Accueil  -  Les homélies de Père Michel Scouarnec  -  Deuxième dimanche de Pâques – 16 avril 2023

Deuxième dimanche de Pâques – 16 avril 2023

On peut établir un lien entre la résurrection du Christ et celle de l’Église, bien qu’elles ne soient pas de même nature. L’image du sang et de l’eau qui coulent du côté ouvert du Christ en croix symbolise la naissance de l’Église. Elle naît du côté ouvert de Jésus qui « remet l’esprit » (Jn 19, 30) entre les mains de son Père et en même temps entre celles de ses disciples et de son Église. C’est sa mort, son amour radical allant jusqu’au don de lui-même qui est le fondement de la vie de son Église. Deux des textes de ce dimanche évoquent la naissance de l’Église primitive et en font un portrait contrasté. Dans l’Évangile, saint Jean montre les disciples – dispersés au moment de la Passion –, de nouveau rassemblés au soir de la Résurrection.

Le soir venu, en ce premier jour de la semaine,
alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples
étaient verrouillées par crainte des Juifs,
Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! »
Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté.
Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur.
Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous !
De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. »
Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint.
À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ;
à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »

Cette première communauté est encore sous le coup du traumatisme de la mort de Jésus. C’est le soir même de sa mort que sont rassemblés les membres de sa communauté brisée par les doutes, les dispersions et les reniements. Judas a trahi, Thomas est absent, Pierre a renié, d’autres ont fui. Ce qui rassemble les disciples c’est la peur de subir le même sort que celui de leur maître et ami. Leurs portes sont verrouillées. Et c’est au cœur de cette peur, de ce repli cadenassé que se manifeste Jésus, le ressuscité « au milieu d’eux », comme si au milieu de leur assemblée s’allumait le feu de l’Esprit. Jésus leur adresse deux messages.

Tout d’abord il leur souhaite la paix. Un des maîtres mots que Dieu a prononcés pour saluer et sauver son peuple et lui rappeler les conditions du bonheur dans le psaume 84 : « Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple et ses fidèles ; qu’ils ne reviennent jamais à leur folie ! Son salut est proche de ceux qui le craignent, et la gloire habitera notre terre. Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent ». Comment avoir le cœur en paix quand on a honte et qu’on a peur ? Jésus vient partager avec eux l’expérience de sa paix, après l’immense peur qu’il vient lui-même de traverser. L’expérience de sa confiance absolue en son Père, dans la nuit la plus noire de sa mort sur la Croix. Il a même éprouvé sa solitude comme un abandon du Père, mais il vient témoigner que Dieu vivait avec lui son propre abandon. Comme s’il s’abandonnait lui-même, lui le maître et la source de la vie, le maître et la source de l’amour, qu’aucune haine, ni violence ni mort ne sauraient empêcher d’aimer et de faire vivre. La paix intérieure, voilà l’héritage que le Christ laisse à son Église de tous les temps. Dans le récit de Jean on peut faire un rapprochement entre l’emploi du même mot esprit (en grec « pneuma ») dans le récit de la mort de Jésus qui « a remis l’esprit. » (Jn 19 30) et qui, ressuscité, souffle sur les disciples et leur dit : « Recevez l’Esprit Saint ». L’Esprit de Pentecôte est déjà là !

Après le don de la paix, vient l’envoi en mission qui lui aussi est un don du Ressuscité et un témoignage à rendre à sa résurrection. Le rencontrer et le reconnaître c’est poursuivre son œuvre, ne pas la laisser mourir. Comme le Père l’a envoyé, il les envoie affronter, même si la peur les tenaille, le péché du monde, le mal à l’œuvre dans le monde. Faire front contre les esprits mauvais, comme il l’a fait lui-même dans son histoire humaine. Ainsi, croire en la résurrection ce n’est pas bénéficier d’une information ou adhérer à un dogme, c’est engager tout son être dans un combat pour la vie, contre le mal et la haine, contre tout ce qui rend l’homme esclave, dans son être, dans le monde où il vit, dans la religion qui est la sienne, dans son athéisme s’il est incroyant. C’est recevoir une puissance spirituelle de dénonciation du mal là où il règne. C’est réconcilier ceux qui sont divisés là où ils nourrissent les guerres, guérir ceux qu’accablent les souffrances du cœur et du corps. Mais ils n’étaient que dix. Judas avait trahi, et Thomas était absent.

Or, l’un des Douze, Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau),
n’était pas avec eux quand Jésus était venu.
Les autres disciples lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! »
Mais il leur déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous,
si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous,
si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! »
Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison,
et Thomas était avec eux.
Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées,
et il était là au milieu d’eux. Il dit : « La paix soit avec vous ! »
Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ;
avance ta main, et mets-la dans mon côté :
cesse d’être incrédule, sois croyant. »
Alors Thomas lui dit : « Mon Seigneur et mon Dieu ! »
Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu crois.
Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »
Il y a encore beaucoup d’autres signes
que Jésus a faits en présence des disciples
et qui ne sont pas écrits dans ce livre.
Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez
que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu,
et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.
Jean 20, 19-31

Quand il entend Jésus l’inviter à toucher et regarder ses mains et son côté, Thomas découvre que ses plaies de crucifié sont les blessures d’un amour sans mesure. Il comprend « quel baptême l’a purifié, quel Esprit l’a fait renaître, quel sang l’a racheté » (oraison de la liturgie de ce dimanche). Regardant les plaies de son ami, il contemple la divine miséricorde du Père. Les plaies du crucifié deviennent aussi pour les apôtres le signe d’une miséricorde sans limites. Il ne vient pas jeter de l’huile sur le feu de leur remords, mais répandre sur eux son souffle, le souffle de sa puissance d’amour et de pardon. « Recevez l’Esprit Saint », leur dit-il, allez, vous aussi, annoncer et exercer la miséricorde du Père en mon nom, à tous ses enfants.

Saint Pierre sait plus que d’autres combien le Christ lui a fait miséricorde. On sent transparaître son émotion dans l’ouverture de sa première Lettre.

Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ :
dans sa grande miséricorde, il nous a fait renaître pour une vivante espérance
grâce à la résurrection de Jésus Christ d’entre les morts,
pour un héritage qui ne connaîtra ni corruption, ni souillure, ni flétrissure.
Cet héritage vous est réservé dans les cieux,
à vous que la puissance de Dieu garde par la foi,
pour un salut prêt à se révéler dans les derniers temps.
Aussi vous exultez de joie, même s’il faut que vous soyez affligés,
pour un peu de temps encore, par toutes sortes d’épreuves ;
elles vérifieront la valeur de votre foi qui a bien plus de prix que l’or
— cet or voué à disparaître et pourtant vérifié par le feu –,
afin que votre foi reçoive louange, gloire et honneur
quand se révélera Jésus Christ.
Lui, vous l’aimez sans l’avoir vu ;
en lui, sans le voir encore, vous mettez votre foi,
vous exultez d’une joie inexprimable et remplie de gloire,
car vous allez obtenir le salut des âmes qui est l’aboutissement de votre foi.
1 P 1 3-9

Dans l’Evangile de Jean, résurrection et Pentecôte, don de l’Esprit, sont contemporains, vécus en même temps. Dans les Actes des apôtres, Luc les associe autrement. Aussitôt après la Pentecôte, bien après le jour de Pâques, nous est montré comment les premières communautés chrétiennes rendent témoignage à la résurrection : elles inventent des nouvelles pratiques religieuses et sociales.

Dans les premiers jours de l’Église, les Frères étaient assidus à l’enseignement des Apôtres
et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières.
La crainte de Dieu était dans tous les cœurs
à la vue des nombreux prodiges et signes accomplis par les Apôtres.
Tous les croyants vivaient ensemble, et ils avaient tout en commun ;
ils vendaient leurs biens et leurs possessions,
et ils en partageaient le produit entre tous en fonction des besoins de chacun.
Chaque jour, d’un même cœur, ils fréquentaient assidûment le Temple,
ils rompaient le pain dans les maisons,
ils prenaient leurs repas avec allégresse et simplicité de cœur ;
ils louaient Dieu et avaient la faveur du peuple tout entier.
Chaque jour, le Seigneur leur adjoignait ceux qui allaient être sauvés.
Ac 2 42-47

Beau programme pour les communautés de chrétiens d’aujourd’hui. Il est fini le temps des cathédrales et des églises pleines. Il est revenu le temps où être chrétien signifie de nouveau vivre une expérience communautaire évangélique, au milieu d’un monde éloigné de la foi au Christ ressuscité et qui pense qu’on peut très bien vivre sans Dieu et sans religion. Pour témoigner réellement du Christ ressuscité deux aspects restent à cultiver dans les communautés d’aujourd’hui. D’abord la qualité de la vie communautaire : communion fraternelle, partage de la parole de Dieu, prière, fraction du pain, mise en commun des biens. Ensuite l’ouverture sur le monde, présence active au milieu du peuple où ils vivent, et accueil des personnes en recherche de pain, d’amitié, de justice et d’un sens à donner à leur vie.

Evangile selon saint Jean – Jn20, 19-31