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29e dimanche du temps ordinaire – 16 octobre 2022

Alors que la vie humaine dure plus longtemps qu’autrefois, elle se présente comme un parcours rempli d’imprévisible. Tout va plus vite, les engagements sont moins durables. On parle d’obsolescence pour la fabrication et la vente de machines irréparables et faites pour durer peu, afin qu’on se voie vite obligé d’en acheter d’autres. Les CDD progressent au dépens des CDI. Tout devient « fluide » et « flexible ». L’engagement durable dans plusieurs domaines est une valeur quelque peu bouleversée. Il est souvent provisoire, car les évolutions et les changements peuvent se succéder de manière brutale et accélérée. Devant les aléas et la dureté de la vie, devant les épreuves dans le domaine du travail, du couple, il faut rebondir mais beaucoup perdent pied, baissent les bras, se laissent envahir par le découragement. Il en va de même en ce qui concerne la foi. Alors qu’elle pouvait être stable et enracinée pour toute une vie – plus courte qu’aujourd’hui –, elle se fait volage et change au gré des courants d’idées ainsi que des sentiments et des relations. Comment parler encore de persévérance ? Les textes liturgiques de ce dimanche nous invitent à y réfléchir.
D’abord le psaume 120. La longue et rude marche de la foi ressemble au pèlerinage de nos ancêtres croyants quand ils montaient à Jérusalem. Ils chantaient ce psaume qui évoque le chemin de plusieurs jours ou semaines qu’ils avaient à faire, avec des montagnes à gravir, les feux du jour et les frayeurs de la nuit à affronter, avec le risque de déraper sur les cailloux des sentiers, quand ils n’avaient pas à subir les assauts de pillards. Quand ils quittaient leurs maisons, ils souhaitaient pouvoir y revenir sains et saufs. Ils comptaient sur Dieu, levaient leurs yeux vers lui qui « ne dort pas, ne sommeille pas, et les garde au départ et au retour. »
Dans l’Evangile, Jésus invite ses disciples aussi à résister au découragement par la prière.

Jésus dit une parabole pour montrer à ses disciples
qu’il faut toujours prier sans se décourager :
« Il y avait dans une ville un juge qui ne respectait pas Dieu
et se moquait des hommes.
Dans cette même ville, il y avait une veuve qui venait lui demander :
´Rends-moi justice contre mon adversaire.´ Longtemps il refusa ; puis il se dit :
´Je ne respecte pas Dieu, et je me moque des hommes,
mais cette femme commence à m’ennuyer :
je vais lui rendre justice pour qu’elle ne vienne plus sans cesse me casser la tête.´ »
Le Seigneur ajouta : « Écoutez bien ce que dit ce juge sans justice !
Dieu ne fera-t-il pas justice à ses élus, qui crient vers lui jour et nuit ?
Est-ce qu’il les fait attendre ? Je vous le déclare : sans tarder, il leur fera justice.
Mais le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur terre ? »

Quand un juge sans justice exauce une pauvre veuve qui le harcèle et lui casse la tête, comment Dieu, le juste par excellence, ne ferait-il pas justice aux pauvres qui crient vers lui nuit et jour ? A la fin de son propos, Jésus semble lui-même un peu découragé. Il pose et se pose une question de taille : jusqu’à la fin des temps y aura-t-il encore des croyants pour harceler Dieu de leurs cris et de leurs supplications ? Qu’adviendra-t-il des humains si la prière, la foi, l’espérance et l’amour s’éteignent sur la terre ? Qu’adviendra-t-il si les croyants désertent leur propre foi en Dieu et en l’homme, déclarent la mort de toute espérance, pensent que la prière est inutile, et baissent les bras devant les assauts de nouvelles misères et barbaries ? Cette angoisse du Christ est bien présente plus que jamais en ce 21e siècle qui a commencé sous le signe de menaces de tous genres et se pose même la question de l’avenir de notre minuscule planète face aux désordres climatiques. La mission universelle de l’Eglise qui nous est rappelée toute cette semaine n’est-elle pas de garder les yeux, les bras et les mains de l’humanité levés vers Dieu et de rappeler à tous les devoirs de bénédiction, de lucidité et de conversion ?

La première lecture tirée du livre de l’Exode parle aussi de persévérance. Le peuple d’Israël traverse le désert et le voilà attaqué par des ennemis. Quoi de plus fragile qu’un peuple migrant dans un désert – ou sur une mer -. Nous en prenons la mesure aujourd’hui. Un peuple d’esclaves, partis en hâte, sans armes, sans provisions, en quête d’un avenir et d’une terre de liberté, proie facile pour tous les prédateurs. Courageusement, Moïse invite son peuple au combat et donne des consignes à Josué (le même nom que Jésus). Pas question de rester inerte. Il faut combattre et résister, même si la victoire est incertaine.

Le peuple d’Israël marchait à travers le désert.
Les Amalécites survinrent et l’attaquèrent à Rephidim.
Moïse dit alors à Josué : « Choisis des hommes, et va combattre les Amalécites.
Moi, demain, je me tiendrai sur le sommet de la colline,
le bâton de Dieu à la main. »
Josué fit ce que Moïse avait dit : il livra bataille aux Amalécites.
Moïse, Aaron et Hour étaient montés au sommet de la colline.
Quand Moïse tenait la main levée, Israël était le plus fort.
Quand il la laissait retomber, Amalec était le plus fort.
Mais les mains de Moïse s’alourdissaient ; on prit une pierre,
on la plaça derrière lui, et il s’assit dessus.
Aaron et Hour lui soutenaient les mains, l’un d’un côté, l’autre de l’autre.
Ainsi les mains de Moïse demeurèrent levées jusqu’au coucher du soleil.
Et Josué triompha des Amalécites au tranchant de l’épée.

Face aux assauts des ennemis, pourquoi combattre, sur quoi fonder la résistance si l’on est démuni ? L’attitude de Moïse ouvre une perspective. Le fondement de la résistance, c’est le bâton de Dieu : « C’est par lui que tu accompliras les signes » lui avait-il dit en le lui remettant. (Ex 4, 17-20). Ce bâton nourrit la confiance de Moïse en celui qui l’appelé et envoyé en mission. Ce que Dieu a entrepris en faisant sortir son peuple d’Egypte, il le conduira à son achèvement. Il faut persévérer dans la marche vers la liberté, persévérer dans le combat contre l’asservissement, parce que Dieu lui-même persévère dans son œuvre de libération de l’homme. Il faut persévérer dans la confiance en Dieu parce que Dieu persévère dans sa confiance en l’homme. Pas question de baisser les bras quand surviennent les épreuves. Pour l’exprimer, Moïse reste en prière tant que dure le combat. C’est grâce à sa persévérance jusqu’au coucher du soleil, que Josué triomphe des Amalécites.

Pour persévérer, mieux vaut se mettre à plusieurs. Dans ce récit de l’Exode, deux personnages sont au centre : Moïse et Josué. Josué dirige les combattants dans la plaine, tandis qu’ils sont trois sur le sommet de la colline. Moïse tient à la main le bâton de Dieu sur lequel il s’appuie, puis tient levée l’autre main. Aaron et Hour les lui soutiennent. Plus tard on le voit ses deux mains levées qui s’alourdissent de fatigue. Moïse ne peut persévérer qu’en s’appuyant sur le bâton de Dieu, et parce que d’autres lui soutiennent les mains. Durant ce temps, dans la plaine, les combattants eux aussi tiennent bon et persévèrent dans leur résistance contre l’ennemi grâce à Moïse qui prie ainsi qu’à Aaron et Hour qui soutiennent les mains de Moïse levées vers Dieu. Belle image de solidarité et de complémentarité entre la prière et le combat. Belle harmonie entre action et contemplation.

Cette chaîne de persévérance peut encore inspirer aujourd’hui tous ceux et toutes celles qui luttent contre l’injustice et pour la liberté, et bien entendu les membres de l’Eglise dans tous les pays du monde. Celle-ci aussi est appelée à persévérer dans les traversées désertiques et dangereuses du monde, à résister contre les ennemis de la dignité humaine, à garder vivante son espérance et sa confiance en Dieu, à mener aujourd’hui les combats qui ont été ceux du Christ. Sur le sommet du Golgotha, ses deux bras élevés vers le ciel sont à jamais les signes de son combat, de sa confiance en Dieu et de sa victoire sur les forces du mal. Crucifié comme ses deux voisins malfaiteurs, il disait dans sa prière : « Seigneur, ne sois pas loin : l’angoisse est proche, je n’ai personne pour m’aider » (ps 21 v. 12). Les bras du Christ en croix ont eux aussi besoin de soutien. Ils appellent chacun, à sa place et à sa manière, à persévérer dans ses combats quotidiens, dans son soutien des autres et soutenu lui-même par eux, dans sa prière face à Dieu devant qui il se tient, vers qui il lève les mains.

La mission universelle de l’Eglise est de mener avec persévérance les mêmes combats que son Seigneur, contre le mal partout et sous toutes ses formes, et cela avec les armes de l’amour et de la prière. Sa mission est aussi de permettre à la solidarité mondiale de durer dans le partage avec les victimes du malheur. Tant de migrants en quête de nourriture et de liberté traversent les mers et les déserts sur notre planète aujourd’hui et ne trouvent aucun accueil.
La mission des pasteurs et des responsables dans l’Eglise, elle aussi, demande une grande persévérance, comme le rappelle Paul à Timothée. Il ne s’exprime pas du haut d’une colline mais du fond d’une prison. Son propos s’accorde bien au récit de l’Exode, particulièrement quand il présente la Parole de Dieu comme une arme de combat, mais une arme de douceur et de patience.

Tous les textes de l’Écriture sont inspirés par Dieu ;
celle-ci est utile pour enseigner,
dénoncer le mal, redresser, éduquer dans la justice ;
grâce à elle, l’homme de Dieu sera bien armé,
il sera pourvu de tout ce qu’il faut pour un bon travail.
Devant Dieu, et devant le Christ Jésus qui doit juger les vivants et les morts,
je te le demande solennellement, au nom de sa manifestation et de son Règne :
proclame la Parole, interviens à temps et à contretemps, dénonce le mal,
fais des reproches, encourage,
mais avec une grande patience et avec le souci d’instruire.

Évangile : selon saint Luc – Lc 18, 1-8