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Ploaré, 2017, Homélie du 400e anniversaire de l’arrivée de Dom Michel

Dimanche 11 juin 2017 – Homélie pour le Pardon de Ploaré, à l’occasion du quatre centième anniversaire de l’arrivée de Dom Michel Le Nobletz à Douarnenez

Homélie pour le pardon de Ploaré, en Douarnenez, le dimanche 11 juin 2017, en la fête de la Sainte-Trinité, à l’occasion du quatre centième anniversaire de l’arrivée de Dom Michel Le Nobletz, par le père Hervé Queinnec, chancelier du diocèse de Quimper, et délégué épiscopal pour les causes des saints.
Textes des lectures : Exode 34,4b-6.8-9 ; première lettre aux Corinthiens 13,11-13, et Jean 3,16-18

Huit jours après la Pentecôte, l’Église célèbre aujourd’hui une grande fête : la Sainte Trinité, pour appeler notre attention sur ce grand mystère qui est au fondement de notre foi. Cette fête prend pour nous une résonnance spéciale cette année, car elle nous permet de nous souvenir du vénérable dom Michel Le Nobletz et de rendre grâce à Dieu pour son apostolat ici à Douarnenez, il y a exactement 400 ans, de 1617 à 1639.

Comme nous le savons tous, il était originaire du Léon, de Plouguerneau pour être précis. Il avait fait de brillantes études de théologie, et aurait pu devenir évêque s’il l’avait voulu. Mais son désir était d’être missionnaire, d’annoncer l’évangile à ses compatriotes bretons. Il commença par prêcher des missions dans les évêchés de Tréguier et de Léon, puis dans les îles : Ouessant, Molène et Batz, avant de venir en Cornouaille en 1614. D’abord à Quimper, où il prêchait à l’église Saint-Mathieu tous les dimanches et jours de fête, et y assurait le catéchisme. De Quimper, il partait prêcher des missions : au Faou, à Concarneau, Pont-l’Abbé, Audierne, l’Ile de Sein…

L’évêque de Quimper, qui l’estimait beaucoup, le nomma recteur de Meilars. Dom Michel accepta par obéissance, mais il souhaitait une mission plus difficile. La Vierge Marie apparut à dom Michel et lui désigna le clocher de Ploaré (nous avons sous les yeux un vitrail qui rapporte l’évènement). Dom Michel obtint ensuite l’autorisation d’être relevé de sa charge de recteur, pour venir s’établir à Douarnenez qui n’était alors qu’un quartier de la paroisse de Ploaré. Le recteur de Ploaré n’avait pas vraiment le temps de s’occuper des habitants de Douarnenez ; de plus, le bourg de Douarnenez était en ruines, dans un état lamentable, après les guerres de la Ligue et les exactions du bandit La Fontenelle…

Dom Michel arriva à Douarnenez le 22 mai 1617, le lundi de la sainte Trinité. Pendant vingt-deux ans, il catéchise les fidèles, visite pauvres et malades, créé une école, développe des méthodes pédagogiques nouvelles, écrit des cantiques bretons que la tradition a conservés, et pour illustrer sa prédication invente l’usage de cartes peintes – qui préfigurent les taolennou ou tableaux de mission. Avec lui, Douarnenez devient un lieu de vie chrétienne fervente.

Certains de ses contemporains l’ont traité de ar beleg fol, de prêtre fou… Il serait plus juste de dire que dom Michel se comportait en prophète. Les prophètes dans la Bible ont toujours eu des comportements étonnants, et parfois même choquants, mais pour mieux transformer les cœurs et appeler à la conversion. Michel Le Nobletz fut également prophète par son choix de vie, son ascèse, son humilité, sa charité, sa pauvreté volontaire, son refus des honneurs, sa vie de prière ardente…

Il revint en 1640 dans le diocèse de Léon, au Conquet, où il passa les douze dernières années de sa vie, et reçut en 1651 ou 1652 les stigmates de la Passion du Sauveur, au terme d’une vie toute donnée à Dieu et à ses frères. Il mourut au Conquet, le 5 mai 1652, à l’âge de 75 ans.

La première lecture de cette fête de la Sainte Trinité nous raconte comment Moïse, portant les tables de pierre de la Loi, entendit le Seigneur Dieu lui parler dans la nuée au sommet de la montagne du Sinaï, – Et lui déclarer : « Je suis le Seigneur, Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité ». Cette première lecture me fait penser à l’une des « cartes peintes » de dom Michel (que l’on peut voir actuellement exposée au port-musée), la carte des Lois. Elle présente l’ancienne et la nouvelle Loi, c’est-à-dire l’Ancien et le Nouveau Testament. L’ancienne Loi avec Dieu, Moïse et quelques fidèles, et la Nouvelle Loi, celle de l’évangile, avec le Christ, saint Pierre et les apôtres. Nul doute que dom Michel avait médité notre première lecture de ce jour (Exode 34) pour concevoir sa carte des Lois.

Dieu voit, entend, connaît la souffrance des hommes, déclarait-il à Moïse : « Je suis le Seigneur, Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité ». Nous ne sommes pas seuls dans les épreuves de nos vies, Dieu est à nos côtés, et nous aide à les affronter. Car il est plein d’amour et de vérité. Dom Michel Le Nobletz invitait les chrétiens de son époque à la conversion, une véritable conversion. Non pas en essayant de nous faire peur, mais en insistant sur l’amour de Dieu. Pour être authentiquement chrétien, nous devons aimer Dieu qui nous a aimé le premier.

« Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle ». C’est l’évangile de cette fête. C’était aussi le sens de la prédication de dom Michel : annoncer un Dieu Père qui nous aime de toute éternité, qui nous a envoyé un Sauveur Jésus-Christ ; qui continue à nous envoyer son esprit, l’Esprit Saint. Mais dom Michel ajoutait aussitôt : « L’esprit de Dieu se reçoit par la prière, et quiconque n’a pas l’esprit de Dieu est nécessairement possédé de l’esprit du monde »[*].

J’aime à penser que dom Michel est venu prier et méditer devant la belle statue de la Sainte Trinité qui se trouve en cette église. Il existe plusieurs modèles d’images de la Sainte Trinité dans les églises catholiques. Par exemple celle du baptême de Jésus au Jourdain, avec la main bénissante du Père et la colombe de l’Esprit Saint. Ou l’image traditionnelle autrefois chez nous, que l’on trouve par exemple à Rumengol, celle dite du trône de grâce. Le Père, représenté en vieillard (cf. Daniel 7,9), tient dans ses deux mains la croix du Christ, surmontée de la colombe de l’Esprit.

Mais l’image où la relation qui unit le Père, le Fils et l’Esprit est le mieux exprimée, c’est celle dite de la compassion du Père (ou Piétus) comme ici en cette église de Ploaré. Le Père reçoit et donne Jésus. C’est vrai que nous pouvons être gênés de voir le Père représenté humainement et souffrir. Mais n’est-ce pas l’enjeu même de l’Incarnation que de casser notre idée d’un Dieu jupitérien, impassible, tout-puissant, et qui ne souffre pas…

En fait, la Trinité, c’est (probablement) la croix du Christ qui en parle le mieux… Nous aimons mettre des croix ou des crucifix dans nos maisons, autrefois aux carrefours de nos routes, parfois porter une petite croix autour du cou… C’est là un vrai signe de foi en la Trinité. Apparemment, la croix, c’est le signe de l’échec de Jésus. Mais à y réfléchir, la croix… c’est ce qui illustre, manifeste, rend lisible l’amour dont Dieu le Père nous aime.

C’est bien pour cela que dom Michel insistait beaucoup dans ses catéchèses, ses prédications, sur la croix de Jésus.

En lisant, en méditant, en priant l’évangile, nous apprenons le nom véritable de Dieu : Dieu est Amour. Amour pour les hommes d’abord parce qu’il est amour en lui-même, amour entre le Père, le Fils, et le Saint-Esprit.
Et c’est parce que nous croyons que Dieu est Amour en lui-même que nous accueillons tout ce que Jésus a révélé de Dieu. Dieu est Père, Fils, et Saint Esprit. Parce que sinon, l’amour serait impossible en Dieu.

Mais pas l’amour au sens où nous l’entendons parfois, simple sentiment, fragile et versatile. L’Amour en Dieu, est Dieu même !

Que l’exemple de dom Michel Le Nobletz, de sa vie toute donnée à Dieu et à ses frères, nous donne la force de vivre et de témoigner de l’évangile autour de nous.
Que cette Eucharistie et toutes les Eucharisties, que notre communion au corps offert par amour du Christ, nourrisse notre foi, et nous fasse grandir dans l’amour de Dieu et des hommes. Amen.

Hervé QUEINNEC
11.06.2017

[*] Archives diocésaines, fonds Le Nobletz 4 8G7.