Accueil  -  L'actualité du Diocèse  -  1943-2023 : Il y a 80 ans, Morlaix était bombardée

1943-2023 : Il y a 80 ans, Morlaix était bombardée

Le 29 janvier 1943, des avions des forces alliées ont bombardé la ville de Morlaix dans le but de détruire le viaduc pour empêcher le ravitaillement des forces allemandes basées à Brest. Bilan : 67 civils tués, dont 39 enfants de l’école Notre-Dame-de-Lourdes.

L’association Les amis de Notre-Dame de Lourdes, fondée par Dominique Caraes, s’implique dans l’organisation annuelle des cérémonies organisées en mémoire des victimes du bombardement de l’école pendant la seconde guerre mondiale.

Dimanche 29 janvier, une messe commémorative a eu lieu en l’église de Saint-Martin des Champs. Ensuite, un temps de mémoire a été vécu devant la chapelle Notre-Dame-des-Anges.

Anne-Marie Bodilis, née Mescam, était une élève de cette école. Elle a accepté de témoigner des événements et de la vie à Morlaix au temps de l’occupation allemande.

Témoignage

En 1943, j’avais un peu plus de 6 ans et demi. Ce 29 janvier 1943, il faisait un beau soleil clair mais très froid. Nous vivions dans le petit village de Tréoudal à environ 4 km du centre de Morlaix, Saint-Martin-des-Champs. J’avais un frère, Pierre, qui venait d’avoir 8 ans et une petite sœur, Bernadette, âgée de 6 mois.

Ce 29 janvier, Pierre et moi aurions dû être à l’école ND de Lourdes. Il y avait à cette époque une grosse épidémie de rougeole dans la région et nous n’y avons pas échappé.

Lorsque Pierre et moi sommes restés alités avec cette rougeole (qui a sauvé la vie de plusieurs enfants), notre maman s’est rendue malgré le danger jusqu’à l’école pour prévenir sœur Saint-Cyr de mon absence, Pierre étant dans une classe de plus grands. Elle a dit à notre mère « Mais quand donc cette petite va apprendre à lire, elle va avoir 7 ans !!! »

Elle tentait de remonter le moral de maman en lui disant, « Gardons courage, les Anglais vont nous sauver… » …Trois jours après, par erreur, une escadrille anglaise larguait des bombes sur Morlaix et détruisait tant de vies.

Ce jour-là, je sortais de la maison pour la première fois et ne suis pas allée à l’école car Pierre n’était pas guéri. Je dis souvent que je dois la vie à Pierre. Nous ne faisions jamais la route seuls. Parfois accompagnés de 2 jeunes filles des maisons voisines qui étaient à l’ouvroir de la même école.

Ce jour du 29 janvier, je me balançais sur une grande grille du château de Tréoudal, au soleil lorsque j’ai entendu ce bruit énorme des avions et des bombes… Nous étions habitués, je ne me souviens pas avoir eu peur mais je suis rentrée en courant dans la maison en criant à ma maman : « C’est l’école !!! »

Mes souvenirs suivants sont très vagues. J’écoutais les grandes personnes raconter les horreurs des recherches de lambeaux d’enfants dans les décombres… Bien souvent, les enfants étaient tenus à l’écart de toutes ces conversations.

Je n’ai parlé à aucun enfant rescapé par la suite, ni retrouvé personne.

Pourtant, la vie a repris doucement et certains châtelains des environs (ceux qui n’étaient pas réquisitionnés, comme celui de Tréoudal) ouvraient une pièce ou deux pour servir de classe.

Sœur Saint Cyr nous manquait. Nous ne savions pas qu’elle était morte sous les bombes. Je ne sais si, à l’époque, quelqu’un a eu une pensée pour ses chers parents. Elle était si jeune… Une vie d’institutrice et de dévouement aux autres qu’elle avait choisie…

L’aller et le retour à travers bois prenaient une grande partie de la journée. Au château, les consignes étaient strictes. Il ne fallait toucher à rien. Juste ouvrir les yeux (on nous disait « toucher avec les yeux »). Depuis, je crois que j’ai gardé le goût des beaux tableaux et des œuvres d’arts.

Le souvenir que je garde des Allemands est plutôt amical et sympathique. Ils étaient jeunes comme nos parents (Mon papa aussi était parti… Nous ne savions pas trop où…) ; parfois une permission de quelques jours puis il repartait. Il conduisait des chars et Pierre l’écoutait sérieusement.

Les Allemands rentraient parfois quelques instants dans la maison, attirés par l’odeur des crêpes de ma maman (seule gourmandise puisque nous étions à la campagne). Ils nous parlaient de leurs enfants de nos âges. L’un s’appelait Piter, comme Pierre et il lui apprenait à jouer de l’harmonica.

Lorsqu’il y avait du danger pour la nuit, ils nous prévenaient qu’il fallait quitter la maison. Nous partions à pied, avec la poussette de bébé, dormir chez des voisins bien souvent dans le foin d’une étable. Pour les enfants, c’était du plaisir… Pour nos pauvres parents, c’était sûrement différent.

Je me souviens de l’arrivée des Allemands, des convois de camions incessants toute une matinée. Serrés les uns après les autres, il a été impossible de traverser la route…

Quelques jours après, la forêt et les alentours de la maison étaient envahis de grandes baraques de bois et le château occupé par les supérieurs.

Les châtelains ont dû s’en aller et tout laisser à l’occupant : les voitures, les écuries et les chevaux. J’entendais les adultes en parler.

Parfois, les fermiers des environs étaient convoqués à se présenter, surtout en tenues de travail et le fouet autour du cou comme la coutume.

Il leur était demandé de rester debout des heures, le temps de réaliser leur portrait au fusain. On ne m’interdisait pas d’être là… comme à mon habitude. Je me souviens d’une très jeune fille, Hélène. Elle était femme de chambre et une amie de mes parents. J’ai conservé sa photo en espérant toujours la revoir… Ces croquis au fusain étaient expédiés en Allemagne… avec des tentures murales découpées sur les murs.

Plus tard, il a fallu partir, quitter notre petite maison et aller se réfugier chez nos grands-parents et attendre que les prisonniers reviennent… J’ai beaucoup été chez ma grand-mère paternelle, elle aussi veuve de la guerre 14-18 avec quatre enfants.

Puis chez notre grand-mère maternelle, à l’école du village où l’on apprenait le catéchisme en breton… Nous étions 2 à l’apprendre en français pour continuer comme à Morlaix…

Pendant toutes ces années-là, nous ne parlions pas de l’école près du viaduc… Les grandes personnes qui en parlaient se taisaient à mon approche… J’ai toujours vu cette belle photo de classe, mais je n’osais pas demander ce qu’étaient devenus mes petits amis.

La vie a passé et un jour, un article sur le journal a attiré mon attention. Il parlait de retrouver les rescapés du viaduc… Bien sûr, je suis allée à une première cérémonie à St-Martin… Et depuis, nous nous retrouvons avec bonheur… et beaucoup d’émotions chaque 29 janvier.