèlement, ou qui sont désorientés intérieurement par les dérives que j’ai exprimées au début. On peut dire que cette attitude-là peut être qualifiée d’hospitalité active comme Jésus nous appelle à la vivre.
J’ajoute que cette attitude n’est pas seulement de la compassion, c’est un acte de foi. L’auteur de la Lettre aux Hébreux nous dit que cette attitude « a permis à certains, sans le savoir, de recevoir chez eux des anges. » Et Abraham, en se prosternant devant les trois hommes qui sont devant lui, y reconnaît la présence de Dieu. Et Jésus ira jusqu’à dire dans la Parabole du jugement dernier « tout ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait. » (Mt 25, 40) En étant au service de ces jeunes et de leur famille, c’est le Christ lui-même que nous servons et, de fait, cela nous fait entrer, eux et nous, dans la vie éternelle !
C’est bien avec cette foi que depuis la fondation de la congrégation par sainte Angèle Mérici, de très nombreuses religieuses, mais aussi des laïcs éducateurs et enseignants, des membres des OGEC, ont consacré leur vie entière à cette œuvre auprès des jeunes et des familles. Nous en sommes les héritiers comme le précise ce colloque. Un héritage qui nous appelle à poursuivre cette mission pour relever les défis actuels et à venir, avec les moyens qui sont les nôtres aujourd’hui. Et celui de la foi et de la relation au Christ est le plus important. « Va, et toi aussi fais de même », dit Jésus. Amen.
† Laurent DOGNIN
Évêque de Quimper et Léon