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9 mai 2021 — 6° dimanche de Pâques — Plovan (29)

Ac 10, 25-26.34-35.44-48 ; Ps 97 ; 1Jn 4, 7-10 ; Jn 15, 9-17

Frères et Sœurs,

Que d’amour dans ces textes ! Le verbe aimer y apparaît une vingtaine de fois. C’est vraiment beaucoup ! Au point d’avoir du mal à percevoir la pertinence de cette parole de Jésus ! Pourtant, c’est un passage d’Évangile qui marque les esprits puisque l’appel de Jésus à nous aimer les uns les autres est souvent la seule parole que les gens retiennent de l’ensemble du message évangélique. Mais de quel amour parle-t-on ? La langue française est bien pauvre pour décrire l’amour. Contrairement à d’autres langues, le français utilise le même mot « aimer » pour désigner des réalités différentes. Quand je dis que j’aime le chocolat ou que j’aime mon travail, ce n’est pas la même chose que l’amour qui unit le couple !
Le pape Benoît XVI, dans son encyclique DEUS CARITAS EST, Dieu est Amour, nous aide à comprendre que l’amour est unique, mais a différentes facettes complémentaires. Cela nous aide à comprendre ce que le Seigneur veut nous dire quand il nous appelle à nous aimer les uns les autres. Il part des trois termes grecs qui désignent l’amour :
L’éros, un amour qui désire et cherche à séduire et même à saisir. C’est l’amour charnel, qui est lié à notre nature. Philia qui est l’amitié : « Je vous appelle mes amis. », dit Jésus qui utilise ce terme, et enfin l’agapè, qui est l’amour qui se donne, un amour gratuit et désintéressé. Un amour offert.
Le Christ nous a montré par toute sa vie ce qu’était vraiment l’amour de Dieu. Il nous a révélé que Dieu nous aimait comme un Père qui attend le retour de l’enfant prodigue et le prend dans ses bras malgré tout le mal qu’il a fait. Il le révèle aussi en se présentant comme le berger qui rassemble ses brebis, qui les aime au point de prendre le risque d’aller chercher la seule brebis qui s’est égarée. Ou encore comme le bon Samaritain qui sauve l’homme qui avait été attaqué par des brigands. Enfin, Jésus a incarné lui-même de façon parfaite cet amour jusqu’à donner sa vie sur la Croix pour nous sauver. C’est pourquoi Jésus peut vraiment se permettre de nous dire : « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » La dernière partie de la phrase est essentielle ! Car, il n’y a pas que les chrétiens qui peuvent s’aimer les uns les autres, heureusement. Mais seuls les chrétiens peuvent choisir d’aimer comme le Christ, car c’est dans la foi en Jésus et avec le don de l’Esprit saint, que nous trouvons la force de surmonter nos faiblesses et nos péchés pour apprendre à aimer comme Jésus. Dans notre vie, le Seigneur diffuse en nous son amour. Les néophytes en ont fait l’expérience à Pâques en recevant les sacrements de l’initiation chrétienne et tous ceux qui, ces temps-ci, reçoivent le sacrement de la Confirmation et de l’eucharistie. Il le diffuse aussi en nous par sa Parole vivante, éclairée par le don de son Esprit. Dieu est amour. Ce n’est pas une fiction, c’est une réalité qui se manifeste tous les jours dans notre vie. Je vais prendre deux exemples :

D’abord dans le mariage. Il se trouve que, dans le Nouveau Testament, on ne trouve jamais le terme éros, l’amour charnel. Cela ne veut pas dire que cet amour-là n’est pas important. Il l’est bien sûr, au combien, dans la vie des hommes et des femmes. Mais le Nouveau Testament veut nous épargner sa déformation destructrice. Ce que nous voyons par exemple dans la pornographie si présente aujourd’hui sur Internet. Et là, nous voyons que ce n’est plus de l’amour !
L’éros ne peut véritablement manifester l’amour entre deux êtres que lorsqu’il est vécu pleinement dans l’amour agapè, c’est-à-dire l’amour qui se donne de façon chaste dans le respect de l’autre. C’est ce qui s’exprime de façon très belle dans l’échange des consentements du sacrement de mariage lorsque les futurs époux s’engagent l’un envers l’autre en disant : « Untel, unetelle, je me donne à toi pour t’aimer fidèlement dans le bonheur ou dans les épreuves tout au long de notre vie. » Nous retrouvons là ce que dit Jésus : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » L’amour éros, charnel, n’est pas nié, bien au contraire, mais il est purifié de tout repli narcissique par l’amour agapè qui l’aide à mûrir et à se sublimer. Un idéal que les époux ont soif de vivre, et pour lequel ils s’engagent, mais cela ne leur épargne pas pour autant d’assumer leur nature humaine pécheresse. L’égoïsme peut continuer à s’introduire dans leur couple et parfois le mettre en échec malheureusement. Ne jugeons pas ! Mais, nous comprenons bien que l’amour du couple qui unit l’agapè et l’éros a besoin de se ressourcer sans cesse dans l’amour de Dieu par la prière, la vie sacramentelle, notamment le sacrement du pardon et de l’eucharistie.
Il est vital que les jeunes ne délaissent pas le sacrement du mariage, car il ne s’agit pas seulement d’officialiser leur union, mais d’accueillir en plénitude l’amour dont Dieu veut les combler. Qu’on le veuille ou non, le concubinage officialise déjà l’union, surtout lorsque des enfants naissent de cette union, mais il manque l’essentiel. Jésus l’exprime quand il dit : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas. » Si c’est bien Dieu qui unit, alors il faut se laisser unir par Dieu qui est la source de tout amour !

Un deuxième exemple, c’est l’appel de Jésus à aimer nos ennemis et à prier pour eux (Mt 5, 44). C’est un appel qui est mis à rude épreuve aujourd’hui dans un monde où nous voyons beaucoup de violences se manifester ! Violences conjugales, familiales, le terrorisme… Il paraît difficile de vivre l’amour philia, l’amitié, avec ses ennemis, mais ce que Jésus nous demande de vivre avec eux, c’est bien l’amour agapè, l’amour qui se donne même vis-à-vis des personnes qui ne nous aiment pas. Nous en avons eu une belle illustration hier dans le journal Ouest-France, où le Père Michel BRIAND, un des otages d’Haïti qui vient d’être libéré, raconte qu’il avait prié chaque jour pour les membres du gang qui les tenaient en otage. Et au moment de leur libération, un geôlier est venu l’embrasser en lui demandant de prier pour lui !

L’amour de Dieu fait des miracles et plus que jamais nous avons besoin d’accueillir pleinement cet amour pour nous sortir de notre égoïsme, de notre esprit de division, nos replis sur nous-mêmes. Seul l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ peut unifier notre existence et nous faire goûter les fruits de l’amour véritable comme l’affirme Jésus : « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite. » Amen.

† Laurent DOGNIN
Évêque de Quimper et Léon