Lorsque nous nous souvenons des personnes chères qui nous ont quittés, se bousculent en nous des images et des sentiments divers liés aux événements que nous avons vécus avec elles. Elles vivent toujours dans notre souvenir, mais comment imaginer ce qu’elles sont aujourd’hui ? L’au-delà de la mort est-il imaginable ? Peut-on le décrire, le dépeindre ?
Depuis qu’elle existe, l’humanité honore, ensevelit les corps des membres de son clan, de sa famille, et manifeste ainsi une croyance en leur survie. Elle éprouve le besoin de croire en une transcendance, un au-delà autre que terrestre, dont chaque religion parle à sa manière. Dans l’Eglise catholique, surtout depuis le Moyen-Âge, on se représentait trois lieux pour les défunts : le paradis, l’enfer qui duraient éternellement et le purgatoire dont la durée était provisoire et à l’image du temps terrestre. Peintres, sculpteurs, prédicateurs ne se privaient pas de décrire ces lieux de paix ou de tourments, de bonheur ou de supplice. Les textes récents officiels dans l’Eglise invitent les théologiens à faire preuve d’une grande sobriété, tant dans la spéculation que dans l’expression de leur discours. Ces documents autorisés demandent de ne pas se laisser trop « impressionner » par les représentations héritées de la tradition. Certes, la conviction demeure : ce que l’on espère du Dieu vivant est toujours aussi fort. Mais l’élan passe plutôt, désormais, par le pur silence de l’adoration et de l’attente que par des descriptions chargées, visiblement trop dépendantes encore de représentations plus mondaines qu’évangéliques.
Pour aborder le sens de nos questions, il est bon de nous référer aux messages de la Bible. De revenir aux sources, à la manière dont s’exprime ce dimanche la Parole de Dieu selon Isaïe, saint Paul, et bien sûr selon le Christ lui-même, le ressuscité. Vivre avec lui aujourd’hui, vivre de sa vie par le baptême, c’est déjà voir se réaliser la promesse réalisée de vivre unis à sa personne pour toujours. La résurrection des morts n’est ni une séparation de l’âme et du corps selon la pensée grecque, ni des réincarnations. En lui, et comme lui, notre corps – c’est-à-dire notre personne – sera transfiguré, transformé.
Isaïe, dans le premier Testament, présente une image de Dieu serviteur, organisant un festin pour tous les peuples.
Le Seigneur de l’univers préparera pour tous les peuples, sur sa montagne,
un festin de viandes grasses et de vins capiteux,
un festin de viandes succulentes et de vins décantés.
Sur cette montagne, il fera disparaître le voile de deuil
qui enveloppe tous les peuples et le linceul qui couvre toutes les nations.
Il fera disparaître la mort pour toujours.
Le Seigneur Dieu essuiera les larmes sur tous les visages,
et par toute la terre il effacera l’humiliation de son peuple.
Le Seigneur a parlé.
Et ce jour-là, on dira : « Voici notre Dieu, en lui nous espérions,
et il nous a sauvés ; c’est lui le Seigneur, en lui nous espérions ; exultons, réjouissons-nous : il nous a sauvés ! »
Is 6a 7-97
Isaïe s’exprime sous une forme imagée : une nourriture savoureuse et bien arrosée, un habit de lumière, des visages brillants de joie, un peuple relevé, une vie différente de celle que nous connaissons, sans faim ni soif, sans larmes ni deuil, sans humiliation, sans la mort, enfin ! Aucune notion de récompense, de rétribution, de mérites, aucune idée de faute, de péché à expier. Mais l’annonce d’une série d’actions que le Seigneur effectue gratuitement, en faveur de tous les peuples ; l’assurance d’un changement offert à tous, pour toujours.
Nous pouvons chasser nos peurs : ce qui nous attend, ce qui est déjà donné aux défunts ne dépend pas de nos efforts, ne vient pas couronner notre perfection morale. Nous pouvons vivre avec l’assurance que ce jour nouveau dépend uniquement de l’amour de Dieu et de son désir efficace de sauver tout homme dans l’univers entier. C’est pour nous l’accomplissement de l’espérance, une espérance chargée de joie bien que blessée par les larmes. » Exultons, réjouissons-nous, il nous a sauvés. «
Nous tous qui par le baptême avons été unis au Christ Jésus,
c’est à sa mort que nous avons été unis par le baptême.
Si donc, par le baptême qui nous unit à sa mort,
nous avons été mis au tombeau avec lui,
c’est pour que nous menions une vie nouvelle, nous aussi,
comme le Christ qui, par la toute-puissance du Père, est ressuscité d’entre les morts.
Car, si nous avons été unis à lui par une mort qui ressemble à la sienne,
nous le serons aussi par une résurrection qui ressemblera à la sienne.
Nous le savons : l’homme ancien qui est en nous a été fixé à la croix avec lui
pour que le corps du péché soit réduit à rien,
et qu’ainsi nous ne soyons plus esclaves du péché.
Car celui qui est mort est affranchi du péché.
Et si nous sommes passés par la mort avec le Christ,
nous croyons que nous vivrons aussi avec lui.
Nous le savons en effet : ressuscité d’entre les morts,
le Christ ne meurt plus ; la mort n’a plus de pouvoir sur lui.
Rm 6 3-9
Saint Paul s’exprime au futur à deux reprises. « Assimilés à la mort du Christ, nous le serons aussi à sa Résurrection… Si nous sommes morts avec Christ, avec lui nous vivrons. » La vie nouvelle inaugurée par le baptême est une réalité à vivre au présent, et en même temps une promesse. Vivants pour le Christ, nous sommes en attente de l’accomplissement en plénitude de notre baptême, lorsque viendra notre dernière mort qui sera aussi notre dernière naissance. Car les chrétiens ont l’assurance qu’en Christ ressuscité, la mort est morte et n’a plus le dernier mot. La première tradition chrétienne a établi un lien étroit entre la naissance baptismale et le jour de la mort du baptisé appelé « dies natalis », jour de sa naissance au ciel. La mort du baptisé fidèle à sa foi est considérée, en quelque sorte, comme la réussite plénière de son baptême. L’Eglise célèbre la fête des saints non pas à la date anniversaire de leur naissance, mais à celle de leur mort.
À son arrivée, Jésus trouva Lazare au tombeau depuis quatre jours déjà.
Comme Béthanie était tout près de Jérusalem – à une distance de quinze stades (c’est-à-dire une demi-heure de marche environ) –,
beaucoup de Juifs étaient venus réconforter Marthe et Marie au sujet de leur frère.
Lorsque Marthe apprit l’arrivée de Jésus,
elle partit à sa rencontre, tandis que Marie restait assise à la maison.
Marthe dit à Jésus : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort.
Mais maintenant encore, je le sais, tout ce que tu demanderas à Dieu,
Dieu te l’accordera. »
Jésus lui dit : « Ton frère ressuscitera. »
Marthe reprit : « Je sais qu’il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour. »
Jésus lui dit : « Moi, je suis la résurrection et la vie.
Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ;
quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? »
Elle répondit : « Oui, Seigneur, je le crois :
tu es le Christ, le Fils de Dieu, tu es celui qui vient dans le monde. »
Jn 11 17-27
A chaque événement, à chaque rencontre, Jésus invite ceux et celles qu’il guérit, ainsi que ses disciples et les foules, à changer radicalement leur manière de comprendre la religion, la maladie, l’infirmité, et la mort, pour mieux se comprendre eux-mêmes.
Le nœud du récit réside dans son dialogue avec Marthe. Comme tout son entourage, elle croit en la résurrection de son frère au dernier jour, à la fin des temps. Jésus lui déclare de façon abrupte : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s´il meurt, vivra ; et tout homme qui vit et qui croit en moi ne mourra jamais. » Marthe et tous les chrétiens sont donc invités à convertir leur foi en la résurrection, à la rapatrier de la fin des temps au moment présent de leur rencontre avec le Christ ; il s’agit de croire que la parole de Jésus fait « surgir » (racine du mot résurrection), dans le présent, une offre de vie que la mort n’atteint pas. Jésus ne sera pas mais il est le ressuscité. Comme il l’avait dit à la samaritaine, à l’aveugle, à la foule, il dit à Marthe « Je suis », expression souvent employée par lui en saint Jean ; elle signifie l’être même de Dieu, le vivant, la source de la vie. Dans le cœur de ceux et de celles qu’il rencontre, il fait surgir un élan vital qui était en sommeil de mort.
Evangile selon saint Jean – Jn6, 37-40