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29ème dimanche du temps ordinaire – 18 octobre 2020

Vivons ce dimanche, comme le précédent, dans l’ambiance de la réflexion au sujet de la mission universelle de l’Église : que ses membres osent annoncer et vivre l’Évangile à l’exemple des chrétiens de l’Église naissante à Thessalonique. Écoutons les premiers versets de la première Lettre que saint Paul leur adresse pour les féliciter et les encourager. On considère que cet écrit est le plus ancien document écrit du christianisme. Il se présente un peu comme un prologue évocateur de la naissance des premières communautés – on pourrait dire familles – chrétiennes dans le monde païen, environ quinze ou vingt ans après la mort de Jésus. Paul, le missionnaire, s’adresse à une communauté qu’il a fondée et s’émerveille de sa vitalité spirituelle.

Paul, Silvain et Timothée, à l’Eglise de Thessalonique
qui est en Dieu le père et dans le seigneur Jésus Christ.
À vous, la grâce et la paix.
À tout moment, nous rendons grâce à Dieu au sujet de vous tous,
en faisant mémoire de vous dans nos prières.
Sans cesse, nous nous souvenons que votre foi est active,
que votre charité se donne de la peine,
que votre espérance tient bon en notre Seigneur Jésus Christ,
en présence de Dieu notre Père.
Nous le savons, frères bien-aimés de Dieu, vous avez été choisis par lui.
En effet, notre annonce de l’Évangile n’a pas été, chez vous,
simple parole, mais puissance, action de l’Esprit Saint,
‘pleine certitude’. (TOB : ‘merveilleux accomplissement’)

Une magnifique présentation du sens et de la mission de l’Église en ses commencements, ainsi que de sa foi trinitaire. Un beau portrait et un bon programme pour toute communauté chrétienne : témoigner d’une foi active, d’une charité qui se donne de la peine, d’une espérance qui tient bon. Les trois vertus théologales sont déjà là, en bon ordre et en précieuse qualification. Chaque expression a du poids. Signalons l’importance – plus que jamais d’actualité – de l’Évangile qui n’est pas simple parole, mais puissance active de l’Esprit Saint, fondement de la foi et source de joie. Une invitation à mieux comprendre que la vocation missionnaire de nos communautés est d’être un modèle pour les croyants, mais aussi pour le monde.

Dans l’Évangile est abordée une question importante. Celle de la place et de la mission de l’Église dans les nations où elle annonce l’Évangile. Jésus prend position de façon neuve et, pourrait-on dire, moderne par rapport à la question du rapport entre religion et politique. Avant d’entendre le récit de Matthieu et de le savourer, quelques clés permettent de situer le contexte bien complexe de ce rapport au temps de Jésus. Trois aspects du pouvoir sont en cause.

D’abord le pouvoir de l’occupant romain sous la figure de l’empereur César. Puis le pouvoir spirituel des pharisiens puritains, divisés politiquement : certains d’entre eux supportent les romains comme un mal inévitable, d’autres enfermés dans leurs confréries, refusent de toucher même à l’argent romain, car les pièces romaines portent une représentation du buste de l’empereur, couronné comme un dieu, avec cette inscription : « Tibère César, fils du divin Auguste ». Et enfin le pouvoir du roi juif Hérode que ses partisans, les hérodiens, voudraient restaurer sur toute la Palestine. Matthieu nous montre les pharisiens – une fois encore – en train de vouloir prendre Jésus en défaut, empruntant le ton hypocrite de la flatterie.

Les pharisiens se concertèrent
pour voir comment prendre en faute Jésus en le faisant parler.
Ils lui envoient leurs disciples, accompagnés des partisans d’Hérode :
« Maître, lui disent-ils, nous le savons : tu es toujours vrai
et tu enseignes le vrai chemin de Dieu ;
tu ne te laisses influencer par personne,
car tu ne fais pas de différence entre les gens.
Donne-nous ton avis :
Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à l’empereur ? »
Mais Jésus, connaissant leur perversité, riposta :
« Hypocrites ! Pourquoi voulez-vous me mettre à l’épreuve ?
Montrez-moi la monnaie de l’impôt. »
Ils lui présentèrent une pièce d’argent.

La question portait sur le paiement de l’impôt. Quel est le piège ? Si Jésus répond oui, il devient collaborateur de l’occupant, se compromet avec un pouvoir idolâtre, puisque César est considéré comme un dieu et que la pièce de monnaie porte son effigie. S’il dit non, il pousse à la rébellion politique. Mais pour déjouer le piège, Jésus se fait apporter l’objet du débat, une pièce romaine. Dans le récit, on peut penser avec humour que cette pièce semble sortir de la poche des pharisiens, si fidèles aux interdits de la loi divine. Jésus doit rire dans sa barbe, puisqu’ils sont en contradiction avec eux-mêmes. Pour pouvoir l’accuser de compromission avec le pouvoir romain, ils n’hésitent pas à se compromettre eux-mêmes avec les partisans politiques d’Hérode, et même, – tel est pris qui croyait prendre – Jésus les prend en flagrant délit de compromission avec César, puisqu’ils portent sur eux de l’argent romain ! Notons que pour faire condamner Jésus à mort, les grands prêtres, moins scrupuleux que les pharisiens, iront jusqu’à dire : « Nous n’avons pas d’autre roi que César ! » (Jn 19, 15)

Il leur dit : « Cette effigie et cette légende, de qui sont-elles ?
— De l’empereur César », répondirent-ils. Alors il leur dit :
« Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. »

Jésus déjoue le piège en situant le débat à un autre niveau. Il invite ses auditeurs à distinguer le pouvoir de Dieu de celui des hommes. Qu’ils soient empereurs ou rois, chefs religieux ou spirituels, le pouvoir des dirigeants politiques leur est donné par Dieu qui est plus grand qu’eux et dont les pensées et les manières de juger ne se confondent pas avec les leurs. A Dieu, ils doivent et devront tous rendre des comptes, mais n’auront pas à lui verser des impôts. La monnaie des empereurs ou des rois porte leur effigie qui n’est qu’humaine. On peut les respecter comme chefs politiques, mais pas les adorer comme des dieux. En revanche, tout être humain, comme il est dit dans le livre de la Genèse, porte l’effigie de Dieu et c’est à lui seul qu’il doit rendre un culte. Nous pouvons nous rappeler le dialogue entre Jésus et Pilate, au moment de la Passion : « Tu refuses de me parler à moi ? Ne sais-tu pas que j’ai le pouvoir de te relâcher et le pouvoir de te crucifier ? Jésus lui avait répondu : « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi si tu ne l’avais reçu d’en haut. » (Jn 18, 13-38)

Ainsi, César lui aussi est invité à rendre à Dieu ce qui appartient à Dieu, et qui ne lui appartient en rien, car il n’est qu’un homme. Comme tout être humain, il est modestement fils de la terre, tiraillé entre le bien et le mal, soumis à l’erreur et promis à la mort. Il est d’autant plus invité à se souvenir de sa condition humaine de fragilité, qu’il a reçu un pouvoir qui n’est pas absolu ni arbitraire, mais une responsabilité – la plus grande et noble qui soit –, la responsabilité politique de servir et de guider ses frères et sœurs en humanité, de gouverner avec justice et de favoriser la paix pour son peuple. Le passage du livre d’Isaïe qui nous est proposé aujourd’hui permet d’élargir encore la réflexion. Il rappelle comment Cyrus, roi des Perses, avait libéré Israël de l’exil, faisant preuve d’humanité à l’égard d’un peuple déporté. Dieu peut inspirer même des hommes politiques qui ne le connaissent pas. Ses chemins ne sont pas ceux des hommes, mais peuvent passent par les leurs, quelle que soit leur religion.

Parole du Seigneur au roi Cyrus, qu’il a consacré, qu’il a pris par la main,
pour lui soumettre les nations et désarmer les rois,
pour lui ouvrir les portes à deux battants, car aucune porte ne restera fermée :
« A cause de mon serviteur Jacob et d’Israël mon élu,
je t’ai appelé par ton nom, je t’ai décerné un titre,
alors que tu ne me connaissais pas.
Je suis le Seigneur, il n’y en a pas d’autre :
en dehors de moi, il n’y a pas de Dieu.
Je t’ai rendu puissant, alors que tu ne me connaissais pas,
pour que l’on sache, de l’orient à l’occident, qu’il n’y a rien en dehors de moi. »

Ainsi, tout homme politique, même à son insu, peut contribuer au plan de Dieu, et manifester au monde qu’il n’y a de Dieu que Dieu, dans la mesure où il consent modestement à servir la cause de la paix, de la liberté et de la justice, à s’effacer devant plus grand que lui. A l’opposé, un détenteur du pouvoir religieux se réclamant de Dieu peut en arriver à imiter les puissants de ce monde. Il caricature alors le règne de Dieu, dans la mesure où il utilise son pouvoir pour faire triompher ses idéologies, ses ambitions ou celles de son Église.

Conclusion : aux politiques d’accomplir leur travail, aux Églises d’annoncer la joie de l’Évangile, aux religions de se situer à leur juste place, et à tous de laisser à Dieu d’être Dieu.

Évangile : selon saint Matthieu – Mt 22, 15-21