Encore une rupture dans le fil des dimanches ordinaires. Elle est due à la fête de la Dédicace de la basilique du Latran le 9 novembre. Un rapide survol historique est utile pour bien situer le sens de cette fête, qui nous offre une belle occasion pour réfléchir sur un des aspects du mystère de l’Eglise.
Dans les Actes des Apôtres, on voit les disciples de Jésus se conformer aux pratiques juives. Ils fréquentent le temple de Jérusalem et les synagogues. Progressivement ils sont chassés des synagogues, et le christianisme va progresser et se répandre dans un monde païen hostile. Ils ne garderont comme lieux d’assemblée et de célébration que des « maisons d’Eglise ». Des maisons appartenant à des chrétiens ou des chrétiennes aisés, suffisamment vastes pour rassembler les membres des communautés d’une ville ou de ses périphéries. Pas de lieux sacrés publics destinés au culte. Le mot Église désigne l’assemblée qui se réunit chez « Untel ou Unetelle ». C’est ainsi que s’exprime, par exemple, saint Paul dans la conclusion de sa lettre aux Romains.
Saluez de ma part Prisca et Aquilas, mes compagnons de travail en Jésus Christ,
eux qui ont risqué leur tête pour me sauver la vie ;
je ne suis d’ailleurs pas seul à leur être reconnaissant,
toutes les Églises des nations le sont aussi.
Saluez l’Église qui se rassemble dans leur maison.
Saluez Apellès, qui a fait ses preuves dans le Christ.
Saluez les gens de chez Aristobule.
Saluez Hérodion qui est de ma parenté.
Saluez les gens de chez Narcisse, ceux qui croient au Seigneur.
(Rm 16, 4-11).
Il faudra attendre le 4e siècle pour que l’empereur romain Constantin, converti au christianisme, promulgue son édit de tolérance en 313 et déclare l’existence de la religion chrétienne autorisée au même titre que les autres. De ce fait, les chrétiens peuvent disposer de lieux officiels pour leurs assemblées et leur culte. Les bâtiments seront souvent des basiliques ou des temples païens reconvertis. Ils seront réaménagés en fonction de la liturgie chrétienne, avant que vienne le temps pour l’Eglise de construire elle-même des églises. Celles-ci, suivant les cas, seront des cathédrales où siègent les évêques, des églises basiliques édifiées dans des sanctuaires ou lieux de pèlerinages, des églises abbatiales là où vivent des communautés monastiques autour d’un Père Abbé. Et aussi plus tard une multitude de simples églises paroissiales, dans les villes et les villages.
La fête anniversaire de la Dédicace de la Basilique du Latran nous rappelle que le Pape est à la fois évêque de Rome et chef de l’Eglise catholique. Son ministère de Pape pour toutes les Églises est inséparable de son ministère d’évêque pour l’Eglise particulière de Rome. C’est pour signifier cela que toutes les Églises de rite romain répandues à travers le monde ont à cœur de célébrer le mystère de l’unique Église du Christ en mémoire de la fête de la dédicace de la cathédrale du pape, en tant qu’il est évêque de Rome. Nous avons pu participer grâce à la télévision à la première célébration du nouveau pape Léon XIV à Rome dans la basilique de Latran et non dans celle de Saint-Pierre au Vatican.
La fête de ce dimanche nous offre l’occasion de réfléchir sur la richesse de sens du mot « Église ». Quand on l’emploie on pense souvent à la hiérarchie, au pape et au Vatican : on dit l’Eglise, comme on dit l’Etat ou le gouvernement. Plus couramment encore, le mot désigne le bâtiment où l’on se retrouve pour le dimanche ou d’autres célébrations. Les églises sont les maisons de Dieu, les lieux qui lui sont consacrés et où l’on se rassemble pour l’écouter et le prier.
Pour le peuple d’Israël, le Temple de Jérusalem était la résidence de Dieu au sein de son peuple. C’est là que lui étaient célébrées les grandes fêtes et surtout celle de la Pâque. C’est là aussi que lui étaient offerts les sacrifices d’animaux qui donnaient lieu à un grand commerce exercé par des marchands et célébré par les prêtres.
Après le récit des Noces de Cana au début de son Évangile Saint-Jean rapporte le deuxième signe accompli par Jésus à Jérusalem au commencement de sa vie publique. Celui de la purification du Temple. Il dénonce avec violence le commerce qui y est pratiqué et défigure sa signification spirituelle.
Comme la Pâque juive était proche, Jésus monta à Jérusalem.
Dans le Temple, il trouva installés
les marchands de bœufs, de brebis et de colombes, et les changeurs.
Il fit un fouet avec des cordes, et les chassa tous du Temple,
ainsi que les brebis et les bœufs ;
il jeta par terre la monnaie des changeurs, renversa leurs comptoirs,
et dit aux marchands de colombes :
« Enlevez cela d’ici.
Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce. »
Ses disciples se rappelèrent qu’il est écrit :
L’amour de ta maison fera mon tourment.
Des Juifs l’interpellèrent : « Quel signe peux-tu nous donner pour agir ainsi ? »
Jésus leur répondit : « Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai. »
Les Juifs lui répliquèrent :
« Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce sanctuaire,
et toi, en trois jours tu le relèverais ! »
Mais lui parlait du sanctuaire de son corps.
Aussi, quand il se réveilla d’entre les morts,
ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ;
ils crurent à l’Écriture et à la parole que Jésus avait dite.
Jn 2, 13-22
Jésus dénonce avec vigueur le fait que le Temple soit devenu lieu de commerce religieux. Le Dieu de l’Alliance, de l’absolue gratuité se trouve insulté et défiguré par le trafic d’argent et d’animaux pour les sacrifices accomplis pour obtenir ses bienfaits et marchander avec lui, comme le font les païens avec leurs fausses divinités. Jésus déclare disqualifié ce Temple pour honorer Dieu son Père et proclame que l’unique demeure de Dieu au milieu des hommes c’est son corps, sa personne. Son corps historique d’artisan de Nazareth, né à Bethléem de la Vierge Marie, ressuscité par le Père. Son corps eucharistique sur la table du partage où il s’offre et se donne. Son corps ecclésial de ceux qui se rassemblent en son nom et vivent de lui. Son corps présent en ceux qui ont faim ou soif, sont nus ou malades, étrangers ou prisonniers.
Le temple de Dieu pour le Christ c’est ainsi toute personne humaine en qui Dieu vient demeurer, la communauté qui se réunit en son nom. Jésus ressuscité se donne à rencontrer en tout espace humain, c’est-à-dire tout espace de rencontre, de parole, de partage et de fraternité, pas seulement sur la route entre deux amis, ou autour de la table, mais aussi en toutes les « Galilées », carrefours des nations.
C’est en Jésus que Dieu a établi sa demeure au sein de l’humanité et de son histoire, et c’est dans son Église répandue à travers le monde qu’il vit désormais. Saint Paul le dit ainsi aux Corinthiens :
Nous sommes des collaborateurs de Dieu,
et vous êtes un champ que Dieu cultive, une maison que Dieu construit.
Selon la grâce que Dieu m’a donnée,
moi, comme un bon architecte, j’ai posé la pierre de fondation.
Un autre construit dessus.
Mais que chacun prenne garde à la façon dont il contribue à la construction.
La pierre de fondation,
personne ne peut en poser d’autre que celle qui s’y trouve : Jésus Christ.
Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu,
et que l’Esprit de Dieu habite en vous ?
Si quelqu’un détruit le sanctuaire de Dieu, cet homme,
Dieu le détruira, car le sanctuaire de Dieu est saint, et ce sanctuaire, c’est vous.
1 Co 3,9c-11.16-17
Un vocabulaire symbolique très riche. Chaque baptisé est la pierre vivante d’un édifice spirituel. Nos églises sont des maisons communes, non pas seulement des bâtiments. Dieu habite désormais les cœurs brûlants des voyageurs sur les chemins du monde quand ils se rencontrent et partagent le pain. Là où deux se rassemblent en son nom, il est présent. Ce ne sont plus les bâtiments ou les pierres qui sont d’abord sacrés, ce sont les assemblées chrétiennes et les membres qui les construisent.
Un appel que le Seigneur nous adresse en cette fête : entretenons nos églises et chapelles. Mais aussi entretenons nos maisons intérieures pour que nous soyons des pierres vivantes et non des pierres de musées. Que nos assemblées y soient vivantes, des assemblées qui se réunissent pour le service de la louange de Dieu, pour l’écoute de sa parole, pour le partage et la communion fraternelle, pour y entendre leur Seigneur les envoyer en mission d’Evangile dans le monde des humains dont il a fait sa demeure en son Fils. Et si nos églises se vident, cherchons d’autres « maisons » pour nous réunir et partager notre vie et notre prière.
La première lecture de ce dimanche concerne Israël qui vit en exil. Le temple de Jérusalem a été détruit par les romains ainsi que toute la ville. Le prophète Ézéchiel est un prêtre exilé qui nourrit l’espérance de son peuple. Dans un songe merveilleux et une vision poétique il imagine Israël victorieux, réinstallé désormais dans une Palestine renouvelée, et le Temple reconstruit. Celui-ci sera désormais le centre de la vie d’Israël et de lui couleront les eaux merveilleuses de la joie et de la paix. Le peuple y célébrera la gloire du Seigneur revenue dans le sanctuaire, et s’abreuvera de l’eau merveilleuse jaillie de nouveau du temple.
Un texte déroutant et merveilleux. Une manière de souhaiter pour Israël aujourd’hui un retour spirituel de ses exils guerriers.
En ces jours-là au cours d’une vision reçue du Seigneur,
l’homme me fit revenir à l’entrée de la Maison, et voici :
sous le seuil de la Maison de l’eau jaillissait vers l’orient,
puisque la façade de la maison était du côté de l’orient.
L’eau descendait de dessous le côté droit de la maison, au sud de l’autel.
L’homme me fit sortir par la porte du nord et me fit faire le tour par l’extérieur,
jusqu’à la porte qui fait face à l’orient,
et là l’eau coulait du côté droit.
Il me dit : cette eau coule vers la région de l’orient,
elle descend dans la vallée du Jourdain,
et se déverse dans la Mer Morte dont elle assainit les eaux.
En tout lieu où parviendra le torrent, tous les animaux pourront vivre et foisonner.
Le poisson sera très abondant, car cette eau assainit tout ce qu’elle pénètre,
et la vie apparaît en tous lieux où arrive le torrent.
Au bord du torrent, sur les deux rives,
toutes sortes d’arbres fruitiers pousseront.
Leur feuillage ne se flétrira pas et leurs fruits ne manqueront pas.
Chaque mois ils porteront des fruits nouveaux, car cette eau vient du sanctuaire.
Les fruits seront une nourriture et les feuilles un remède.
Evangile selon saint Jean – Jn2, 13-22